3 des 4 prévenus ont été reconnus coupables, jeudi 7 avril, de fraude et fausses déclarations aux organismes sociaux français. Le jugement pourrait faire jurisprudence alors que les chibanis déclarés coupables sont maintenant dans une situation très précaire. Avec des retraites ne dépassant pas 200 euros par mois et sans toucher les aides supplémentaires (minimum vieillesse, aides au logement), trois retraités marocains résidant à Perpignan doivent aujourd'hui rembourser entre 7000 et 9000 euros aux services sociaux français et payer une amende de 1000 euros avec sursis. Ils ont été déclarés coupables, jeudi 7 avril, de fraude et fausses déclarations aux organismes sociaux par le Tribunal correctionnel de Perpignan. Leur faute : avoir passé plus de temps en dehors du territoire français que ne le permettent les règlements des organismes concernés : entre 3 et 6 mois. Un quatrième chibani a été innocenté.La Caisse d'Allocations Familiales (CAF), la Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail et le Conseil Général des Pyrénées Orientales s'étaient portés parties civiles. Jugés coupables Les juges n'ont pas formulé d'explications détaillées, mais, de toute évidence, les arguments de maître Chninif n'ont pas pesé assez lourd. Lors du procès qui s'est tenu le 31 mars, l'avocat a plaidé non coupable, en avançant trois arguments. Premièrement, les retraités n'auraient pas été informés des règlements, il y aurait eu «manquement des organismes sociaux à leurs devoirs d'information et de renseignement». Une tâche d'autant plus importante qu'un certain nombre d'entre eux ne parle pas français et est analphabète. L'avocat a, par ailleurs, soulevé la question de la discrimination : pourquoi les contrôles qui ont mené au procès touchent spécifiquement les retraités marocains ? Légalement, rien ne peut forcer une personne à montrer son passeport aux employés de la CAF ou un autre organisme social. C'est la raison pour laquelle maître Chninif a conseillé à ses clients de ne plus montrer leurs passeports en cas de contrôle. Malgré cela, la CAF a fourni aux juges des documents indiquant les sorties du territoire des personnes avisées. Ces fiches de mouvement proviennent de la police des frontières marocaine, mais il n'y a «aucun cadre légal pour l'échange de tels documents entre la France et le Maroc», précise maître Chninif. Ces documents, sans tampon officiel, n'auraient «aucune valeur juridique», selon lui. Acharnement contre les chibanis ? Aller jusqu'au Maroc pour obtenir des «preuves» contre les retraités marocains témoigne de l'importance des moyens mis en oeuvre pourcontrôler les chibanis. Sont-ils démesurés ? La CAF estime que non. Ils entrent dans les procédures habituelles pour vérifier les déclarations des allocataires : contrôles sur pièces administratives, contrôles sur place, vérifications interne des dossiers, «contrôle issu des échanges informatiques avec nos partenaires», énumère M. Peyroles, responsable des relations presse. Face aux retraités marocains, la CAF ne s'est pas contenté de contrôles, et les procédures à l'encontre des retraités marocains durent depuis bientôt un an. En mai 2010, une lettre informait près de 150 d'entre eux de la suppression de leurs aides au logement. Elle a pris effet en septembre dernier. Les procédures devant la commission de recours de la CAF, le Tribunal des affaires de sécurité sociale et la HALDE se sont multipliées. D'autres organismes sociaux ont emboîté le pas à la CAF, et certains retraités marocains se voyaient menacés d'expulsion de leurs logements, faute de moyens pour payer les loyers. Perpignan n'est pas la seule ville touchée. En 2008, à Argenteuil, une centaine de chibanis avait refusé de montrer ses passeports aux contrôleurs de la CAF. Les aides au logement ont été coupées quelques mois plus tard, mais la HALDE a jugé cette suppression discriminatoire. En 2010, Toulouse a vu naître un collectif de défense des chibanis, car, là aussi, ils sont confrontés à des suppressions d'aides et des demandes de remboursement. «Justice et dignité pour les chibani-a-s» avait même organisé un festival, en novembre 2010, pour attirer l'attention sur la situation de ces vieux Maghrébins qui ont passé une grande partie de leur vie en France. Les membres du collectif s'inquiètent aussi bien de la situation financière que psychologique des retraités concernés, ainsi que de leur santé. Face à l'impuissance, la colère monte A Perpignan, les difficultés financières se font également beaucoup sentir. Si, légalement, les trois retraités déclarés coupables par le Tribunal correctionnel pourraient faire appel, les moyens financiers nécessaires à un nouveau procès sont difficiles à rassembler. S'ils ne font pas appel, ils devront rembourser les aides sociales dans de brefs délais, car un report du paiement n'est pas possible, explique maître Chninif. Comment rembourser 7000 euros avec, par exemple, une retraite de 34 euros par mois ? Face à cette impossibilité, la colère se dirige, notamment, contre les autorités marocaines : elles ont livré aux autorités françaises les documents qui ont servi à inculper les ressortissants marocains. L'Association des travailleurs maghrébins de France avait parlé de «coup de poignard dans le dos» des retraités marocains de Perpignan. «Vous ne pouvez pas vous imaginer la colère des chibanis», affirme maître Chninif à l'issue du procès. Les retraités marocains ne sont cependant pas au bout de leurs peines. De nouveaux procès sont prévus dans un proche avenir contre plus de 30 d'entre eux. Le jugement rendu le 7 avril pourrait faire jurisprudence. Cet article a été précedemment publié dans Yabiladi Mag n°6