Le procès militaire des 24 accusés poursuivis pour meurtre et mutilation de 11 éléments des forces de l'ordre à Gdim Izik en novembre 2010, promet de rester dans les annales judiciaires. Alors que les avocats de la défense récusent le tribunal militaire, les familles des victimes demandent que justice soit faite. Entre les deux associations de droits de l'homme et observateurs internationaux sont aux aguets. Reportage. Il est 9 h 30 ce mercredi 13 février devant le tribunal militaire de Rabat, quartier Agdal. Tout semble indiquer qu'un évènement important se trame derrière les murs de cette cour. Des agents de la sûreté nationale sont dispersés un peu partout devant le tribunal. Juste en face, les familles des victimes et des détenus. A chacun son camp et ses propres banderoles. Les premiers demandent que justice soit faite sans aucune considération politique. Les seconds veulent un procès équitable et pointent du doigt la juridiction militaire. «A travers leurs déclarations et slogans, ceux qui ont assassiné mon fils tiennent à tout prix à rendre ce procès politique. Or, il s'agit de crimes avec mutilation de cadavres. Mon fils, qui était un gendarme, a été sauvagement assassiné en plein exercice de ces fonctions. Je suis également attristé par l'attitude de certaines associations et observateurs qui se sont focalisés sur les assassins sans se donner la peine de nous rendre visite ou entendre nos doléances», confie Miloud Belhouari, père de feu Anas Miloudi. Pas loin, campent les familles des détenus. Méfiantes à l'égard de la presse nationale, elles nous renvoient à leur coordinateur qui se trouve à ce moment là dans la salle où se déroule procès. Une affiche exprime leur position. «Le recours à une juridiction militaire fait perdre la légitimité de ce procès». A l'intérieur, le tribunal regorge de militaires surtout de gendarmes Il faut passer par les services de contrôle. Le hall grouille également d'uniformes militaires. Ils ont pour mission de faire les contrôles des visiteurs mais aussi nous troquer magnéto et téléphone contre un badge, notre sauve-conduit pour la salle d'audience. Selon certains confrères habitués à ce tribunal, il s'agit d'une formalité tout à fait ordinaire. La salle d'audience est bondée. Mais ce qui frappe le plus, c'est le nombre impressionnant des militaires qui la parsèment. Les détenus, en habit traditionnel sahraoui «Deraiya», sont installés devant. Juste derrière, se trouve la défense. L'on distingue aussi dans la salle des étrangers placés derrière les avocats. L'on saura après qu'il s'agit d'observateurs internationaux venus spécialement pour suivre ce procès. Parmi eux, Amnesty international, membres du parlement européen et autres. Les témoins se trouvent aussi dans la salle. Un calme total règne, la séance à déjà commencé. En civil, le juge, souriant et très communicatif a répondu positivement à la demande de la défense sur l'état de santé de l'un des détenus, en l'occurrence Abdeljalil Laâroussi. Il ordonne son envoi à l'hôpital militaire à Rabat. La traduction de cette décision s'est faite simultanément en français, anglais et espagnol, manière de faciliter la tâche aux observateurs étrangers. Juste après, le juge appelle à la barre les 14 témoins (5 pour la défense et 9 comme témoins à charge). Dans un ton rigolo mais sérieux, histoire de détendre l'atmosphère surtout après l'altercation avec la défense lundi dernier, le juge rappelle aux témoins les peines encourues en cas de témoignage mensonger. Une fois les serments prêtés, les témoins commencent à répondre aux questions de la défense. Compétence militaire ou civile Au début de ce procès, le juge Zehhaf en charge de ce dossier a rejeté illico presto la demande de la défense contre le recours au tribunal militaire. Il rappelle les dispositions de l'article 3 du chapitre 2 du dahir de 1956 formant le code de la justice militaire et qui stipule que «Sont également justiciables du tribunal militaire : toutes personnes, quelle que soit leur qualité, auteurs d'un fait, qualifié crime, commis au préjudice de membres des forces armées royales et assimilées.». Parmi les victimes militaire se trouvent justement 11 décédés. Un argument que partage le juriste Issam Lahlou, observateur et membre de l'Organisation marocaine des Droits de l'Homme (OMDH). Selon lui, «le recours à la juridiction militaire dans cette affaire est tout à fait légal. L'usage de la juridiction militaire au Maroc n'a rien d'extraordinaire. Il y» a beaucoup d'affaires civiles qui se déroulent régulièrement au tribunal militaire. Ce n'est pas une exception marocaine. Il existe même dans les pays comme la Grande Bretagne, les Etats-Unis ou l'Argentine.» Sauf que, rajoute-t-il, le tribunal militaire ne permet pas aux familles des victimes de se constituer en partie civile. «Ce qui peut représenter pour elles un risque d'injustice». Si juridiquement faire appel à la cour militaire dans une affaire civile est une pratique tout à fait ordinaire, les associations des droits de l'Homme ne l'entendent pas de cette oreille. Pour elles, cette loi est obsolète et en déphasage avec la nouvelle constitution. «D'un point de vue humain, il faut harmoniser la loi avec les dispositions de l'article 127 de la nouvelle constitution qui annule toute juridiction d'exception», Affirme l'avocat Issam Lahlou. Toujours sur ce registre, le Conseil national des droits de l'Homme prépare un mémorandum appelant à la suppression sinon à limiter le domaine d'action du tribunal militaire La Ligue marocaine pour la citoyenneté et les droits de l'homme (LMCDH) est du même avis. Dans un communiqué qu'elle a publié à la veille du procès, elle estime que le recours à un tribunal militaire dans cette affaire prive les détenus de toutes les garanties d'un procès équitable. Elle estime que faire appel à une juridiction militaire est contraire aux dispositions citées dans le Pacte international des droits civils et politiques ratifié il y'a plus de 30 ans par le Maroc. La LMCDH rappelle aussi l'examen des rapports présentés par les Etats parties publié en novembre 2001 et dans le quel le Comité de l'ONU contre la torture appelle le Maroc à « modifier sa législation afin de garantir à toutes les personnes civiles d'être jugées exclusivement par des juridictions civiles.» Abdelilah Benabdeslam, membre de l'Association marocaine des droits de l'Homme (AMDH) et observateur du procès, souligne de son côté que l'usage de la juridiction militaire dans une affaire civile est une exception au Maroc. «C'est un choix de l'Etat de traiter ce dossier devant un tribunal militaire mais dans la pratique c'est une juridiction d'exception placée en dehors du système normal.». Et d'enchaîner : « D'habitude c'est le code pénal et la procédure pénale marocains qui régissent les affaires civiles». Vices de forme et de fond La défense des détenus a soulevé plusieurs vices de fond et de forme. «D'abord, nous avons attiré l'attention du juge sur l'usage de la violence contre les détenus pour leur soustraire des aveux. Nous avons aussi remis en cause la légalité des perquisitions des domiciles des accusés, pour non respect les horaires légaux», déplore Me Abderrahmane Abiddine. La défense a déposé également des vices de procédure pour le non respect du délai de la garde à vue ainsi que par rapport à la date réelle de l'incarcération qui ne correspond bizarrement pas à la date figurant sur les PV. Par Soumia Yahia et Abou Ammar Tafnout