Quelques années avant l'annonce officielle de la création de l'Union du Maghreb, l'Algérie a cherché à garantir une place au Front Polisario au sein de cette communauté économique régionale, qui compte le Maroc, l'Algérie, la Mauritanie, la Tunisie et la Libye. Un document de la CIA revient sur ces manœuvres. Quatre ans avant la proclamation de l'Union du Maghreb arabe (UMA), l'Algérie a cherché à ouvrir une brèche au Polisario, afin de permettre au mouvement séparatiste d'intégrer cette communauté économique régionale, proclamée à Marrakech en présence des représentants des cinq pays d'Afrique du Nord. Daté du 15 avril 1986 et déclassifié le 27 octobre 2011, un document de la Central Intelligence Agency (CIA) fait état des manœuvres en amont à cet effet. Les renseignements américains sont revenus notamment sur le contexte de ces actions, tout en soulignant que «l'éventuelle rencontre» entre le président algérien Chadli Bendjedid et le roi Hassan II du Maroc, en mai 1986, pourrait être «le signe avant-coureur d'un plus grand sommet du Maghreb dans les mois à venir». Et d'ajouter que depuis le début de cette année-là, les cinq Etats (Maroc, Mauritanie, Algérie, Tunisie et Libye) évoquent de plus en plus l'idée du «Grand Maghreb arabe» et la nécessité de tenir une réunion régionale, afin de discuter le sujet. «Les dirigeants de ces pays ont toujours parlé de l'unité du Maghreb. Mais les rencontres ayant eu lieu entre eux récemment indiquent que les perspectives d'un tel sommet sont meilleures que d'habitude», a ajouté le document, soulignant que cet élan «vient avant tout du président algérien», qui a rencontré le colonel libyen Mouammar Kadhafi fin janvier. «Il semblerait qu'il ait l'intention de rencontrer prochainement le roi Hassan II», note la CIA. Les tentatives algériennes d'incruster le Polisario dans l'Union du Maghreb Les renseignements américains ont estimé que «l'incertitude quant à la stabilité des alliances dans la région est le moteur de ces contacts, et non le désir nationaliste arabe ou la coopération altruiste». De ce fait, ce seront surtout «les agendas personnels» qui «domineront tout sommet», à commencer par la question du Sahara. Celle-ci serait «un axe principal de toute réunion préparée par l'Algérie et le Maroc», entre lesquels «les hostilités ne permettraient pas une solution politique globale et pérenne» Dans ce sens, le document a cité les propos du président algérien dans un discours de politique étrangère du 8 avril 1986 : «Les nombreux contacts de l'Algérie avec la Libye, la Tunisie et la Mauritanie, au cours des derniers mois, incluaient des consultations sur l'union régionale. Il a affirmé qu'un tel objectif devait dépendre d'éléments économiques et politiques». Bendjedid a également «laissé entendre que le projet pourrait être révélé prochainement et qu'il serait soumis à un référendum général», tandis que «Kadhafi a déjà fait des déclarations similaires en février dernier, après plusieurs réunions entre responsables algériens et libyens, y compris lors du sommet, fin janvier». «Ces initiatives ont été complétées par les appels de la Tunisie à la tenue d'une conférence maghrébine et par les déplacements du président mauritanien [Maaouiya Ould Sid'Ahmed] Taya dans toutes les capitales de la région. Le dernier effort de rapprochement des pays a été celui du président tunisien Bourguiba, début 1985. Mais l'Algérie a refusé d'y prendra part, le Front Polisario n'ayant pas obtenu de siège à la conférence.» Document de la CIA «Les contacts algéro-marocains de haut niveau semblent être la prochaine étape de l'initiative naissante en vue du sommet. Dans son discours d'avril, Bendjedid a déclaré que l'union régionale ne peut être réalisée sans solutionner le conflit du Sahara occidental. Le roi Hassan a déclaré, dans