Saâdeddine El Othmani, nouveau chef de gouvernement désigné a débuté sa mission par une série de rencontres menées hier à Rabat avec les leaders de six partis politiques. Cela confirme-t-il la rumeur selon laquelle il ne dispose que de 15 jours pour former son cabinet ? Qu'est ce qui a changé par rapport à l'ère de Benkirane ? Les réponses des politologues Omar Cherkaoui, Mohamed Zineddine et Abderrahim Elaalam. En l'espace d'une journée, Saâdeddine El Othmani, nouveau chef de gouvernement désigné, a enchaîné mardi 21 mars à Rabat six entretiens avec les partis les plus représentatifs à la Chambre des représentants. Il a rencontré Ilyas El Omari du PAM, Aziz Akhannouch et Mohamed Sajid de l'alliance RNI-UC, Nabil Benabdallah du PPS, Mohand Laenser du MP, Driss Lachgar de l'USFP et les représentants du Parti de l'Istiqlal. Un rythme accéléré qui confirme les rumeurs selon lesquelles le nouveau chef de l'exécutif dispose seulement d'une quinzaine de jours pour former son cabinet. Pour l'heure, ces bruits qui courent n'ont été ni confirmés ni démentis par les militants du parti de la Lampe. L'éventuel délai de 15 jours est-il réel ? Que traduisent ces rencontres successives ? Pour Omar Cherkaoui, politologue et professeur universitaire, «il n'est pas évident de parler d'un éventuel délai de 15 jours donné par le roi au nouveau chef de gouvernement». «L'information reste difficile à confirmer ou à infirmer. Toutefois, ce qui est sûr, c'est que le roi a donné depuis le 7 octobre dernier deux leçons : la première, c'est la désignation d'un chef de gouvernement deux jours après l'annonce des résultats du scrutin ; la seconde, c'est la désignation de Saâdeddine El Othmani, au lendemain de la publication du communiqué du cabinet royal annonçant la fin de la mission d'Abdelilah Benkirane», analyse l'universitaire. Le politologue insiste sur l'«attention majeure au temps» accordé par le roi. «Cela impose un message politique ayant beaucoup d'effet sur les acteurs politiques. Il est donc inconcevable que le roi accélère le rythme des nominations alors que la formation du gouvernement nécessite du temps. Il faut aussi prendre en considération que rien n'impose au roi de désigner un chef dans un intervalle de temps précis.» Omar Cherkaoui de poursuivre : «Cela prouve que le rythme des consultations démontre une volonté de donner au temps une signification politique.» De son côté, Mohamed Zineddine, professeur de droit constitutionnel et de sciences politiques à l'Université Hassan II de Casablanca, envisage la possibilité d'un délai imposé au nouveau chef de gouvernement. «Au sujet des 15 jours éventuels donnés à El Othmani, c'est un fait qui pourra accélérer la formation du prochain exécutif puisqu'il n'y a plus de temps à perdre», dit-il. Le professeur préfère toutefois évoquer l'importance d'une révision constitutionnelle pour que cela ne se reproduise plus. «Je pense que la situation actuelle et ce qui s'est passé invite à une révision constitutionnelle urgente, non seulement concernant l'article 47 mais aussi sur la gestion de la durée de formation d'une coalition. Il est important d'imposer un délai, peut-être d'un mois, pour la formation du gouvernement, à l'instar de la Tunisie. Sinon, il y aura un vide constitutionnel.» Le professeur à l'Université Cadi Ayyad, Abderrahim Elaalam préfère quant à lui se référer à la Constitution. «Rien n'est sûr quant à ce délai. Ce qui est certain en revanche, c'est que la Constitution n'impose pas un délai précis pour le chef de gouvernement», répond-t-il. Pour lui, le fait qu'El Othmani accélère le rythme est «peut-être sa façon de dépasser le précédant blocage». «Mais ce n'est qu'un petit round de consultations lors duquel le nouveau chef du gouvernement exprime à tout le monde sa bonne volonté. Ce qui s'est passé hier n'était que des rencontres de courtoisie pour prendre le thé et se prendre en photo, ni plus ni moins.» Quel changement ? Qu'est ce qui a changé par rapport aux consultations menées par Abdelilah Benkirane avant son limogeage ? Pour Abderrahim Elaalam, «la précédente phase intervenait au lendemain d'une campagne électorale féroce et une concurrence politique entre deux grandes formations politiques, à savoir le PAM et le PJD». Le politologue estime que «cela aurait été normal, si Saâdeddine El Othmani était celui chargé de réunir une coalition, qu'il ne s'assiérait pas avec le leader du PAM. Aujourd'hui, le timing selon lui contribue au changement. «Plus on s'éloigne du 7 octobre, plus les crises et les bras de fer perdent en intensité et en teneur. Je crois que c'est ce qui a changé. L'échec lors de la première phase dirigée par Abdelilah Benkirane marquera les esprits des organisations institutionnelles et de celles partisanes.» De son côté, Omar Cherkaoui préfère éviter le mot «rupture». «On ne peut pas parler de rupture mais on peut dire qu'il y a une méthodologie qui tend vers le changement. Il faut se rappeler qu'El Othmani ne commence pas à zéro et donc qu'il n'y a pas de table rase», nous explique-t-il. Pour le politologue, «les vraies positions se démarqueront lors de la deuxième phase». Mais pour Mohamed Zineddine, «l'intervention du roi est un message politique à destination de tous les partis politiques et non seulement au PJD, pour se montrer plus flexible puisque la rigidité des positions était mal placée et ne donnent pas de résultats». Le professeur de l'Université Hassan II estime aussi que «cette nouvelle atmosphère contribuera à former un nouveau gouvernement dans le plus bref des délais». Quelle formule adéquate compte tenue de la situation actuelle ? Il enchaîne, déclarant que selon son avis, «l'ancienne coalition reste la formule la plus adéquate pour un nouveau gouvernement, avec l'alliance RNI-UC» avant de justifier ce scénario par le fait que «la réserve ne concerne que l'USFP», victime d'une «personnification d'un bras de fer entre Lachgar et Benkirane». Une éventuelle composition évoquée aussi par Omar Cherkaoui qui estime que le nouveau chef du gouvernement dispose de quatre choix et trois formules possibles. «Une formule classique avec la même majorité que le gouvernement sortant, une formule avec l'ancienne coalition en plus de l'USFP et une formule, moins probable, avec une coalition PJD-PAM», nous répond-t-il. Sinon ? «Saâdeddine El Othmani retournera pour annoncer son échec au roi», dit-il. Même Abderrahim Elaalam parle de cette formule, de plus en plus probable. «Même coalition précédente ou gouvernement avec l'USFP et le PI. Je pense que ces deux derniers, soit ils rentreront ensemble, soit ils ne figureront pas dans le prochain exécutif, sinon on se retrouvera avec un gouvernement avec un pôle dirigé par El Othmani sous la supervision du secrétariat général du PJD, et un deuxième pôle dirigé par Aziz Akhannouch», conclut-il. En attendant l'annonce de la formation du très attendu gouvernement, plus de 5 mois après la tenue des élections législatives d'octobre 2016, les yeux des Marocains restent rivés sur Saâdeddine El Othmani qui a donc encore de longues journées marathon devant lui.