Dans leur déclin, les Fatimides, perdant du terrain, se sont retranchés du Maroc vers l'Egypte. La présence chiite dans le royaume s'est amenuisée, et les Almoravides ont pu établir leur Etat indépendant. Ces derniers avaient conquis une grande partie de l'Afrique du nord, de l'Andalousie et du Sahara. Les nouveaux leaders du pays sont parvenus à éradiquer le dernier émirat chiite au Maroc, connu sous l'appellation des Bajalis. Histoire. Les Fatimides ont pu se diriger vers Ifriqiya (la Tunisie actuelle), au départ de la région de Kutama (Est algérie), dès que la situation s'est calmée. Ils ont réussi à éradiquer les Aghlabides (dynastie d'émirs issus de la tribu arabe de Banu Tamim) qui avait prêté allégeance aux Abassides dans le Machrek arabe. Malgré leur grande armée, la dynastie fatimide a trouvé des réticences fortes chez les citoyens et les hommes de foi vis-à-vis de leur doctrine chiite ismaélienne. Un conflit est né entre les partisans de Ubayd Allah Al-Mahdi et le reste des citoyens, à cause de la doctrine prêchée par les Fatimides dans les nouvelles terres conquises. Le leader des Fatimides a dû suspendre l'appel à rejoindre les rangs chiites, pour apaiser la situation, comme le relate le livre «L'étape de la propagation du chiisme dans le Maghreb arabe et son impact sur la vie littéraire» de Mohamed Taha El Hajiri. Caddi Ayad, pour sa part raconte dans un de ses livres que : «Les sunnites à Kairouan (ville en Tunisie, ndlr) du temps d'Ibn Abid, se cachaient beaucoup, comme s'ils étaient des parias. Dans leur vie quotidienne, ils faisaient face à des difficultés accrues. (…) Aux portes de leurs magasins étaient accrochées des têtes de moutons et d'ânes, avec des papiers où étaient écrits les noms des Sahaba (compagnons du prophète, ndlr). Si l'un des sunnites parlait ou bougeait il se faisait tuer et montré comme exemple.» L'architecture de la dynastie fatimide. / Ph. DR Cap vers le Souss Face à cette situation délicate, Hassan bin Ali bin Rashid Al-Bajali, parmi les premiers érudits choisis par les Fatimides pour propager la doctrine chiite ismaélienne et pour convaincre les gens de combattre de leur côté, a décidé de se diriger vers le Souss au Maroc, lors du IIIème siècle de l'an hégirien. Ce dernier a senti que la terre était propice à la propagation du chiisme, contrairement à ce qui se passait à Ifriqia. Le docteur Abdelmajid Najjar décrit le contexte de l'époque dans la région du Souss, dans son livre : «Al Mahdi Ibn Tumart : Sa vie, ses idées, sa richesse intellectuelle et sociale et son impact sur le Maroc». Selon l'auteur, les tribus de Souss vivaient «dans une extrême pauvreté». Ils étaient pourtant connus pour être «féroces et très forts». Abdelmajid Najjar indique aussi que ces tribus interprétaient tout d'une manière spirituelle. «Ils étaient connus pour pratiquer l'astrologie, la sorcellerie et étaient doués pour trouver des trésors cachés.» L'auteur continue sur sa lancée en qualifiant la région du Souss au Vème siècle de l'an hégirien de «centre scientifique de renom». Les habitants de la région sont connus pour être des gens simples avec une «profonde connaissance de la religion». Le Souss était en pleine effervescence au niveau des sciences. Vu ce contexte, Hassan bin Ali bin Rashid Al-Bajali a pu propager la doctrine chiite ismaélienne dans la région. Cela a été confirmé par Ibn Hazm, un historien, poète andalou et juriste dans son livre «Al-Fisal fi al-Milal wa al-Nihal» (La séparation concernant les religions, hérésies et sectes). En parlant d'Al Bajali, Ibn Hazm a écrit : «Cet infidèle a voyagé dans le Souss, dans la région la plus lointaine des tribus Masmuda. Il a induit en erreur le prince berbère Ahmed ibn Idriss ibn Yahya ibn Abdullah ibn Hussein ibn Hassan Ali ibn Abi Talib». Selon sa version des faits, l'historien indique que les tribus ont suivi une nouvelle doctrine, celle que Dieu a choisi Ali comme successeur du prophète Mohamed (paix et salut sur lui). Deux prières dans la même mosquée Le docteur Abdelmajid Najjar explique que la situation était tendue entre les sunnites et les chiites. La région vivait une sorte de guerre de doctrines où les chiites étaient