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Histoire : Le Maroc a vu assassiner Omar Benjelloun
Publié dans Yabiladi le 19 - 12 - 2017

Un militant liant son engagement intellectuel à une pratique quotidienne. C'est ce qu'incarne Omar Benjelloun, l'une des figures historiques les plus populaires de la gauche marocaine. Le 18 décembre 1975, deux membres de la Chabiba islamiya le tuent devant son domicile. Retour sur la vie d'un martyr qui continue d'exister, à travers les combats politiques qu'il a portés.
La lutte anticoloniale et la défense des classes populaires au Maroc portent des noms. Parmi eux se distingue incontestablement celui d'Omar Benjelloun. Fervent défenseur des idées fédératrices d'un socialisme au service du peuple, cette figure de l'USFP sera tuée le 18 décembre 1975 devant son domicile à Casablanca. La vie politique d'un pays traversant alors les pires années de la répression sous le règne Hassan II n'en sortira pas indemne.
Les premiers pas dans l'action politique
Né en 1936 dans la région d'Oujda, Omar Benjelloun grandit au sein d'une famille dont le père est un retraité de l'Office national de l'électricité. Malgré des conditions de vie difficiles, il effectue ses premières années d'études avec brio. Un parcours qui sera couronné par une licence en droit et un diplôme de l'Ecole supérieure des postes et des télécommunications de Paris, en 1960. L'enfant prodige devient ainsi l'un des premiers ingénieurs du Maroc.
S'il est un étudiant distingué parmi les autres, Omar Benjelloun ne s'est pas concentré uniquement sur sa réussite universitaire, à Paris. Durant son séjour académique, le futur ingénieur a contribué activement à poser les jalons de l'Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM), alors fraîchement créée en 1956. C'est ainsi qu'au sein du mouvement étudiant, il se fait connaître dès 1957 par son sens de l'abnégation, son éloquence et sa capacité à initier des actions collectives fédératrices.
Rapidement, la clairvoyance du syndicaliste fait percevoir à celui-ci les dysfonctionnements de l'Istiqlal, parti où il a milité pour l'indépendance de son pays. Déçu de certains usages au sein des instances internes, il devient membre fondateur du Mouvement du 25 janvier, noyau annonciateur de la naissance de l'Union nationale des forces populaires (UNFP).
Le mouvement tient son nom d'une assemblée historique, tenue le 25 janvier 1959 à Paris, au cours de laquelle Omar Benjelloun et d'autres étudiants annoncent leur retrait de l'Istiqlal. L'UNFP verra le jour, peu de temps après, sous la houlette d'Abdellah Ibrahim, de Mehdi Ben Barka, d'Abderrahmane El Youssoufi et d'Abderrahim Bouabid. Omar Benjelloun sera l'artisan de la section parisienne du nouveau parti.
Ingénieur de la stratégie de la lutte démocratique, Omar Benjeloun a été solidaire des porteurs d'idéaux de l'option révolutionnaire en exil. Il défend cette dernière mais refuse tout recours aux armes.
Militer sur tous les fronts
Son diplôme d'ingénierie en main, Omar Benjelloun ne tarde pas à rentrer au Maroc. Il est désormais sous-directeur régional des PTT à Casablanca. Habitué au travail syndical au sein du mouvement étudiant, le jeune cadre milite sous les couleurs de l'Union marocaine du travail (UMT).
Il coordonne l'action ouvrière dans le milieu des PTT, en conscientisant les travailleurs et en les encadrant pour faire valoir leurs droits. C'est ainsi que les ouvriers des postes et télécommunication mènent en décembre 1961 une grève illimitée, pour dénoncer leurs conditions de travail à l'approche du Nouvel an. Les activités de la ville économique sont gelées et la mobilisation se solde par un véritable succès.
L'engagement d'Omar Benjelloun, mais surtout son efficacité sur le terrain, lui coûteront un premier enlèvement. Un autre sera commandité par les milices de Mahjoub Benseddik, alors secrétaire général de l'UMT. D'ailleurs, le militant s'est adressé à son camarade, dans une lettre en 1963. Il y exprime son «honneur» d'être la cible du «pouvoir féodal» et sa déception de voir l'UMT recourir aux mêmes usages que le pouvoir.
«Ma conviction profonde était que la classe ouvrière constitue l'avant-garde naturelle dans la lutte effective et concrète qui doit être engagée contre la féodalité, la bourgeoisie et l'impérialisme. Cette fois, je ne peux malheureusement parler (tout à fait) d'honneur. C'est au nom de la classe ouvrière que j'ai été, en plein jour devant le Service d'ordre de l'UMT (et la neutralité complice de la police), provoqué par des responsables de l'UMT, frappé à coups de poings et transporté dans une cave. J'y ai subi en l'espace de douze heures, trois séances de coups dont la sauvagerie dépassait de loin ce que j'ai connu l'année dernière (du fait qu'il ne s'agissait la première fois que d'intimidation.) Geste irréfléchi aussi, dont je tiens à te raconter les détails. Je m'adresse à toi, en tant que Secrétaire Général de l'UMT, dont je suis militant, comme je suis militant de l'UNFP, dont tu es l'un des dirigeants qui en ont tracé 'l'orientation et la doctrine'. Tu me permettras de considérer qu'il s'agit d'une nouvelle erreur commise au nom de l'UMT et de la classe ouvrière.»
