La Commission chargée du suivi du dossier sur la spoliation des biens immobiliers s'est réunie vendredi à Rabat sous la présidence du nouveau ministre de la Justice, Mohamed Aujar. Ce dernier a rectifié le nombre de dossiers annoncé par son prédécesseur, faisant état de 57 affaires devant la justice. Les associations critiquent ce chiffre et dénoncent leur mise à l'écart. Le nouveau ministre de la Justice Mohamed Aujar a présidé, vendredi à Rabat, une réunion de la commission chargée du suivi des dossiers sur la spoliation des biens immobiliers. L'occasion d'inviter ses membres à «poursuivre la mise en œuvre des mesures proposées pour endiguer ce phénomène». «Jusqu'à aujourd'hui, 57 cas liés à la spoliation immobilière ont été déférés devant les juridictions du Royaume», a-t-il indiqué. D'après la MAP, 15 affaires sont dans la phase de l'enquête préliminaire, tandis que 9 sont devant les juges d'instruction et 33 dossiers ont été soumis aux juridictions de jugement, dont 13 devant la Cour de cassation. «Les biens visés par la prédation appartiennent dans la majeure partie des cas à des Marocains résidents à l'étranger ou à des expatriés», a indiqué Mohamed Aujar, cité par la même source. Nos confrères d'Alyaoum 24 rapportent quant à eux que les journalistes n'ont pas pu assister à la rencontre et se sont contentés de la déclaration du nouveau ministre avant de rebrousser chemin. «Après avoir livré une brève déclaration qui ne contient aucune nouveauté sur le travail de la commission, le ministre a quitté la salle pour reprendre la réunion», commente le journal arabophone. Les associations de défense des victimes grincent toujours des dents. Contacté par Yabiladi, Mohamed Moutazakki, président de l'Association des victimes de la spoliation (AVS), dénonce la mise à l'écart de la société civile dans le cadre de ce dossier. «Nous n'étions pas présents lors de cette rencontre. Nous avions déjà été reçus par deux conseillers de Monsieur Aujar, qui nous avaient promis de reprendre contact avec nous. Aujourd'hui, nous n'avons plus aucune nouvelle d'eux», confie-t-il. Il souligne que l'absence de représentants directs des victimes a été pointée du doigt lors de ce premier contact, fustigeant également les chiffres annoncés par le nouveau ministre de la Justice. «Ils (les conseillers du ministre, ndlr) nous ont demandé de leur préparer les doléances des victimes, ce que nous sommes actuellement en train de faire. Nous gérons plus de 700 familles qui ont été spoliées, alors que le ministère avance un chiffre de 57 dossiers. Nous ne sommes pas d'accord avec ce chiffre.» «Un petit chiffre» Le président de l'AVS estime que «le ministre devait consulter toutes les parties prenantes dont les victimes et leurs représentants». «Nous sommes toujours en train de préparer des résumés sur toutes les affaires dont nous disposons. Je pense que les propos du ministre sont précoces», commente-t-il. Face aux 57 dossiers avancés par le ministre, Mohamed Moutazakki évoque «près de 1 000 plaintes». Ce dernier d'insister : «Et ce ne sont que les gens qui nous ont approchés.» «Il est dangereux d'avancer un nombre qui ne représente qu'un petit chiffre sur un ensemble très large en réalité. A Kenitra, des citoyens avaient acquis 82 lots de terrain avant qu'une mafia falsifie des contrats et leur demande actuellement de libérer ces terrains. Doit-on parler d'un seul dossier ou de 82 familles dans ce cas puisque chacun a présenté sa plainte ? Sa Majesté le Roi n'a-t-il réagi que pour 57 cas ?» Si Mohamed Moutazakki considère que «le nouveau ministre de la Justice» n'est pas «à blâmer», il estime toutefois que les victimes doivent être «écoutées». «Nous demandons aussi d'appliquer un programme d'écoute et de réconciliation. Lorsqu'on vous spolie de votre bien immobilier et que vous êtes mis à la porte et obligé d'aller ester en justice pour que justice soit faite, ce n'est pas une situation normale : on détruit votre vie, vos enfants ne sont plus scolarisés… Certains perdent même leur travail», s'insurge-t-il. Mohamed Moutazakki va même jusqu'à dénoncer un «terrorisme social» qui guette les victimes. «Je crois qu'ils veulent classer le dossier sans suite, sans lui donner son aspect réel. Des pressions sont probablement exercées», lâche-t-il. «Il s'agit là d'un début qui n'enchante pas et ne rassure aucunement» les victimes des méfias immobilières. Une centaine de dossier, selon Massaoud Leghlimi Même son de cloche chez Maître Massaoud Leghlimi. L'avocat de l'Association pour le droit et la justice au Maroc (ADJM) assure qu'il n'était pas au courant de cette réunion : «Même si j'ai fourni plusieurs affaires relatives à la spoliation immobilière et que je défends des victimes depuis 2012 jusqu'à aujourd'hui, je n'ai pas été approché.» Rappelant que la commission anti-spoliation immobilière a été constituée par le précédent ministre de la Justice suite aux deux lettres royales, l'avocat casablancais ne manque pas de remettre en question les dires de l'actuel ministre de la Justice. «Le ministre évoque des mesures législatives et pratiques, mais jusqu'à maintenant, nous ne constatons pas les efforts qu'il évoque. Il y a toujours des dossiers qui piétinent, des plaintes déposées et des dossiers devant la police. Je ne nie pas l'existence d'efforts de la part de la Justice et du parquet général, la BNPJ, qui est spécialisée dans ces affaires, mais il faut reconnaître que cette dernière a d'autres dossiers à traiter.» Plutôt que de parler de 57 affaires, il préfère évoquer une centaine de dossiers. «Il faut aussi rappeler que plusieurs personnes n'ont pas encore été poursuivies. Ces gens-là représentent les têtes des réseaux criminels et des mafias immobilières. Ce sont des hommes d'affaire connus et célèbres», poursuit Massaoud Leghlimi. Appelant à «multiplier les efforts», l'avocat du Barreau de Casablanca insiste «sur le fait que ce qui a été fait jusqu'à aujourd'hui reste très limité». Tout comme Mohamed Moutazakki, Massaoud Leghlimi se dit «étonné» du fait que la société civile n'ait pas été consultée. «Normalement, on est partie prenante dans les dossiers de spoliation. On doit être invités à ces tables rondes. Les victimes doivent aussi être représentées soit par leurs associations, ou au moins par leurs avocats vu que ce sont ces derniers qui consultent les dossiers et savent où sont les problèmes.» Contacté par Yabiladi à deux reprises ce lundi, le ministre de la Justice n'a pas donné suite à notre requête. Mohamed Aujar ne semble pas vouloir changer ses démarches, préférant marcher dans les pas de son prédécesseur. Les victimes, dont le nombre ne cesse d'augmenter depuis l'annonce des lettres royales, ne sont toujours pas rassurées.