Alors que tout le monde redoute, voire attend que le Maroc soit à son tour balayé par les vagues d'émeutes qui secouent le Maghreb, Tahar Ben Jelloun lui est de tout autre avis. Pour l'écrivain franco-marocain, le Maroc d'aujourd'hui «n'a rien à voir» avec ce qui se passe en Tunisie et qui hante l'Algérie. Le Maroc pouvait être concerné s'il agissait encore du temps «des années de plomb», mais cette époque est dépassée. Ce qui s'est passé en Tunisie n'est pas une «révolution» mais plutôt une «révolte qui est arrivée par hasard» ! Ce point de vue est de Tahar Ben Jelloun, le poète-écrivain, franco-marocain. Il répondait ce lundi (24 janvier) aux questions des confrères de la radio France-Info. Interrogé sur l'éventualité d'une contagion de cette «révolte» au Maroc, le lauréat du Prix Goncourt dégage en touche tout effet domino : «Le Maroc n'a rien à voir avec tout ça. La presse est assez libre, les gens respirent, les gens parlent» ! Le Maroc épargné… Le Maroc ce n'est pas la Tunisie laisse-t-il supposer. Car pour l'auteur de «Cette aveuglante absence de lumière», c'est plutôt «le Maroc de Hassan II (qui) ressemblait à cette Tunisie». Dans le Maroc d'aujourd'hui, la colère, même si elle existe, «peut être atténuée, on peut chanter, on peut crier, on peut gueuler» d'autant plus que, poursuit l'académicien, «la presse est assez libre». De même, «il n'y a plus de disparitions, dans les commissariats, il n'y a plus de torture» croit savoir l'auteur de «L'Homme rompu». Autant de différences qui, malgré «la corruption», ne font pas «un ensemble explosif comme en Tunisie». …mais pas l'Algérie... L'Algérie fait partie de ces «régimes arabes (qui) tremblent en silence» soutenait un peu plus tôt dans Le Monde (édition du dimanche 23 - lundi 24 janvier), celui qui a écrit «L'Ange aveugle» en 1992. Le voisin de la Tunisie et du Maroc est «un pays riche avec un peuple pauvre» avance-t-il sur les ondes de France-Info, après avoir soutenu dans les colonnes du quotidien français que «c'est un système militaire qui tient le pays depuis l'indépendance et qui ne lâche rien». ...et d'autres voisins arabes L'armée algérienne «fait des affaires avec l'argent du peuple» accuse Ben Jelloun. «Une malédiction» selon lui, paraphrasant dans ce sens, l'écrivain algérien Rachid Mimouni (1945-1955) l'auteur de «Malédiction» (Stock, 1993). L'Algérie, «au peuple magnifique» fait partie avec «la Libye et l'Egypte» de ces «sociétés dans le monde arabe où tout les ingrédients sont réunis pour que tout explose». Des sociétés dirigées par des «guignols bruts et cruels» aux cheveux «gominés qui sèment la détresse et le malheur parmi le peuple» ! Ce qui n'est pas le cas du Maroc où la situation «n'est pas comparable» insiste Tahar Ben Jelloun. Tahar est-il objectif ? L'écrivain a-t-il vraiment raison ? Ne tente-t-il pas uniquement d'épargner son pays d'origine ? On ne saurait répondre. En tout cas, trois personnes ont déjà tenté de s'immoler au Maroc, d'autres ont soutenu la révolution du jasmin. Cela reste sans effets majeurs pour le moment. Mais de là à dire, comme le fait Ben Jelloun, que «le Maroc n'a rien à voir avec tout ça», c'est aller vite en besogne. Interview de Tahar Ben Jelloun sur France Info 24 janvier 2011