Les spécialistes marocains ont de tout temps dressé un sombre bilan et souvent tiré la sonnette d'alarme pour ce qui est la protection des zones humides du Royaume. C'est au Haut-commissariat aux eaux et forêts et à la lutte contre la désertification qu'échoit généralement l'honneur de veiller sur nos prairies inondables, ruisseaux, lagunes, vallées alluviales, marais, marécages, tourbières naturelles ou crées, bref toute zone où l'eau est stagnante ou courante, douce, saumâtre ou salée, y compris des étendues d'eau marine pour peu qu'elles soient conformes à la définition de zone humide de la Convention de Ramsar. Le Maroc en compte quelque 300 sur une superficie totale de 400.000 hectares dont 150 sont classées comme Site d'Intérêts Biologiques et Ecologiques (SIBE) et jusqu'au 2 février dernier (journée mondiale des zones humides cette année sous le thème « zones humides et biodiversité »), 26 seulement étaient inscrites sur la liste des zones humides internationales de la convention Ramsar. Le Maroc a adhéré en octobre 1980 à la convention Ramsar qui date de février 1971. Le Royaume pour ce faire, inscrivait quatre zones humides totalisant une superficie de 28.750 ha, à la convention en 1980. Ces zones humides principalement côtières sont la Merja de Sidi Boughaba, la Merja Zerga (Kénitra), Aguelman Afenourir (Ifrane) et la baie de Khnifiss (Tarfaya). Depuis le 02 février 2020 donc, 12 nouvelles zones humides marocaines ont été intégrées à la liste des zones humides d'importance internationale de la convention Ramsar. La stratégie nationale en matière des zones humides 2015-2024 a pour objectif d'inscrire 30 nouveaux sites pour porter le nombre à 54 à l'horizon 2024. Aujourd'hui, en intégrant 12 nouvelles zones humides, le nombre total des sites Ramsar au Maroc a atteint 38 sites totalisant une superficie globale de 314.675 ha. Une intégration officiellement annoncée le 23 mai dernier, en marge de la commémoration de la journée internationale de la biodiversité, par le Haut-Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la Désertification (HCEFLCD). Le nombre de sites inscrits à ce jour à la convention Ramsar est de 38. Un comité national des zones humides regroupant le HCEFLCD, le Département de l'Environnement, les institutions de recherche et les ONG actives dans le domaine de la préservation des zones humides a été institutionnalisé. Mohamed Benata « Le rôle et l'importance des zones humides sont reconnues par la communauté internationale et font l'objet de nombreuses conventions pour les préserver et les protéger. Les services écosystémiques rendus par ces zones humides sont indéniables », dit à Hespress Fr, Benata Mohamed, Ingénieur Agronome, Docteur en Géographie, président de l'Espace de Solidarité et de Coopération de l'Oriental. Et de poursuivre « ces derniers fournissent l'eau et la purifient tout en rechargeant la nappe phréatique, protègent contre les inondations, les sécheresses et assurent la protection du littoral. Les zones humides regorgent de biodiversité, jouent un rôle crucial dans le maintien de la diversité faunistique et floristique et sont un moyen vital de stockage du carbone et de lutte contre les changements climatiques ». Dar Bouazza menacé par la spoliation immobilière Mohamed Benata, en faisant un topo sur le zones humides du Maroc, salue « les efforts louables déployés dans le domaine de la gestion et la préservation des écosystèmes fragiles des zones humides et des aires protégées que le Royaume signataire de nombreuses conventions internationales relatives à la protection des zones humides, de la biodiversité, des oiseaux, de la faune sauvage et de la flore fournit et ce grâce à l'appui de nombreuses instances internationales (MedWet, FEM, GEF, GIZ, RAMSAR, BM, PNUD, UICN...) ». Il se félicite, de même, qu'en 2010 la loi sur les aires protégées a été promulguée (loi n° 22-07 2010 par le Dahir n° 1-10-123) et l'inventaire national des zones humides du Maroc finalisé. Cependant, déplore l'expert, « malgré tous ces efforts et la bonne volonté affichée