Onze jours après sa nomination en tant que chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane n'en est qu'au début de ses consultations pour former sa majorité. Les alliances les plus inattendues commencent à apparaître. Au Maroc, les consultations en vue de la constitution d'une alliance gouvernementale se passent dans un tel désordre que les analystes politiques n'ont pas intérêt à s'aventurer dans des pronostics. Contre toute attente, l'Union socialiste des forces populaires (USFP, gauche), ennemie déclarée du PJD, s'est dite disposée à participer au gouvernement d'Abdelilah Benkirane. « Nous avons décidé de mener des consultations avec le nouveau chef de gouvernement et nous attendons sa proposition », a déclaré le secrétaire général de l'Union, Driss Lachgar, à l'issue d'une réunion de concertation avec le chef islamiste le mercredi 19 octobre. Le même Lachgar qui, à la veille des élections du 7 octobre, avait prévenu « d'un scénario à la syrienne » si jamais le parti islamiste devait arriver en tête… Perdant mais audacieux Au terme du scrutin législatif, l'USFP a perdu la moitié de ses sièges au Parlement (20 contre 42 en 2011), une des plus importantes défaites de son histoire, mais cela ne l'a pas empêchée de répondre à l'invitation de ses adversaires idéologiques, ni de leur faire part de de ses vues sur la présidence du parlement. « Il faut éviter de trop interpréter ces premières consultations qui n'augurent en rien de la participation de l'USFP. Tout ce qui se joue actuellement, y compris la présidence du perchoir, ce ne sont que des cartes de négociation que notre parti entend jouer pour peser dans la nouvelle équipe au pouvoir », affirme un membre du bureau politique de cette formation. Il n'en reste pas moins que ces potentielles alliances contre-nature ont de quoi dérouter. Un bloc islamo-socialiste Avec ce virage, l'USFP voudrait rejoindre ses anciens partenaires de la Koutla (une coalition formée par les socialistes de l'USFP, les nationalistes de l'Istiqlal et les anciens communistes du PPS sous Hassan II mais qui n'a jamais vraiment fonctionné), qui sont d'accord pour pactiser avec les islamistes afin de faire contrepoids aux penchant conservateurs de ces derniers. Le 17 octobre, à l'issue d'une réunion avec l'état major de l'Istiqlal, Driss Lachgar avait fait savoir que son parti ferait tout pour « l'intérêt de la nation » et pour éviter tout retard dans la formation du nouveau gouvernement « qui pourrait paralyser les institutions ». « La stabilité du pays doit émaner d'un effort collectif qui transcende les conflits politiques », a t-il doctement déclaré. Dans les rangs de la gauche, le virage à 360 degrés du patron socialiste a eu l'effet d'une douche froide. D'autant qu'il se trouve aux antipodes de la position de la Fédération de la gauche démocratique (FGD), invitée à participer au prochain gouvernement et qui a adressé une fin de non recevoir à Abdelilah Benkirane pour « divergences idéologiques ». « Certes, cette fédération ne pèse que deux sièges au Parlement mais elle est restée fidèle à ses principes », se désole un ancien membre de l'USFP. Le nouveau positionnement de Driss Lachgar, notre source ne s'en offusque pas outre mesure : « on sait tous qu'il a toujours été du côté gagnant », lâche-t-elle. La variante RNI S'ils arrivent à s'entendre, le PJD, l'USFP, le PPS et l'Istiqlal formeraient 203 sièges au Parlement, un peu au-dessus du seuil exigé pour former une majorité. Mais rien n'est encore joué. Le Rassemblement national des indépendants (RNI), occupé à préparer son congrès extraordinaire du 29 octobre qui officialisera Aziz Akhannouch au poste de secrétaire général, ne s'est pas encore prononcé. Si Benkirane l'invite à participer, il pourrait se présenter avec ses alliés de l'Union constitutionnelle (UC) avec qui il a formé un groupe parlementaire commun pesant 56 députés, soit la troisième force du Parlement après le PJD et le PAM. Le PAM dans l'attente Le seul parti qui paraît isolé pour le moment est le Parti authenticité et modernité (PAM), obligé d'attendre que chacun se soit positionné vis-à-vis du PJD pour former son opposition. Mais il a déjà commencé son travail de parti opposant en annonçant son intention d'adresser un mémorandum au roi demandant un amendement de la Constitution dans le but de mieux encadrer l'exercice du pouvoir et de faire barrage à l'instrumentalisation de la religion dans les campagnes électorales. Le PJD n'a qu'à bien se tenir. Une chose est sûre, ses consultations gouvernementales sont parties pour durer.