à couteaux tirés avec les sunnites. Dans le livre «Al Mahdi Ibn Tumart : Sa vie, ses idées, sa richesse intellectuelle et sociale et son impact sur le Maroc», Abdelmajid Najjar écrit : «La relation entre les sunnites et les chiites n'était pas au beau fixe, c'était une relation d'exclusion et de tension permanente, envenimée par le caractère fort dont sont connus les habitants du Souss». Il y avait deux clans dans la région, les partisans d'Al Bajali et les Malékites. Les deux partis faisaient la prière dans la même mosquée, mais à différentes heures de la journée. Mohammed Al-Maghraoui, professeur à l'université Mohammed V à Rabat interviewé par le quotidien marocain Al Ittihad Al Ichtiraki a déclaré que le voyageur irakien Ibn Hawkal, qui avait visité le Maroc, en 350 de l'an hégirien, se rappelait que la prière avait lieu à deux reprises dans la mosquée de Taroudant. Les Malékites priaient en premier, puis quittaient la mosquée pour les chiites. Ibn Hawkal insiste sur le fait que les deux groupes étaient en confrontation perpétuelle. Un aperçu de l'armée de la dynastie almoravide. / Ph. DR Chassé par les Almoravides Près de deux siècles après l'avènement de la doctrine chiite au Maroc, dans la région du Souss, un groupe sunnite malékite était en train d'émerger, ce dernier posait les bases pour la dynastie almoravide au Maroc. Son fondateur, Abdallah Ibn Yassine imposait une discipline très stricte. Il avait formé une armée forte qui avait pour mission d'unifier le pays et mettre un terme aux guerres de doctrines. Abū al-Hassan 'Alī ibn Abī Zar' al-Fāsī indique dans son livre «Anis Al Motrib», un livre sur l'histoire médiévale du Maroc écrit lors de l'instigation du sultan mérinide, Abu Sa'id Uthman II que «lorsque Yahya ibn Omar (l'un des premiers leaders militaires des Almoravides, ndlr) est mort, Abdallah ibn Yassin a ordonné à son frère Abu Bakr ibn Omar et son armée d'envahir la région du Souss en 448 de l'an hégire, et envahir la tribu Al Massassid». «Abu Bakr ibn Omar était un homme doté d'une bonté extraordinaire. Il a apointé son cousin Youssef Ibn Tachfine Lamtouni, comme chef de guerre. Avec l'armée des Almoravides, ils ont entrepris d'aller vers la région du Souss, pour envahir la ville de Jazoula, Sijlmassa, Roudana et les terres alentours.» Selon la même source, l'émir Abu Bakr ibn Omar a combattu férocement et a réussi à battre les tribus. Les Almoravides ont pu envahir la ville de Sijlmassa, Roudana et toutes les régions du Souss. La tribu chiite de Roudana a été combattue avec force aussi, Abu Bakr ibn Omar a vaincu de force les opposants. Beaucoup de chiites sont morts lors du combat, et ceux qui ont survécu ont dû se convertir à l'islam sunnite. Les morts ont laissé de l'argent derrière eux, que l'émir a pris pour l'intégrer aux trésors de guerre des Almoravides. La doctrine sunnite est devenue légion puisque «toutes les tribus s'y sont converties et le leader almoravide Abdellah Ibn Yassine a ordonné que justice soit faite, que la zakat soit distribuée», ajoute le livre d'Ali Ibn Zar Al Fassi. Même son de cloche dans le livre d'Ibn Khalid Ibn Naciri «Istikssa li Akhbar doual lmaghrib Al Arabi» qui conforte les propos avancés par Ali Ibn Zar Al Fassi. Des séquelles du passage chiite au Maroc Même si les Almoravides ont réussi à éradiquer la présence du chiisme au Maroc, les séquelles de cette doctrine sont restées ancrées dans l'imaginaire et la culture des berbères et des Marocains en général. Beaucoup de traditions, de rituels et de croyances ont survécu jusqu'à nos jours. Par exemple, nombre de Marocains nomment leurs enfants Fatima Zohra, Zainab, Hassan, Houcine et Idriss. L'élément le plus significatif qui peut faire penser à la présence des chiites au Maroc est la célébration d'Achoura, une commémoration qui garde encore certains éléments de cette doctrine oubliée, comme sauter par dessus le feu, etc. L'un des anciens conseiller du roi, Abbas El Jirari a indiqué dans son livre «Achoura chez les Marocains» que certaines traditions chiites continuent de vivre dans la société marocaine, tels que la visite des marabouts Idriss le grand et Al Azhar ainsi que d'autres saints.