En ce 1er avril, il y a des blagues qui ont du mal à passer. Même s'ils sont très sérieux, ceux qui ne croient pas à la vague d'insécurité touchant Casablanca depuis plusieurs jours et qui s'est soldée par l'arrestation de plusieurs suspects, ne manquent pas d'humour... involontaire, sur les réseaux sociaux. Pour affronter le comique de l'absurde, rien de tel que l'ironie. Alors pour répondre à ces défenseurs de la manipulation médiatique, nous vous contons ici l'histoire de la genèse du phénomène baptisé Tchermil. Nous avons obtenu en exclusivité mondiale le contenu de la discussion entre 3 hauts responsables marocains. (Ndlr : Aucun ne travaille pour la marque de jus Valencia). «Comment faire oublier notre incompétence dans la gestion de la ville de Casablanca ?», s'interrogent le wali, le préfet de police et le maire, réunis dans une villa à Anfa Sup. L'inspiration fait défaut au préfet et au wali. Les yeux sont donc rivés sur Mohammed Sajid. Un élu n'est-il pas censé être un homme de terrain ? Acculé à balbutier une idée, il se lance, sans trop de conviction : «Je propose de repeindre les passages piétons du boulevard Massira Al Khadra et de mettre plus de boules en inox sur les trottoirs». Excédé par le manque d'imagination du maire, le préfet lui rétorque : «Et pourquoi pas planter des panneaux publicitaires à la place des palmiers ?» Le scud a fait son effet, et Sajid ne sachant plus où se mettre, plonge la tête dans son plat. L'inspiration est dans le plat 10 minutes sont passées sans qu'aucune nouvelle idée ne jaillisse des méninges de nos 3 compères. Le wali savourant son diner, n'hésite pas à essuyer son assiette avec un morceau de pain. - «Hmida, votre poisson était délicieux. Quel est votre secret ?», a-t-il demandé au cuisinier. - «Tchermila a Sidi.», répond le cuistot originaire de Sidi Moumen. On ne sait pas si c'est le mot tchermila ou les omega3 du poisson qui ont fait leur effet, mais la plus grande opération de communication dans l'histoire de Casablanca allait naître de cette marinade aux herbes et à l'ail. - «Ikéa» s'écria Sajid, agitant victorieusement son verre de Oulmès, arrosant au passage le préfet de police d'eau pétillante. - «Vous voulez dire : Eurêka, je suppose !», rectifie le wali, grand amoureux d'Archimède. - «Pour faire oublier la mauvaise gestion de la ville, je propose une campagne de communication pour montrer qu'il y a une insécurité croissante à Casablanca. Ainsi, les citoyens effrayés, oublieront de nous demander des comptes sur la gouvernance de la ville. Les délinquants pris dans un mouvement qu'on appellera Tchermil, seront les seuls responsables de la mauvaise gestion de la capitale économique (ndlr : aussi économique que les logements du même nom)», lança d'une traite l'éternel maire de Casa. - «Mais monsieur Sajid, n'est ce pas nous trois autour de cette table, les principaux responsables de la sécurité de la ville ?», corrigea le préfet de police. L'heure tardive ne permettait pas de prolonger la discussion plus loin, alors le wali trancha : «Monsieur, avez-vous une meilleure idée ?» - «Heu...», balbutia le préfet. - «Dans ce cas, adjugé vendu ! Contactez tous les médias, pour qu'ils nous assurent une couverture aux petits oignons. Sajid, vu que vous n'avez pas arrêtez d'envoyer des messages sur facebook pendant le diner, vous vous occuperez de l'opération Tchermil sur les réseaux sociaux. Je veux des photos de bandits à la mine patibulaire. Pas les beaux gosses proposés habituellement par les agences de com pour vos affiches. Mais mettez-moi quand même des filles, parité oblige. C'est pour rester dans l'esprit de la nouvelle constitution !», ordonna le wali. Changement d'ambiance L'opération Tchermil se déroula comme prévue. À part quelques personnes éclairées sur les réseaux sociaux qui ont flairé la manipulation, tous les autres se sont laissés embarquer dans l'illusion de l'insécurité. Au marché, les mamies craignent désormais pour leur cabas plein de tomates et d'oignons. Les jeunes hypster du Maarif ont ressorti le bon vieux Nokia 3310 pour laisser leur iphone 5S à la maison. Les salons de coiffures ont augmenté le prix du brushing pour inclure une prime de risque. Les magasins La Grande Récré et Joupi ont doublé leur chiffre d'affaire de la semaine grâce aux nombreuses ventes de pistolets à eaux, de fusils à fléchettes et de faux insignes de shérif. Même madame Tazi habitant Anfa Sup, celle du sketch de Gad El Maleh (oui nous l'avons retrouvée car c'est cela notre métier !) est effrayée. Mais courageuse, elle n'a pas voulu céder à la psychose et elle a décidé de continuer son rituel du vendredi. Elle est ainsi allée à son centre de soins et d'esthétique habituel. Devant la porte du salon, elle a toutefois voulu minimiser les risques en envoyant Driss faire la manucure et l'épilation à sa place. Epilogue Malgré la peur disséminée dans les quartiers de la ville blanche (enfin blanche cassée, voire même grise), tous les citoyens casablancais applaudissent l'action exemplaire des autorités de la ville. En premier lieu son maire qui a profité de cette semaine agitée pour repeindre les passages piétons du boulevard Massira Al Khadra. Signe incontestable de la réussite de cette importante opération de communication, les sondages annoncent une cote de popularité pour Mohammed Sajid, qui est passée de 2% à 98%. Comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, les prétendues victimes d'agressions ou de vols qui se sont déclarées cette semaine sur les réseaux sociaux, ont toutes reçu un agrément de transport pour petit taxi, pour service rendu à la ville. Un petit cadeau qui vient couronner leurs efforts pendant les cours du soir à distance dispensés par le Cours Florent. Ironie de l'histoire, le fils de Hmida s'est fait arrêté vendredi dernier. Il est présenté comme étant le boss de Tchermil à Casablanca. Pour le cuistot, la sauce a désormais du mal à passer.