La Foire internationale d'art contemporain qui vient de s'achever sur les cimaises du Grand Palais à Paris est une manifestation qui a tout d'une fête pour les amateurs de peinture, de sculpture et d'installations. Je ne suis pas prêt d'oublier le gigantesque kangourou couvant une montagne de livres de poche qui semblait défier la numérisation de la bibliothèque mondiale et aura constitué la plus souriante expression de la créativité des artistes- plasticiens du monde entier dont les œuvres se jouxtent, qu'elles aient pour auteur des géants de l'art du XXe siècle ou les nouvelles vedettes de l'art contemporain. Il y a aussi des photographes parmi les exposants et j'ai été particulièrement impressionné par le travail du Libanais Akram Zaatari qui a pratiqué l'excavation d'un matériel d'archives, celui de son confrère Hashem al Madani, né en 1928. Son regard sur les photographies d'un devancier est généreux et grave, même si son sens de la fantaisie ou de la tristesse des destins s'exprime avec une liberté magnifique. On le voit particulièrement dans Body Builders. Les photographies d'Akram Zaatari ont fait l'objet d'une exposition El molesto asunto-The Uneasy Subject au Musée d'art contemporain de Castilla y Leon (Espagne) co-organisée par le Musée Universitaire d'art contemporain de Mexico. Zaatari est un photographe humaniste qui ne pratique pas l'art du pamphlet en images. Il affronte bravement la question de la douceur dans sa coexistence éventuelle et, sous ses yeux, plus patente qu'éventuelle avec la violence qui est en chacun parce qu'elle est dans monde, à moins que, plus probablement, elle ne se trouve dans le monde que parce qu'elle est puisée en nous. Mais il y a quelque chose d'amoureux dans le regard d'Akram Zaatari et, dans ses photographies, un air de défi heureux, tandis que ses boxeurs ont quelque chose de jovial, d'ironique ou de carrément tendre qu'on n'avait jamais vu avant qu'il n'en produise l'éclatante démonstration. Parmi les centaines d'œuvres montrées à la FIAC, ce fut un vrai plaisir que de retrouver les photographies tangéroises d'Yto Barrada, laquelle vient d'expliquer à la journaliste Emmanuelle Laqueux sa posture d'artiste : « Je ne veux plus faire de différence entre mon œuvre d'artiste et mon rôle à la cinémathèque de Tanger, les deux se développent dans l'échange, et la tentative de développer de nouvelles formes de solidarité. » On notera l'insistance sur le développement dans tous les sens du terme, et pas seulement celui qu'il a en photographie ! Le nuancier de roses d'Yto Barrada qu'exposait la galerie Polaris n'est pas l'œuvre d'elle qui m'a le plus retenu. Ces carrés qui montrent comment la couleur rose se déclinent ont bien moins de force que ces photographies tangéroises, lesquelles sont montrées à la Biennale de Venise jusqu'au 27 novembre. La reconnaissance internationale dont bénéfice largement le travail d'Yto Barrada n'est pas seulement impressionnante : elle est absolument méritée. Il y a dans l'ardeur que l'artiste met à nous faire voir Tanger autrement que sous l'angle passéiste d'une nostalgie présumée un acte net, vigoureux et sensible. On a pu grâce à une photographie partager en imagination les sensations éprouvées par telle femme en promenade dans la forêt de cèdres du Rif, ou encore observer un dauphin échoué sur une plage, avant de croiser le regard d'une baigneuse méditative à moins que perplexe. Yto Barrada qui a fait des études d'arabe, d'hébreu, de photographie, d'histoire et de sociologie est une artiste complète qui a recueilli dans un film des anecdotes et des récits mais sait sans phrases et sans un seul personnage à l'image, donner à penser la relation au site, par exemple lorsqu'elle photographie la route de l'Unité. Ce qui est étonnant dans son travail sur la réalité, c'est le vibrato qu'elle obtient, quand bien même elle photographie un groupe, d'immeubles et pas seulement lorsqu'elle montre un jardin de lauriers roses et affirme sa préférence pour les iris de Tanger. Sensible au présent le plus contradictoire, voulant témoigner de l'attente, de l'action, de l'inertie, de l'énergie et du découragement, Yto Barrada prospecte le réel avec un toucher de poète, c'est-à-dire en faisant sens, en refusant la mièvrerie consensuelle et en dévisageant l'azur, les déchets et les rêves à hauteur du possible et de l'impossible.