Depuis au moins quatre ans, des chercheurs alertent sur les effets des activités humaines qui accentuent les conséquences de la sécheresse, faisant que l'oued Moulouya n'arrive plus à atteindre son embouchure vers la Méditerranée. Déjà asséché ces dernières années, le site ne se déverse plus dans la mer, comme l'ont constaté des spécialistes sur place, ces derniers jours. Site d'intérêt biologique et écologique (SIBE) dans l'Oriental, l'oued Moulouya ne se déverse plus en mer, menaçant ainsi un écosystème déjà fragile. Dans la région, des universitaires et des écologistes mettent en cause les installations de stations de pompage destinées à l'irrigation, qui se sont multipliées en accentuant l'impact sur le débit du fleuve vers son embouchure, à rebours des promesses sur un contrôle strict de ces activités. Ingénieur agronome et docteur en géographie, Mohamed Benata a confirmé à Yabiladi un constat sur lequel il alerte depuis plusieurs années. Egalement président de l'Espace de solidarité et de coopération de l'Oriental (ESCO), coordinateur de l'Ecolo plateforme du Maroc du Nord (ECOLOMAN), le chercheur s'est rendu sur les lieux les 13 et 15 décembre 2024. Dans le cadre d'une sortie scientifique de terrain, il a pu documenter en images la rive du fleuve entièrement détachée de la mer. Ce point d'eau a en effet laissé place à une dune sableuse, facilement accessible à pied entre les deux rives. En temps normal, celles-ci ne peuvent être traversée que par voie maritime. Cette coupure menace de transformer la zone en marécage, ce qui favoriserait les phénomènes d'eutrophisation. Un débit écologique réduit à zéro Selon Mohamed Benata, «la situation est très grave», d'autant qu'elle se répète désormais. «C'est le scénario catastrophique que nous avons prédit, tout en espérant qu'il ne se produirait pas. Mais il s'est finalement concrétisé et nous avons alerté dessus durant ces quatre dernières années», nous a-t-il déclaré. Embouchure asséchée de la Moulouya / Ph. Mohamed Benata Maroc : Hécatombe chez les poissons du lac de Sidi Boughaba Avec la mise en service de la station de pompage d'Ouled Settout en 2021, chercheurs et écologistes de la région ont attiré l'attention des responsables, «à commencer par le ministère de l'Agriculture, sur les conséquences au niveau local, surtout que l'oued Moulouya est connu pour son débit moyen, entièrement régulé par les barrages qui l'entourent», rappelle le spécialiste auprès de notre rédaction. Dans le temps, la réponse du département de tutelle a été «une déclaration sur l'engagement à veiller au respect du débit écologique», pour assurer un seuil minimal d'écoulement naturel et préserver ainsi les écosystèmes aquatiques, où l'embouchure vers la mer joue un rôle central. «Après les barrages, il reste les sources qui donnent un peu d'eau, avec un débit de la partie basse de l'oued Moulouya estimé à 7 mètres cubes par seconde. En 1995, une première station à Moulay Ali l'a fait baisser à 3,1 m3/s, réparti entre l'activité agricole et les besoins de la nature. En 2021, la station d'Ouled Settout s'est ajoutée, réduisant encore le débit à 1,6 m3/s. L'eau douce a commencé à se faire de plus en plus rare et la salinité des sols agricoles en aval a augmenté.» Mohamed Benata Ph. Mohamed Benata Face à cette situation, Mohamed Benata et un groupe de chercheurs dans la région ont fait un recensement, dont le résultat est alarmant. Il dit avoir comptabilisé, sur les quatre dernières années, «plus de 100 stations de pompage privées qui ont poussé de manière anarchique dans la partie basse, sans autorisation de l'Agence du bassin hydraulique de la Moulouya». Par conséquent, «la zone humide a été desséchée, le débit écologique a disparu, de même que la liaison vitale entre l'oued et la mer». Kénitra : Sous le poids du béton, les zones humides se meurent «Un phénomène d'une grande gravité» Pour les spécialistes des zones humides, «c'est un phénomène d'une grande gravité, qui met en péril un nombre d'écosystèmes fragiles depuis plus d'un an». Selon Mohamed Benata, les autorités locales et les administrations de tutelles ont également été alertées sur la situation d'un Site d'intérêt biologique et écologique. Le chercheur l'explique : «A l'aide d'engins, les parties concernées ont procédé à un désensablement pour assurer une réouverture de l'embouchure. Or, les écologistes dont nous faisons partie les ont interpellés sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'une problématique ponctuelle nécessitant uniquement une intervention humaine de la sorte, mais bien d'une problématique environnementale qui risque de mettre en péril l'équilibre naturel de la région.» Mohamed Benata Les deux rives séparée de l'embouchure du Moulouya / Ph. Mohamed Benata Face à cette situation, Mohamed Benata insiste sur le respect des conditions minimales pour la pérennité de l'écosystème du site, où «le débit écologique permet de conserver le lien entre la mer et l'oued, ce qui est nécessaire aux espèces aquatiques qui migrent entre les eaux douce et salée, se procréent dans le Moulouya et croissent en Méditerranée». Maroc : Les zones humides deviendront-elles les déserts de demain ? Le pire constat, selon le chercheur, est le que le cas de l'oued Moulouya n'est tristement plus inédit. Mohamed Benata rappelle notamment «ce qui s'est passé précédemment au niveau d'autres embouchures et de zones humide menacée au Maroc, comme Oum Rabiî, Tensift, des lacs du Moyen-Atlas desséchés, à force d'installations anarchiques de stations de pompage». Article modifié le 20/12/2024 à 20h35