Au lendemain de l'annonce du gouvernement, quelles lectures et quel impact sur le PJD ? Yabiladi a posé ces questions aux professeurs universitaires Abderrahim Elaalam et Abdessamad Belkebir. Si le premier estime que ce nouveau gouvernement «donne l'impression de n'être qu'un simple remaniement ministériel», le deuxième considère que le nouvel exécutif est le «produit de plusieurs mains». Décryptage. Le gouvernement d'El Othmani a été reçu mercredi après-midi par le roi Mohammed VI à Rabat. Une nomination qui intervient six mois après les élections législatives qui se sont déroulées le 7 octobre dernier. Parallèlement, les membres du Parti de la justice et du développement (PJD) restent divisés, entre ceux dénonçant la nouvelle composition de l'exécutif que leur parti dirige et ceux appellant à prendre de la distance du nouveau gouvernement dirigé par Saâdeddine El Othmani, également président du conseil national du parti de la Lampe. Un gouvernement de technocrates, fustige Abderrahim Elaalam Les concessions présentées par El Othmani lors des tractations pour la formation du gouvernement impacteront-t-elles l'avenir du PJD ? Le nouveau gouvernement poursuivra-t-il le même «chemin de réforme» entrepris par son prédécesseur ? Contacté ce jeudi, le professeur universitaire Abderrahim Elaalam estime que ce nouveau gouvernement «donne l'impression de n'être qu'un simple remaniement ministériel». «Un remaniement ayant visé le chef du gouvernement en plus d'un échange de départements entre certains ministres. Presque 22 ministres de l'ancien gouvernement gardent leurs postes dans ce nouvel exécutif», explique-t-il. «La plus grande victime est le PJD puisque le RNI a maintenu ses départements tout comme le PPS. Hormis Bassima Hakkaoui qui a gardé son fauteuil, aucun ministre du PJD n'a été maintenu à son poste.» Le professeur des sciences politiques à l'Université Cadi Ayyad s'étale ensuite sur les technocrates au gouvernement d'El Othmani, estimant que leur nombre dépasse largement celui annoncé après la nomination. «Il faut ajouter Aujjar, Akhannouch et bien d'autres puisque le terme technocrate ne reflète plus la situation politique», commente-t-il. Pour lui, les technocrates sont «beaucoup plus nombreux et ne peuvent pas être les sept noms sans appartenance puisque d'autres n'ont été que colorés avant d'être intégrés dans des formations politiques mais restent finalement des technocrates». «Seul un dixième du gouvernement appartient à une formation politique et ce sont les ministres du PJD et du PPS. Quant au reste, leur situation rentre dans le cadre d'une définition plus large du terme technocrate», poursuit notre interlocuteur. Quant au PJD et ses militants qui se disent mécontents du nouveau gouvernement, Abderrahim Elaalam considère que c'est «plutôt le gouvernement et non pas le parti qui sera impacté». Abdelilah Benkirane avait gardé la main sur le parti pendant son mandat à la tête du gouvernement, alors qu'El Othmani risque d'être bien seul en cas de grogne populaire. Pour Abdessamad Belkebir, le peuple et le PJD sont les grands perdants De son côté, le politologue et professeur universitaire Abdessamad Belkebir pense que le nouveau gouvernement est le «produit de plusieurs mains». «C'est d'ailleurs la différence entre la formule de Benkirane qui se comportait comme un chef du gouvernement et donc représentait une seule main et ce gouvernement où plusieurs mains sont intervenues et qui sait, peut-être même étrangères», nous déclare-t-il. Il cite ensuite le fait qu'il y ait des islamistes au sein du gouvernement pour justifier ses dires. Pour cet ancien député parlementaire de l'USFP, «les mains nationales sont celles du ministère de l'Intérieur et d'autres services connus mais l'essentiel c'est qu'il s'agit de plusieurs interventions, ce qui explique ce qui s'est passé tout au long des six derniers mois puisque ce sont les mêmes qui ont entravé la formation d'un gouvernement avec une réelle direction». Et Abdessamad Belkebir de fustiger le nouveau gouvernement, estimant que le peuple et le PJD sont les grands perdants. «Le grand perdant dans toute cette histoire est le peuple marocain et le parti pour lequel il a voté. Ce parti va prendre cher alors qu'il a été impacté avant la nouvelle Constitution puis après les législatives du 7 octobre. A travers ce gouvernement, ils ont mis fin aux espoirs du peuple en revenant plusieurs pas en arrière à travers la création d'un gouvernement avec plusieurs têtes ce qui est juste absurde.» Toujours selon le professeur universitaire, «le ministère de l'Intérieur a renforcé sa place au sein du gouvernement», alors que le nouvel exécutif entreprendra la réforme menée par son prédécesseur «sans aucun horizon stratégique pour le peuple marocain». «C'est un gouvernement de technocrates et des makhzaniens et makhzaniennes puisque même la féminisation n'est qu'une mascarade. Le désespoir gagnera le peuple puisqu'il faut se poser la question sur l'avenir d'un gouvernement dépourvu du soutien populaire», poursuit-il. Contrairement à Abderrahim Elaalam, Abdessamad Belkebir pense que la composition du nouveau gouvernement aura un impact sur le PJD. «Il connaitra une secousse puisque le parti de la Lampe avant l'annonce de ce gouvernement ne sera pas le même après», nous déclare-t-il avant d'expliquer ses dire. «Il n'y aura pas de contradictions donc le parti poursuivra le travail pour la démocratie sans pour autant affronter ceux qui profitent du système antidémocratique mais il y aura une grande différence entre la gestion de cette stratégie par Benkirane et celle d'El Othmani», détaille-t-il. Mais selon lui, le PJD ne sera pas le seul puisque d'autres formations politiques seront aussi impactées. «L'USFP connaîtra aussi de grandes secousses puisque le proches du Premier secrétaire ont été choqués de voir que d'autres sont devenus ministres dans le nouveau gouvernement. Parallèlement, Al Adl Wal Ihsane renforcera ses bases puisque le mouvement islamique qui espérait des résultats positifs suite à la participation à la vie politique se rendra compte que le chemin mené par la Jamaâ reste le plus adéquat.» Il prédit même que le prochain gouvernement n'a pas d'avenir. «Ce que son prédécesseur a relativement réussi n'est autre que la stabilité qui n'est pas une chose facile actuellement», nous dit-il. Et le professeur universitaire de conclure par rappeler «les bombes à retardement et sans retardement à l'instar de la situation dans le Rif, ce qui mène à prédire que le nouveau exécutif ne pourra pas finir son actuel mandat.»