Samedi 25 mars, Saâdeddine El Othmani, numéro deux du PJD et nouveau chef du gouvernement, parvenait à former une coalition gouvernementale après 5 mois de blocage en consentant à la dernière exigence du RNI : la participation de l'USFP. Thierry Desrues, chercheur à l'Institut des études sociales avancées (IESA) de Cordoue-CSIC et responsable de la rubrique Maroc au sein de la revue «L'Année du Maghreb», revient pour Yabiladi sur les causes de ce retard dont la responsabilité a souvent été attribuée un peu rapidement à Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD. Yabiladi : Quelle était la cause profonde du blocage qui a conduit au renoncement de Benkirane ? Thierry Desrues : D'abord, le système électoral décourage les gens de s'inscrire et, pour ceux qui sont inscrits, d'aller voter. Il favorise une certaine fragmentation et empêche l'émergence d'un parti politique capable d'obtenir la majorité absolue. Le parti qui obtient la majorité relative est donc contraint de composer avec ses anciens opposants pour former une coalition. Les partis ont également une faible emprise sur la société. D'abord, certains partis sont des franchises qui ne jouent pas leur rôle de socialisation et d'encadrement politique de la société. Le nouveau patron du RNI - Aziz Akhannouch - a déclaré vouloir y remédier dans les prochains mois alors que, rappelons-le, ce parti qui a près de 40 ans a été de tous les gouvernements depuis sa création. Ensuite, même quand un parti de militants comme le PJD peut se targuer de jouer son rôle et parvient largement en tête du scrutin, le nombre relativement faible de voix qu'il a récoltées par rapport au nombre d'inscrits ou de Marocains en âge de pouvoir voter, permet à ses détracteurs de relativiser sa popularité ou sa légitimité à incarner en exclusivité la volonté populaire. Enfin, apparaît le rapport de force entre les têtes du RNI et du PJD. D'une part, l'inflexibilité d'Aziz Akhannouch, ministre de l'Agriculture en fonction, en constituant une alliance avec l'Union constitutionnelle (UC), le Mouvement populaire (MP) et l'USFP, a imposé au chef du gouvernement alors désigné une coalition clé en main. D'autre part, Abdelilah Benkirane, fort de la progression du PJD en nombre de sièges et après cinq années passées à la tête du gouvernement, ne pouvait commencer la législature par une abdication. Or Aziz Akhannouch n'a pas fait de concessions préalables qui lui auraient permis d'accepter cette coalition tout en sauvant la face. Faut-il voir dans les multiples conditions posées par Aziz Akhannouch à sa participation au gouvernement la volonté du palais d'entraver les islamistes ? On ne peut pas écarter cette hypothèse. Le roi, qui a semble-t-il été agacé par Abdelilah Benkirane à plusieurs reprises au cours de la précédente législature, n'a jamais montré un grand enthousiasme vis-à-vis du PJD. Pour autant, Mohamed VI a respecté la lettre et l'esprit de la Constitution en désignant le secrétaire national du PJD. Aziz Akhannouch s'est chargé d'empêcher celui-ci de gouverner, notamment en imposant l'UC et surtout l'USFP dans la coalition gouvernementale ; cela semblait inéluctable après l'élection d'Habib El Malki à la présidence de la Chambre des représentants. Cette élection a été une humiliation pour le PJD. Dès lors, le blocage ne pouvait finir qu'avec le renoncement d'Abdelilah Benkirane. La trajectoire historique du RNI, la proximité d'Akhannouch avec certains conseillers du roi ainsi qu'avec le roi lui-même et son refus de reconduire la coalition du précédent gouvernement à l'identique font effectivement penser à une résistance du sérail. Rappelons qu'Aziz Akhannouch est arrivé à la tête du RNI suite à la démission de Salaheddine Mezouar, qui avait justifié cette décision en déclarant avoir tiré les leçons des mauvais résultats électoraux de son parti. C'est ce même parti qui, en changeant de leader, a soudainement compris les règles de l'arithmétique des alliances parlementaires et partant, saisi le talon d'Achille de Benkirane. Le feuilleton de la formation avortée du gouvernement au cours des cinq derniers mois alimente la thèse de la récupération, à travers le jeu des coalitions parlementaires, d'une partie du pouvoir que le PJD avait gagné au moyen du suffrage universel. Dans ce contexte, pourquoi Abdelilah Benkirane n'a-t-il pas cherché à former une coalition gouvernementale sans le RNI ? Il ne le pouvait plus à partir du moment où Aziz Akhannouch a annoncé sa candidature à la tête du parti. Etant donné son poids politique et économique, Aziz Akhannouch ne s'est pas lancé dans l'aventure pour conduire seulement l'opposition parlementaire. Dans son discours du 6 novembre, le roi avait lui-même insisté sur l'incorporation des compétences pour affronter les défis à venir. Le ministre de l'Agriculture depuis 2007 est l'incarnation de ces «compétences». Quant au Mouvement populaire et à l'USFP, ils ont choisi de lier leur avenir à l'alliance RNI-UC. La dernière campagne électorale a fait émerger une forme de bipolarité de la scène politique PAM/PJD, mais le RNI apparaît à l'issu de ces 5 mois de blocage comme le véritable rival du PJD. Quels sont les rapports entre le PAM et le RNI ? Un journal en ligne avait titré en mai 2016, en reprenant un entretien du ministre de l'Agriculture dans un autre quotidien, qu'Aziz Akhannouch, ministre de l'Agriculture, ne se présenterait pas aux prochaines élections législatives, n'ayant pas d'ambitions politiques au sein du RNI. Ce même journal annonçait trois mois plus tard, reprenant à nouveau des informations publiées dans un autre journal, que l'homme d'affaires était pressenti au poste de chef du gouvernement, sous les couleurs du PAM. Si Aziz Akhannouch avait pris la tête du PAM l'été dernier, quelle suite le roi aurait donné à l'échec d'Abdelilah Benkirane ? Aurait-il fait appel de nouveau au PJD ou se serait-il tourné vers le parti arrivé en seconde position ?