Les auteurs de l'ouvrage collectif «L'héritage des femmes : réflexion pluridisciplinaire sur l'héritage au Maroc», discuté hier à la Faculté de sciences juridiques, économiques et sociales, ont tenté d'expliquer la faible mobilisation des femmes contre la loi accordant aux fils le double de ce qu'elle accorde aux filles. «Les femmes entretiennent fidèlement un système qui les opprime». Ces femmes-là, Siham Benchekroun les entend chaque jour dans son cabinet. Médecin, psychothérapeute, la militante féministe discutait hier, mercredi 10 janvier, à la Faculté de sciences juridiques, économiques et sociales de Aïn Chok à l'Université Hassan II de Casablanca, d'une thématique qu'elle connaît bien : «L'héritage des femmes : réflexion pluridisciplinaire sur l'héritage au Maroc», publié en mai 2017 et dont elle a été l'initiatrice et la coordinatrice. «Pourquoi les femmes acceptent l'injustice de l'héritage ? Parce qu'elles ne veulent pas d'histoire, lance, provocateur, Jamal Khalil. En quelque sorte, elles échangent le renoncement à un traitement égal lors de la succession contre l'idée de fraternité et de famille unie.» Co-auteur de l'ouvrage «L'héritage des femmes», il décrit les deux attitudes possibles des femmes lors de la succession : le conflit ou la soumission. «En arrière plan de cette acceptation, se dresse un ensemble d'injonctions intériorisées : les femmes doivent continuer à avoir de bons liens familiaux et afficher la bonne éducation que l'on attend d'elles, celle de respecter les frères (...) Elles ont quelque part compris que la question de l'héritage est une chasse gardée masculine. L'aborder nécessite un immense effort et une remise en cause de l'autorité des hommes. Elle s'accompagne souvent d'une perte de protection. (...) Pour elles, avec l'autorité paternelle, disparaît aussi la protection du père. Comment être protégée alors si ce n'est par les frères ?» «Elles considèrent naturel d'assumer corvées et tâches ingrates» Les interventants expliquent que femmes et hommes ont été socialisés aux mêmes normes sexistes qui répartissent les rôles dans la vie sociale, comme dans l'héritage. Dans cette configuration, ce n'est pas parce que les femmes sont défavorisées par les loi, les coutumes ou les conventions qu'elles auraient tendance à les dénoncer. Par ailleurs, les dispositions du droit successoral forment une norme familiale, sociétale et législative. Si d'aventure, une femme la trouverait injuste, peu de recours ou d'alternatives se proposent à elle pour dépasser cette situation. Ainsi, elle éviterait plutôt d'entrer en conflit avec sa famille : Seule contre tous, elle aurait tout à perdre en coupant le cordon ombilical. «Il est même plutôt rare que [mes] patientes remettent en question le fondement de la suprématie masculine. Craintives, manquant d'assurance, elles considèrent naturel d'assumer corvées et tâches ingrates du fait de leur sexe et ne se plaignent que de la dureté de leur famille à leur égard», a constaté Siham Benchekroun auprès de ses patientes, qui souffrent pourtant de ce statut quo. «Lorsque je participais au comité qui devait définir la réforme de la Moudawana en 2004, j'ai proposé trois changements, dont l'égalité des hommes et des femmes en héritage et le renoncement au soutien automatique des hommes dans le mariage. Ils n'ont pas été adoptés et beaucoup de femmes, à l'extérieur comme à l'intérieur du comité ont refusé, raconte pour sa part Nezha Guessous. Finalement, les femmes elles-mêmes sont-elles prêtes à perdre le soutien financier obligatoire de leur mari - naqafa ?» Selon elle, les femmes ne remettraient pas en cause l'inégalité du traitement dans l'héritage, non seulement parce que la norme sociale, légale et religieuse est trop forte, mais également parce que ce serait remettre en question un système comme l'institution du mariage, qui leur garantirait un foyer et une source de revenu à travers l'époux. Volonté divine L'absence de contestation de la loi sur l'héritage par celles qui en bénéficient, mais surtout par celles qui en souffrent «est motivée par l'idée que les lois successorales marocaines obéissent à la volonté divine, et que celle-ci ne peut pas faire l'objet d'un débat lorsqu'on est musulman (...) Il semble en fait que pour la majorité des Marocains, les questions religieuses sont hors de portée et réservées aux théologiens. L'héritage en fait partie et ne peut être discuté que par ces savants. En revanche, les patientes évoquées dans ce travail qualifient de «non musulman» le comportement égoïste et irresponsable de nombreux hommes marocains et déplorent leur démission face à leur devoir de mâle», écrit Siham Benchekroun. La militante a ainsi constaté que les Marocaines souffrant de l'inégalité de traitement entre hommes et femmes face à l'héritage ont tendance à chercher un recourt à l'intérieur même de la norme sociale et religieuse, plutôt que de la contester. Une stratégie de discussion de l'intérieur que les co-auteurs de l'ouvrage de l'étude ont également mis en œuvre à leur niveau. S'ils n'admettent pas l'intangibilité de la norme inégalitaire de l'héritage, tous les intellectuels participants au livre sont musulmans et reconnaissent la validité de la norme religieuse. Ils tentent donc de justifier la réforme de la loi sur l'héritage du point de vue même de l'Islam. Siham Benchekroun consacre ainsi une part très importante de son ouvrage collectif à développer ces différents arguments, théologiques, juridiques, scientifiques et sociétaux.