une interview à la presse fin mars, qu'il devrait bientôt rencontrer Bendjedid et qu'il pourrait organiser une réunion, avec une courte pause. Les diplomates américains au Maroc ont indiqué que la préparation du sommet allait bon train», renseigne encore la CIA. Par ailleurs, l'agence a analysé les motivations des pays de la région pour établir une union maghrébine. Dans cette configuration, Alger reste «la plus préoccupée par l'idée de l'union du Maghreb», même qu'«il est possible que la rencontre de Bendjedid avec le dirigeant libyen Kadhafi, ainsi que sa prochaine rencontre avec le roi Hassan II, découlent des efforts du président pour saper l'alliance maroco-libyenne et alléger la pression militaire d'un ou des deux côtés des frontières de l'Algérie». A ce titre, le document souligne que l'évolution de la situation concernant le conflit du Sahara, ces dernières années, «a joué contre les intérêts» algériens. Par ailleurs, l'Algérie a été «confrontée à une forte baisse des revenus pétroliers», au point de «ne peut plus se permettre de financer le Polisario». Pour autant, «rien n'indique que Bendjedid se prépare à céder aux exigences du Maroc», ce qui présage que l'Algérie «soutiendrait un certain degré d'indépendance politique qui préserverait l'identité locale du peuple sahraoui». Concernant le Maroc, la CIA retient que Hassan II «a été globalement témoin des efforts déployés pour organiser le sommet», mais qu'«il serait disposé à rencontrer d'autres dirigeants». «En réalité, le roi souhaiterait se joindre à toute initiative algérienne réussie pour parrainer le sommet du Maghreb. Tant qu'il jouira d'une supériorité militaire au Sahara occidental, il est probable qu'il ne soit pas disposé à renoncer aux acquis qu'il a réalisés». La position de Washington Plus loin, le document évoque les répercussions de la création d'une Union du Maghreb pour les Etats-Unis. Il indique que le sommet regroupant les cinq pays dépend du succès de la prochaine réunion de Bendjedid avec Hassan II. «L'Algérie et le Maroc sont des rivaux acharnés depuis longtemps. Tout accord entre eux éliminerait le principal obstacle. Même si la rencontre réussie de Hassan II avec Bendjedid ouvre la voie à la tenue d'un sommet à cinq, nous pensons que les chances de résoudre les nombreux problèmes qui divisent les deux pays sont minces.» Document de la CIA «A l'exception de questions régionales et arabes plus larges, de notre point de vue, les parties ne voudront pas faire les concessions nécessaires pour résoudre les problèmes du Maghreb, en particulier le Sahara occidental», ajoute encore la CIA. Et de souligner que l'échec du sommet «pourrait rapprocher l'Algérie de la Libye et inciter Bendjedid à tenir un sommet à quatre, avec ou sans le Polisario». Les renseignements américains l'expliquent : «Les efforts de l'Algérie pour tenir une telle réunion (en présence du Polisario) et l'accord de la Libye d'y assister mettraient la Tunisie et la Mauritanie dans une position difficile. Aucun des deux pays ne peut contrarier ses puissants voisins.» Dans ce contexte, la CIA a considéré que «la tenue d'un sommet à cinq et la promesse de réduire les tensions dans la région seraient à l'avantage des intérêts des Etats-Unis», tandis qu'une réunion à quatre, dominée par l'Algérie et la Libye, «jouera contre les intérêts américains». Même si la conférence accélère la rupture de l'union maroco-libyenne, Tripoli sera moins isolée et le renforcement de ses relations avec l'Algérie renforcerait indirectement les intérêts de l'Union soviétique». Ce scénario, selon la CIA, ferait que le Maroc et la Tunisie, les deux pays les plus proches des Etats-Unis dans la région, se retrouveraient «avec moins d'influence et deviendront plus dépendants des Etats-Unis pour le soutien militaire et diplomatique».