Ph. DR.
En effet, l'exaction dont Omar Benjelloun a été victime en 1961 a annoncé une série d'arrestations et de torture, en 1962, 1963, 1964 puis 1966 et jusqu'à son assassinat. En 1963, il est condamné à mort avec Mehdi Ben Barka et Fkih Basri. Ayant obtenu l'annulation de son exécution, il continuera à être incarcéré et torturé à plusieurs reprises, notamment à Derb Moulay Chrif ou encore à Dar El Mokri. En 1973, il sera victime d'une tentative d'assassinat par coli piégé, puis enlevé au lendemain des événements de mars 1973 à Khénifra, connus sous le nom du «complot du 3 mars».
Malgré cela, le militant est élu membre de la commission administrative de l'UNFP. Mais son action au sein de l'UMT et des fédérations des PTT dérange. Il est systématiquement enlevé puis torturé, à chacune de ses participations aux congrès du syndicat.
Au même moment, le militant est de plus en plus critique envers «l'opportunisme et le déviationnisme» au sein des instances de l'UNFP, auxquelles il reproche les mauvaises conséquences d'un «véto» exercé en interne. C'est ainsi qu'avec d'autres membres, dont Abderrahim Bouabid et Mohamed El Yazghi, Omar Benjelloun crée l'Union socialiste des forces populaires (USFP). Actif depuis la fin des années 1960, le nouveau parti verra le jour officiellement en 1972.
Grâce à Omar Benjelloun, un processus doctrinal et intellectuel sera mis en place, constituant ainsi les bases du modèle d'un parti révolutionnaire, notamment à travers le «mémoire organisationnel» rédigé en prison entre 1964 et 1965. Ce texte fondateur adopte le centralisme démocratique, porté par l'ensemble des partis de gauche et des centrales syndicales. Dans un premier temps, le militant travaillera sur la clarification idéologique de l'UNFP par une longue production intellectuelle. Dans un second temps, celle-ci trouvera son écho dans le rapport idéologique adoptant le socialisme scientifique, qui a donné naissance à l'USFP.
Connu pour ses actions syndicales, son engagement politique et son dévouement pour la justice en tant qu'avocat, Omar Benjelloun est également un journaliste hors-pair. C'est en tant que tel qu'il dirigera la presse du Parti, à savoir Al Mouharrir ou la revue Palestine. Il trace, par aileurs, les grandes lignes du projet socialiste, de la réforme agraire à la couverture sociale, en passant par les droits humains, jusqu'au 18 décembre 1975.
Des vérités restent à établir
Omar Benjelloun aura ainsi été une véritable dynamo organisationnelle des structures horizontales et verticales de l'USFP, mais aussi de la dissidence de l'UMT, dont des membres se regrouperont au sein de la CDT deux ans après l'assassinat.
Ce dernier est survenu au moment où le militant pressentait, depuis plusieurs années, qu'il serait un martyr à abattre : Il est opposant à la politique répressive de Hassan II, traqué par des hommes de Mahjoub Benseddik et dénoncé par des personnes se disant partager ses idéaux. Dans un entretien avec Yabiladi, Omar Bendjelloun, son neveu, considère que «toute la vérité n'a pas été établie autour de l'assassinat», et ce pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, «d'un point de vue matériel, des documents et des pièces à conviction qui ont été détruites ou sorties du dossier, selon le témoignage de Me Berrada», indique celui qui exerce aujourd'hui le métier d'avocat, comme l'héritage d'un oncle qu'il a connu à travers les écrits et les récits de vie. «Même le roi Hassan II, à l'époque, avait convoqué Dr. Abdelkrim Al Khatib, fondateur du PJD, pour lui dire que son nom a été cité dans cette affaire.»
Pour le neveu, les interrogations demeurent quant à «l'exfiltration d'Abdelkrim Motii, président de la Chabiba islamia, d'abord vers l'Arabie saoudite, puis en Libye et enfin à Londres», car «aucune procédure d'extradition n'a été établie, alors que cet acte fait partie des crimes imprescriptibles». Ainsi, le docteur en droit estime qu' «il y a des faisceaux d'indices sur la complicité active et passive de différents acteurs et de différents bords, voire du propre camp de Feu Omar Benjelloun». De plus, «nombre d'acteurs nationaux et étrangers seraient derrière son élimination, vu qu'il représentait la continuité de Mehdi Ben Barka, aussi bien dans les dimensions organisationnelles, dialectiques, intellectuelles, que diplomatiques».
