Les divisions au sein de la majorité gouvernementale ne sont plus un sujet tabou. Des clashs entre les députés du PJD et les ministres du RNI ont éclaté cette semaine au sein du Parlement. Analyses d'Abdessamad Belkebir et d'Abderrahim Elaalam. La majorité gouvernementale est actuellement chahutée par plusieurs clashs entre le groupe parlementaire du PJD à la Chambre basse et deux ministres du RNI. Au point que le ministre RNIste de la Justice, Mohamed Aujjar, a accusé mardi soir le parti de la Lampe de tenir un «double discours». Cela est-il étrange que deux partis appartenant à la coalition gouvernementale s'affrontent régulièrement ? C'est la question que nous avons d'abord posée à Abdessamad Belkebir. Pour le politologue et universitaire marocain, «il est bien connu que ce gouvernement a été formé dans des conditions factices et que ces problèmes ont débuté dès sa naissance». «Le PJD a un pied dans la coalition et un autre dehors» «Il faut rappeler que l'architecture du gouvernement ne fait toujours pas l'unanimité au sein du PJD et que les députés du Parlement qui sont contre le gouvernement sont plus nombreux que ceux qui le soutiennent», nous déclare-t-il. Dans son analyse, Abdessamad Belkebir rappelle aussi «le fait que le RNI lui-même n'est pas apte, puisqu'il ne figurait pas dans le premier scénario pour présenter le courant de l'Etat dans l'expérience gouvernementale». «C'était une place réservée au PAM. Le RNI a donc été mis dans la coalition à la dernière minute, ce qui a entraîné une modification de l'architecture du parti, comme le départ de Salaheddine Mezouar, l'arrivée d'Aziz Akhannouch et les changements des directions des sections locales», explique-t-il. «Il n'est donc pas surprenant de constater ce qui arrive aujourd'hui et ce qui arrivera à l'avenir parce que des facteurs étrangers imposent à ce gouvernement de résister et de tenir bon en dépit de toutes ces conditions. C'est normal que le limogeage d'Abdelilah Benkirane soit l'une des causes de cette situation parce qu'il a été trahi. On ne voulait pas porter atteinte à Benkirane sans son parti. Il fallait savoir combien ça a été difficile d'atteindre Benkirane sans porter atteinte au PJD. L'expérience du blocage a démontré que l'Etat veut un PJD sans Abdelilah Benkirane, ce qui est juste impossible.» Le politologue soutient la remarque faite par le ministre RNIste de la Justice : «Le PJD a un pied dans la coalition et un autre en dehors, puisque ses bases ne sont pas satisfaites du limogeage de Benkirane.» Il explique ensuite que cette situation risque de «perdurer, au moins jusqu'au Congrès du PJD en décembre». «Je pense qu'après le congrès, et si Benkirane est réélu, la position politique du parti vis-à-vis de la participation au gouvernement pourra connaître un changement, mais comme l'on sait, il y a au Maroc un gouvernement de l'ombre, ce qui s'explique par le fait que les choses se déroulaient normalement lorsqu'on a été sans gouvernement pendant cinq mois», enchaîne-t-il. Et Abdessamad Belkebir de conclure : «La situation n'est ni saine ni normale. L'éventualité d'un trébuchement est donc très probable.» La crise au sein du PJD à l'origine des maux ? Pour sa part, Abderrahim Elaalam, professeur de sciences politiques à l'Université Cadi Ayyad de Marrakech, estime aussi que «c'est un constat attendu puisque les divergences entre les partis de la majorité sont plus nombreuses que ce qui les réunit». «Ce qui les réunit, d'ailleurs, n'est que la volonté de faire partie du gouvernement», enchaîne-t-il. «On avait même prédit que le gouvernement disposerait de deux têtes : un chef du gouvernement du PJD, soutenu par les camarades de Nabil Benabdallah et un autre dirigé par le parti d'Akhannouch et soutenu par le parti de Sajid (UC, ndlr), de Lachgar (USFP, ndlr) et de Laenser (MP). Et c'est ce qui se passe aujourd'hui. Aujourd'hui, le gouvernement est soutenu par une majorité qui s'oppose à lui. C'est dû à la coalition hétérogène qui se base seulement sur l'envie de faire partie de l'exécutif.» Abderrahim Elaalam pense, lui aussi, que les clashs PJD-RNI s'accentueront dans l'avenir, même s'il reconnaît le rôle de Saâdeddine El Othmani pour atténuer la crise. «A mon avis, si Benkirane était chef de ce gouvernement, la coalition aurait éclaté dès les premiers mois.» Pour le professeur de l'Université Cadi Ayyad, «il y a une contradiction criante et non pas secondaire entre les visions du PJD et ceux du RNI. Le premier n'arrive toujours pas à réaliser comment ses positions ont été occupées par la Colombe et ses ministres marginalisés et affectés à des postes secondaires au gouvernement». Quant aux RNIstes, «ils se sont emparés de nouveaux ministères et de départements plus importants. Cette situation, les PJDistes ne sont pas prêts de l'oublier facilement», nous déclare-t-il. «Je pense que le problème ne réside pas au sein du gouvernement, mais plutôt entre les députés du PJD et les ministres RNIstes. Il est probable que la crise s'intensifie si El Othmani prend aussi la place de Benkirane à la tête du PJD», explique Abderrahim Elaalam selon qui, «dans ce cas de figure, au lieu de mettre la pression sur El Othmani, les PJDistes au Parlement mettront la pression sur les ministres d'Akhannouch et ceux de ses alliés». «La crise entre les députés PJD et les ministres du RNI influencera la coalition gouvernementale, puisque ses origines se trouvent au sein même du parti d'Abdelilah Benkirane et que c'est aussi une lutte entre le PJD et le pouvoir. Les clashs ne sont donc qu'une simple conséquence», conclut-il.