Daté de 1984, un document de la CIA revient sur le rôle de l'Algérie dans le renforcement des relations du Front Polisario avec l'Iran et la Syrie. Par ses manœuvres, Alger a tenté de contrer le rapprochement entre feu Hassan II et Mouammar Kadhafi, au cours de la moitié des années 1980. Le 13 août 1984, le roi Hassan II (1962 - 1999) et le colonel libyen Mouammar Kadhafi ont rendu effectif le Traité d'Oujda, acté entre les Etats du Maroc et de la Libye et appelé également l'accord d'«Union arabo-africaine». Nombre de pays occidentaux ont été surpris par ce rapprochement entre le souverain d'un pays qualifié de modéré et un chef d'Etat dit extrémiste. L'accord a toutefois été acté après que Mouammar Kadhafi a montré des signes de modération dans ses positions envers le Maroc, à commencer par le fait d'assurer avoir cessé de soutenir le Front Polisario et les revendications séparatistes du mouvement. Au sujet de cette union, un document de la CIA daté du 30 novembre 1984 indique que Hassan II a mis l'accent sur «l'aide financière libyenne comme moyen d'atténuer la détérioration des conditions économiques et sociales dans le pays, qui a vécu des émeutes en janvier» de cette année-là. Intitulé «L'Union maroco-libyenne : résumé de la situation et perspectives», ce document déclassifié le 4 avril 2011 souligne que «la présence de la république du Polisario, autoproclamée au récent sommet de l'OUA, ainsi que le retrait du Maroc [de l'organisation africaine, ndlr] en conséquence encourageraient Rabat à se servir de l'union comme moyen effectif de geler le soutien de Tripoli aux rebelles». Sahara-CIA files #2 : En 1985, Mouammar Kadhafi a admis avoir créé le Polisario En retour, selon la même source, le dirigeant libyen tenterait d'«utiliser le Maroc comme intermédiaire pour obtenir des pièces de rechange américaines interdites pour des avions et divers équipements». Dans ce contexte, le document indique que la CIA s'attend à ce que «Hassan II résiste fermement à toute pression internationale visant à désavouer l'union». «Nous pensons que Hassan II souhaite maintenir des relations étroites avec les Etats-Unis, mais il surveillera de près tout signe indiquant que Washington prendrait des sanctions à son encontre.» Document de la CIA Le rôle de l'Algérie entre le Polisario, l'Iran et la Syrie Dans le temps, la CIA a considéré que l'Union maroco-libyenne exacerbait les divergences politiques en Afrique du Nord. De ce point de vue, la région serait divisée en deux blocs : la Tunisie, la Mauritanie et l'Algérie d'une part, la Libye et le Maroc de l'autre. A ce titre, les renseignements américains notent que l'Algérie considère «l'union comme un outil tactique de la part de Hassan II, pour entraver les efforts algériens visant à renforcer l'unité régionale et à mettre fin au conflit du Sahara occidental». Pour Alger également, «l'union encouragera les efforts de Kadhafi pour déstabiliser la région». Dans ce même document, la CIA a expressément mentionné le souhait algérien de voir des tensions miner l'alliance maroco-libyenne. Le voisin de l'Est «agira avec prudence pour encourager la disparition rapide [de ce rapprochement]. Il ne fait aucun doute que le régime de Bendjedid est conscient de l'incompatibilité personnelle entre Kadhafi et Hassan II. Il s'attend ainsi à ce que ces différences conduisent à une déperdition», souligne-t-on. L'Algérie a également utilisé l'union pour isoler la Libye de ses partenaires régionaux connus pour leurs positions anti-occidentales. Lors de négociations «avec l'Iran, la Syrie, le Liban et les factions radicales de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), les responsables algériens citent l'union comme un indicateur selon lequel Kadhafi ne serait pas un allié fiable». Cette union a également poussé l'Algérie dans ses retranchements, avec l'adhésion à «une position plus rigide sur la question du Sahara occidental». Dans ce sens, l'agence de renseignements américaine a estimé qu'Alger avait «la possibilité de fournir de nouveaux systèmes d'armes aux combattants du Polisario, ou d'intervenir de manière sélective en fournissant un soutien aérien tactique». Sahara-CIA files #1 : Les désaccords de l'armée algérienne avec son président Bendjedid Par ailleurs, le document indique que l'Algérie pourrait répondre en «mobilisant un soutien diplomatique international sur le Sahara occidental», notamment «en encourageant les contacts entre les combattants du Polisario, la Syrie et l'Iran». D'ailleurs, Téhéran a reconnu la pseudo-«RASD» le 27 février 1980. Damas lui a emboîté le pas rapidement, en officialisant sa reconnaissance le 15 avril 1980. Pour autant, les deux capitales n'ont pas établi de relations diplomatiques effectives et approfondies avec le front séparatiste. La visite de Shimon Peres au Maroc annonce la fin de l'union L'agence américaine a confirmé que l'union enregistrerait des avancées, tant que Mouammar Kadhafi apportait «un soutien économique, un appui au Maroc dans la question du Sahara occidental et continuait à faire preuve de modération dans ses relations bilatérales». Selon la même source, la remise par Rabat des dissidents libyens au colonel Kadhafi serait un facteur déterminant de plus dans la longévité de cette alliance bipartite. Aussi, la CIA a-t-elle estimé que le désengagement de Kadhafi de ses promesses vis-à-vis du Maroc pourrait pousser Hassan II à mettre fin à cette union. Elle ajoute que le dirigeant libyen «tentera d'impliquer Hassan II dans sa position radicale contre les Etats-Unis et Israël». Concernant les implications de l'union pour les Etats-Unis, le document confirme que «Hassan II était quasiment certain que ce traité provoquerait un certain refroidissement dans ses relations avec les Etats-Unis». «Il entretient des relations étroites avec les Etats-Unis et ne se fait aucune illusion quant à la possibilité de changer l'attitude déviante de Kadhafi», indique le document. Toutefois, ajoute la même source, le roi «estime être en mesure de contrôler la direction de l'union et, dans le même temps, il surveillera de près les indices suggérant une volonté de Washington de redéfinir sa relation avec le Maroc». Concernant les éventuelles options pour le roi Hassan II, en cas de sanctions de la part de Washington, selon l'agence, elles incluent «la réduction ou la suspension des visites des navires de guerre et des exercices militaires américains», ou encore «le refus de permettre aux forces américaines d'utiliser les installations marocaines», jusque-là accessibles en vertu d'un accord entre les Etats-Unis et le Maroc. Ces mesures consisteraient aussi à «l'arrêt de la radio Voice of America au Maroc», «l'adoption d'une position plus radicale sur les questions du Moyen-Orient», ou encore la possibilité de «se tourner vers la Libye» et l'Union soviétique, en matière de soutien militaire. Cette union aura finalement eu une durée de vie plus courte que prévu. En juillet 1986, soit deux ans après la signature du traité maroco-libyen, Hassan II a annoncé unilatéralement la fin de cet accord. En cause, Mouammar Kadhafi a qualifié de «haute trahison» la réception du Premier ministre israélien Shimon Peres par le roi du Maroc.