par les autorités marocaines chargées de la gestion des zones humides, et un cadre législatif apparemment favorable à une mise en gestion réelle de ces zones, comme la Charte Nationale de l'Environnement et du Développement Durable, la Loi sur l'Eau et la loi sur les aires protégées, il a été constaté que l'intégralité des zones humides au Maroc continuent à se dégrader de façon alarmante à la suite de la pression anthropique, de l'urbanisme et de la pollution liquide et solide ». « La plupart de zones humides répertoriées, y compris les sites Ramsar ou SIBE sont soumises à une forte exploitation des ressources naturelles. Certaines zones sont dans des stades de dégradation très avancés. En plus des conditions climatiques, les actions de l'homme restent prédominantes et accélèrent leur rythme de dégradation », se lamente Mohamed Benata. En effet, l'enregistrement de zones humides à l'échelle internationale, les lois réglementant l'activité près des espaces naturels protégés ou encore la police environnementale n'ont pas eu raison de la spoliation immobilière qui tue ces sites à petit feu comme par exemple, la Merja de Fouarat, la Lagune Smir, le SIBE de la Moulouya, le Complexe du bas Tahaddart, la zone humide de Oualidia… Moulouya L'ingénieur agronome nous fait, en outre, part de sa crainte quant aux régions du Royaume menacées, et plus particulièrement la sienne, le SIBE Ramsar de la Moulouya (fleuve long de 600 km qui prend naissance à la jonction du massif du Moyen et du Haut Atlas dans la région d'Almssid dans la province de Midelt et se jette dans la mer Méditerranée (dans les plaines de Kebdana, Rif). « Le SIBE Ramasar de la Moulouya es menacé par la pression anthropique pendant la période estivale. Le pompage pour l'irrigation en agriculture menace le débit écologique et le dessèchement de cette zone humide », dit-il. La cause, incrimine Benata, « un projet en cours de construction d'une nouvelle station de pompage au niveau de la Commune de Ouled Setout pour l'approvisionnement en eau potable et l'irrigation en agriculture. Le plan d'approvisionnement en eau de la Région de l'Oriental 2020 – 2027 prévoit la construction de quatre nouveaux barrages sur la Moulouya dont un au niveau de Mechraa Saf Saf qui va condamner le débit écologique du SIBE de la Moulouya ». L'urbanisation est une autre menace ainsi que l'extension de l'agriculture ». Puis de nous énumérer les zones humides menacées : « La lagune de Oualidia risque d'être drainée et desséchée pour l'extension de l'urbanisme tandis que celle de Smir connait des opérations de remblaiement pour l'extension de l'urbanisme ». Pire, s'alarme notre interlocuteur, « Dar Bouaza est une zone humide en danger de disparition. De plus, c'est une zone du domaine public hydraulique qui risque d'être immatriculé par un privé, un scandale véritable au Maroc dont on se serait passé volontiers ». Dayat Aoua asséchée Et le Président de l'Espace de Solidarité et de Coopération de l'Oriental d'exprimer ses craintes sur le sort de Dayat Aaoua, « elle a été complètement asséchée à la suite de puits creusés pour l'irrigation en agriculture ». Du site Ramsar de Tahadert, il dit, « sa superficie a connu une régression significative à la suite de l'extension de l'agriculture et de son dessèchement », et pour Dayat Takadoum (SIBE de Bouregreg), il déplore le « remblaiement pour la construction d'un marché« . Vraiment triste pour la capitale, soupire-t-il. Et de conclure: « Malgré les discours et déclarations officiels à l'occasion des événements internationaux comme les COP, les Conférences et les Séminaires organisés par les Nations Unies, nous constatons dans les faits au Maroc, un manque de volonté politique évident pour assurer aux zones humides classées ou non classées une protection effective. En outre, plusieurs ONG Marocaines très actives dans la préservation et la protection de ces zones fragiles ne sont pas consultées, sont marginalisées et écartées par les autorités chargées d'assurer la gestion des zones humides et le point focal de Ramsar au Maroc ».