Depuis le 15 avril et jusqu'au 19 juin, Berlin accueille Yto Barrada. Un jury a élu l'artiste franco-marocaine «Artist of the year 2011» de la Deutsche Bank. Composé de photos, de sculptures, de vidéos et d'installations, «Riffs» est sa première grande exposition en Allemagne, à voir au célèbre musée Guggenheim de Berlin. Regards sur Tanger. Le choix d'Yto Barrada comme artiste de l'année 2011 de la Deutsche Bank n'a rien d'anodin. Si elle est presque inconnue du public allemand, son oeuvre s'inscrit pleinement dans les critères d'attribution de ce prix : internationalité, diversité, combinaison de questionnements et d'innovations artistiques avec des sujets à dimension sociale. Le prix lui vaut une exposition au musée Guggenheim, à Berlin, du 15 avril au 19 juin. Il est le fruit d'un parcours atypique. Des sciences sociales à l'art Avant de découvrir l'expression artistique, Yto Barrada a suivi des études l'histoire et de sciences politiques, à la Sorbonne, à Paris. Résidant pendant plusieurs années en Israël, c'est en prenant des photos pour illustrer ses textes, notamment en Palestine, qu'elle a commencé à donner la priorité à la photo sur l'écrit. Elle s'inscrit ensuite au Centre international de la photographie de New York et se convertit à la photographie sans pour autant perdre son regard critique nourri par les sciences sociales. Le film l'attire également, ce qui la pousse, avec d'autres, à rouvrir les portes du Cinéma Rif à Tanger. Il abrite, depuis 2007, la première cinémathèque du Maroc. Son intérêt se porte d'abord sur sa ville, Tanger, une ville en pleine évolution. Deux aspects reçoivent une attention particulière : l'urbanisation et la situation géographique de Tanger, à 14 kilomètres du continent européen et à la croisée des routes migratoire et touristique. Touristes et vagabonds Le détroit de Gibraltar, frontière entre l'Europe et le Maroc, ne laisse passer que ceux qui viennent du bon côté ou qui ont le bon passeport. «Par chance», comme dit Yto Barrada, elle est née en France ; elle a un passeport rouge : «le bon». Nombreux sont ceux qui ne sont pas dans cette situation mais qui ont le désir de partir vers le nord. Désir si bien illustré par Tahar Ben Jelloun dans son roman «Partir». A Tanger, la manière dont le sociologue Zygmunt Bauman classe les hommes dans l'ère de la mondialisation selon leur type de mobilité devient très tangible. D'un côté les «touristes», mobiles, pour qui la frontière n'est pas un obstacle, de l'autre, les «vagabonds», pour qui patienter devient une nécessité s'ils veulent passer la frontière. Cette division préoccupe Yto Barrada. Elle la ressent quotidiennement, quand elle voit, à Tanger et dans ses environs, des jeunes traîner dans l' attente d'un hypothétique départ. Nombre d'oeuvres exposées actuellement au Guggenheim tentent de capter cette division. Dans une interview à la RBB, une radio berlinoise, l'artiste marocaine explique l'une de ces oeuvres, une sculpture sur tableau représentant la carte du monde, exposée actuellement à Berlin (voir photo1). Les continents peuvent se déplacer anuellement ; Yto y montre un monde en mouvement. «Si l'on attend assez longtemps, la Méditerranée sera asséchée. Nous pourrons enfin aller de l'autre côté», dit-elle en rapprochant l'Afrique et l'Europe. «Pour le moment, c'est un sens interdit. Nous, au Maroc, nous attendons 10 millions de touristes, mais personne ne peut aller dans l'autre sens». L'urbanisation effrénée de Tanger 10 millions de touristes, ou même 20 millions à échéance 2020, supposent un Maroc en grand changement, lequel s'illustre par les grands chantiers en cours dans le royaume (voir photo 2). Tanger n'est pas une exception, la ville est «en train de devenir un nouvel endroit, mais nous ne savons pas quel modèle suivre», affirmait Yto Barrada lors de la remise du prix. «La Costa del Sol ? Serons-nous une grande maison de retraite pour Européens ? Serons-nous autre chose ? Je ne sais pas, mais c'est cela, la question.» Son rôle, elle le voit dans l'accompagnement, la documentation, le regard critique des évolutions de la société tangéroise et marocaine, sans pour autant émettre de jugement. Sa manière de travailler ? Rarement sur rendez-vous. «Je ne pars pas pour prendre des photos, j'ai toujours l'appareil photo avec moi et quand il y a quelque chose, je prends la photo. A chaque rendez-vous, je suis en retard. C'est comme cela que je travaille. Tout le temps.» Cet article a été précédemment publié dans Yabiladi Mag n°7