Une continuité de l'œuvre
En plus de son engagement pour la démocratie et la justice sociale, Omar Benjelloun a fervemment défendu l'indépendance des peuples : Si la cause palestinienne est aujourd'hui une cause nationale, c'est en majeure partie grâce à ce militant et à ses écrits. Publiée en 1969 dans la revue Souffles, une tribune du journaliste dénonce d'ailleurs la rhétorique sioniste, qui se répand dans plusieurs pays. Il rappelle aussi que le combat des Palestiniens est celui de l'indépendance des peuples :
«Quel est le juif qui se dit antisioniste et qui dénonce sans réserves le vol, qui remet en question l'existence d'Israël, sans consacrer l'essentiel de son propos d'abord à un long rappel historique des injustices subies par les juifs, puis au problème du sort des deux millions de juifs émigrés. Par ce biais, et grâce à cette démarche en arc de cercle, il renverse le problème, pour le poser aux arabes, pour le poser aux Palestiniens, aux victimes du vol. Oui, mais, oui mais… Je reconnais le droit du peuple palestinien, la légitimité de la Résistance, etc. mais quelle est la solution ? Vous n'allez tout de même pas me dire comme Choukeïri qu'il faut 'les jeter à la mer' ? Les principes sont saufs, excepté le plus élémentaire de tous, à savoir que ce n'est pas à la victime d'un vol qui continue qu'on demande la solution.»
Dans ce sens, le neveu du défunt tient à rappeler que l'engagement du peuple marocain en faveur de la cause palestinienne constitue un legs, honorant l'œuvre de son oncle : «L'une des plus grandes victoires d'un martyr comme Omar Benjelloun est que le peuple adopte en termes de conscience la cause palestinienne en tant que cause nationale. La preuve, ce sont les 200 000 manifestants qui ont protesté contre la décision du président américain Donald Trump. En 2000, peu avant de début de la deuxième Intifada, Rabat avait mobilisé un million de personnes. Un record dépassant le nombre des manifestants à Istanbul ou à Jakarta… Ce sont là des exemples qui rendent bien hommage à la mémoire du défunt et à son action pro-palestinienne.»
En sa qualité de leader d'opposition, Omar Benjelloun deviendra aussi un allié pragmatique de Hassan II sur la question du Sahara. «Il défendra la cause nationale à l'étranger, notamment à la Cour internationale de Justice, aux pays du bloc de l'Est et à Paris. Il mobilisera la presse de l'opposition à cet effet, en apportant notamment un soutien moral à l'armée marocaine», rappelle son neveu.
Par ailleur et à la mémoire du militant assassiné, Omar Mahmoud Bendjelloun porte fièrement le prénom de son oncle. Il confie à Yabiladi que «c'est un prénom minutieusement choisi par [son] père (Ahmed Benjelloun)». L'avocat se rappelle également du contexte de ce choix :
«J'ai été dans la conception à partir du début de 1976, année qui marquait le procès de cet assassinat. La famille Benjelloun était partie civile, Me Berrada, Me Naciri et bien d'autres étant ses avocats. Ce prénom, de même que celui de Mahmoud en référence à Mahmoud Bennouna, m'ont été donnés par rapport à une idée de la continuité du combat et de la lutte… Mais cet usage n'était pas propre à la famille Benjelloun. En 1965 et 1966, une génération de militants a donné le nom de Mehdi à ses enfants, vu que Mehdi Ben Barka a été assassiné en 1965. Après le meurtre d'Omar Benjelloun, cette tradition a été maintenue en donnant ce prénom-là à plusieurs enfants de militants. Mon père était dans cette ligne, surtout qu'il était le frère du défunt.»
Depuis, Feu Omar Benjelloun n'a cessé d'inspirer son neveu. Sans avoir vécu en temps réel avec lui, il l'a accompagné à travers «les lectures, les réunions politiques à la maison, les visites en prison lors des différentes périodes d'emprisonnement du père, la présence à des meetings de soutien au peuple palestinien, les rencontres politiques et syndicalistes…» La mémoire du défunt aura ainsi façonné la conscience politique et intellectuelle de l'avocat dès son jeune âge : «Très tôt, je devais comprendre à travers l'histoire qui était qui, qui faisait quoi… Omar Benjelloun et Mehdi Ben Barka ont ainsi été présents dans mon esprit depuis la tendre enfance.»
Tout aussi présent dans l'esprit des personnes ayant pu le côtoyer, de même que celles et ceux qui doivent leur conscience citoyenne à ses écrits, Omar Benjelloun n'est pas oublié aujourd'hui. Chaque 18 décembre est marqué par la commémoration de sa disparition, dans plusieurs villes du Maroc.


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