Comme en économie, la confiance est nécessaire : elle est l'un des éléments soutenant les facteurs de production, sociale en l'occurrence. Cet état d'esprit existe-t-il en ce début d'année alors que la recherche d'une majorité est à l'ordre du jour ? Pas vraiment. Les parties prenantes - les partis politiques concernés et le reste ... - n'arrivent sans doute pas à un accord parce que par-delà ce qui est dit dans leurs demandes respectives prévaut aussi, à une dose variable mais significative, cette préoccupation. Au fond, c'est aussi cela qui bloque le processus de mise sur pied d'une majorité : la question de la garantie d'un cabinet stable, cohérent et homogène. Tout le monde se réclame des orientations royales et du recadrage du discours de Dakar, le 6 novembre dernier; mais c'est leur déclinaison qui reste encore problématique. C'est qu'il y a un passif et il n'est guère aisé à apurer comme si de rien n'était. Il n'y a pas en effet une page blanche alors que subsiste dans les esprits des acteurs un stock de faits et de pratiques. Référence est d'abord faite au précédent cabinet. Durant trois ans, le RNI appelé à la rescousse le 10 octobre 2013 - en suppléance au retrait de la formation istiqlailenne de Hamid Chabat - a sans doute fini la législature, mais avec de sérieux griefs. Le président de ce parti a fait ainsi plusieurs sorties, en avril 2016, pour critiquer la gouvernance du Chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane et pratiquement le déficit de concertation. Des griefs de même facture que ceux mis en avant par Chabat pour justifier le retrait de son parti. Serait-on donc en face d'un fait rédhibitoire, propre au leader du PJD ? La question peut se poser. L'insuffisante solidarité et collégialité s'est encore vérifiée à la veille du scrutin législatif d'il y a trois mois lorsque le cabinet sortant n'a pas été en mesure de présenter son bilan. Pourquoi ? Parce que le RNI n'a voulu assumer que les trois années de sa participation (2013 – 2016), une manière de souligner en creux que les années 2012- octobre 2013 étaient stagnantes, et dans le même temps de surligner qu'il est l'initiateur et l'accompagnateur des réformes menées, notamment dans les secteurs économiques. Pas de quoi, donc, conforter un climat de bonne entente. Le rendez-vous électoral du 7 octobre 2016 n'a pas arrangé les choses : tant s'en faut. C'est le PJD qui réalise en effet le meilleur score avec 125 sièges contre 107 en 2011; ses alliés enregistrent, eux, un recul : RNI (37 contre 60), MP (27 contre 32) et même PPS (12 contre 18). Rien d'étonnant que ces résultats suscitent chez eux de l'aigreur. Il faut ajouter que la lecture que fait le PJD de ces chiffres détériore également leur état d'esprit. Ce parti se prévaut du choix des électeurs qui l'ont placé en tête et plus globalement de la «volonté du peuple». Ce faisant, il se présente volontiers comme un «parti-peuple», alors qu'il n'a obtenu que 1.600.000 voix sur quelque sept millions de suffrages exprimés et 31% des sièges. Une manière de jeter le doute sur la «légitimité» des autres partis, surtout en direction de son principal concurrent, le PAM présenté comme l'expression du «tahakkoum» (autoritarisme). Si la formation de Ilyas El Omari se range dans l'opposition dès la proclamation des résultats, Abdelilah Benkirane lui-même précise que son parti est ouvert à toutes les formations, exception faite précisément de ce parti du tracteur. Suit alors un cycle de rencontres et de négociations. Les étapes en sont connues. Dès le lendemain du 7 octobre, le PPS puis le PI de Hamid Chabat s'allient au PJD. Le RNI, lui, enregistre la démission de son président, Salaheddine Mezouar, le 12 octobre et son remplacement par Aziz Akhannouch. Un processus acté deux semaines plus tard, lors d'un congrès extraordinaire le 29 octobre. Benkirane, chef du gouvernement désigné par le Roi le 10 octobre, doit donc attendre ces assises. Le 30 octobre, a lieu alors le premier entretien avec Akhannouch. C'est aussi le premier acte du blocage, le président du RNI demandant notamment la non-participation du PI et se prévalant de surcroît de l'accord conclu avec l'UC (20 sièges) de Mohamed Sajid pour former un groupe parlementaire commun au sein de la nouvelle Chambre des représentants. Mais, dès les jours qui suivent, Benkirane ne respecte pas la confidentialité de cette proposition et le fait «fuiter» dans la presse, plaçant Akhannouch dans l'embarras. Un autre cycle de rendez-vous mettra plusieurs semaines à reprendre, le président du RNI, par ailleurs ministre de l'Agriculture et de la Pêche maritime, faisant partie de la délégation officielle accompagnant SM le Roi dans son périple en Afrique de l'Est. Benkirane n'a pas d'autres choix que d'attendre... Pareille situation pèse davantage sur le climat des rapports entre les deux partis. Pour sa part, le MP de Mohand Laenser (27sieges) se range du côté du RNI. Les contacts ne reprennent qu'au milieu de la semaine dernière, le 4 janvier. Lors de cet entretien, Benkirane fait une offre de participation au RNI et Akhannouch précise qu'il donnera une réponse deux jours plus tard, le vendredi 6. Une proposition de même nature est faite le même jour au MP, à savoir la reconduction de la majorité sortante (PJD, RNI, MP, PPS). Mais voilà que sans attendre ce délai, Benkirane se fend d'un communiqué dès le jeudi 5 janvier pour déclarer que c'est bien la majorité sortante qui doit être reconduite, une position officielle de son parti publiée d'ailleurs dans un communiqué de son instance exécutive, le secrétariat général. Samedi, le chef du gouvernement désigné rappelle, dans une déclaration à la presse, qu'il attend toujours la réponse du RNI. Dimanche 8 janvier, le RNI et le MP ainsi que l'USFP et l'UC, dans un communiqué conjoint, réitèrent leur disponibilité à poursuivre les consultations avec lui pour parvenir à une majorité gouvernementale harmonieuse et solide qui sert les intérêts supérieurs du pays. A Oujda où il présidait une réunion régionale de son parti, Akhannouch précise que le RNI n'avait pas prévu de répondre à l'offre de Benkirane, puisque ce dernier a publié, sans attendre le délai prévu, un communiqué sur la configuration définitive de la majorité. Benkirane réagit dans les heures qui suivent en annonçant alors la fin de toute discussion avec le RNI et le MP en ajoutant que ni l'USFP ni l'UC n'étaient parties prenantes dans son offre, ni dans une majorité qu'il s'employait à mettre sur pied. Jusqu'à mercredi 11 janvier, tel était l'état des lieux. Va-t-on dépasser cette impasse et trouver une sortie de crise. En tout état de cause, rien ne pourra être bâti sur des bases conséquentes si les acteurs n'instaurent pas entre eux un nouveau climat de confiance. Est-ce possible ? Des gages probants devront être donnés par les uns et les autres pour créer les conditions d'une alliance. Pour l'heure, il y a fort à faire pour y arriver. Par Mustapha SEHIMI, Professeur de droit politique