La crise actuelle du secteur de l'éducation a montré un déclin du rôle des syndicats en faveur des actions sous la bannière de la coordination. Commentant la situation, le politologue Rachid Lazraq estime que l'action syndicale est devenue monopolisée par la syndicalisation professionnelle. Pour sa part, Amrani Boukhobza a averti que l'histoire se répète avec les syndicats, comme ce qui s'est passé avec les partis politiques. La crise actuelle du secteur de l'éducation a montré un déclin du rôle des syndicats à unifier les actions des enseignants, initialement contractuels puis soumis au statut unifié, et qui sont constitués sous la forme d'une vingtaine de coordinations. Dans un premier temps, beaucoup des syndicats les plus représentés ont exprimé leur «satisfaction» après la promulgation du statut unifié pour les fonctionnaires de l'Education nationale. Dans un second temps, les marches protestataires des enseignants du public les ont poussés à revoir leur position, pour exiger un amendement du cadre convenu avec le ministère de tutelle. Fin novembre, les centrales syndicales ont rencontré le comité ministériel tripartite, en vue de geler le nouveau statut, de suspendre sa mise en œuvre, et de ne pas publier ses décrets d'application avant la fin des délais du dialogue social à ce sujet, fixés au 15 janvier 2024 au plus tard. Le 6 décembre, il a été convenu de consacrer une réunion à l'étude de toutes les propositions liées à l'amélioration des revenus des fonctionnaires de l'éducation, prévue d'entrer en vigueur à partir de l'année prochaine. Pour sa part, le Comité national de coordination du secteur éducatif, qui comprend plus d'une vingtaine de structures, a publié un communiqué dans lequel il a affirmé son «rejet catégorique» des résultats de «tout dialogue qui ne répondrait pas aux revendications des hommes et des femmes de l'éducation, y compris le dialogue du 30 novembre 2023, puisqu'il ne comprend pas de représentants des luttes de terrain, conduites par la Coordination nationale du secteur de l'éducation». Dans sa déclaration écrite, le comité a même souligné ne pas être concerné par ce processus de négociations. Ainsi, il a appelé à une grève générale nationale de quatre jours, cette semaine, du mardi au vendredi, parallèlement à des marches de protestation. Du côté du gouvernement, les négociations privilégient les syndicats les plus représentés, insistant sur le fait que ces centrales constituent les principaux interlocuteurs dans le dialogue social. En l'espèce, les tensions pourraient encore durer, accentuant la crise du secteur éducatif. «L'action syndicale est monopolisée» Dans une déclaration à Yabiladi, Rachid Lazraq, professeur de sciences politiques à l'Université Ibn Tofail de Kénitra, a estimé que «la gestion du dialogue entre le gouvernement et les syndicats concernant le système de base et son rejet par les comités de coordination confirment que les enseignants ne protestent pas seulement contre ce système de base, mais aussi contre les syndicats et contre leur gestion, ainsi que contre les volets où des acquis ont été obtenus, sans que ces derniers ne répondent aux plus larges aspirations et à la mise en œuvre de tous les accords signés depuis celui d'avril 2011». «Cette question pose celle de la crédibilité du syndicat dans sa représentativité des hommes et des femmes dans l'éducation nationale. Il faut y prêter une grande attention, car l'action syndicale est devenue monopolisée par l'organisation professionnelle. Les syndicats sont soumis aux instances politiques sur des questions qui ont de l'influence. L'incapacité du cadre syndical à se renouveler à l'ère de la révolution numérique, en plus de l'influence des comités de coordination, soulèvent la question de la confiance dans les syndicats. Ces comités de coordination ont su encadrer le mouvement des enseignants, ce que les syndicats n'ont pas réussi à obtenir des acquis auprès du gouvernement. Certains d'entre eux se sont retrouvés avec les partis de la coalition gouvernementale, et c'est ce qui a fait découvrir à un grand nombre d'enseignants que le syndicat faisait partie d'une dynamique partisane accommodante, aux dépens du corps enseignant, au lieu de véritablement défendre les intérêts des diverses tendances coordinatrices dans la gestion des négociations. La suppression du système de base a donc entraîné un rejet que les syndicats n'ont pu contrôler, ce qui les a obligés à faire marche arrière sous la pression d'une coordination se dirigeant vers l'escalade.» Rachid Lazraq Le chercheur a ajouté qu'il existait «une véritable crise de l'action syndicale, posant la question de la capacité de l'action syndicale sous sa forme actuelle à remplir ses rôles avec l'émergence massive des coordinations». Selon lui, «cette tension affecte la paix sociale et suscite des doutes chez les investisseurs marocains et étrangers quant au climat socio-professionnel dans le pays, à la lumière de la vague de revendications et de l'obligation des institutions d'augmenter les salaires et les primes, quelle que soit la situation financière globale». Et de souligner, dans ce sens, que «le nombre de comités de coordination a dépassé 22, alors que quatre représentations syndicales n'ont pas pu les intégrer». Par conséquent, «les prochaines négociations constitueront un véritable test pour l'implication des comités de coordination aux côtés des quatre syndicats, dans le cadre des négociations afin de trouver des solutions». L'histoire se répète Par ailleurs, l'universitaire et analyste politique Mohamed El Amrani Boukhobaza estime que l'histoire se répète avec les syndicats, comme ce qui s'est passé précédemment avec les partis politiques. Selon lui, une forme de perception s'est en effet développée contre les partis politiques pendant une longue période, en raison de considérations subjectives et objectives, au vu du déclin de leur rôle dans la vie publique, notamment au niveau de la représentation au sein des institutions. «Nous sommes confrontés à des partis politiques qui produisent des institutions faibles», a-t-il déclaré à notre rédaction. «Nous observons actuellement la même chose au niveau syndical, avec une campagne acharnée contre les syndicats. Les instances qui émergeront de ces centrales seront donc faibles, sachant que les syndicats sont représentés au sein d'un ensemble d'institutions de gouvernance élues.» Mohamed El Amrani Boukhoba Il a poursuivi : «Les syndicats sont des institutions importantes pour le dialogue social. Il n'est pas possible de parler de ce dialogue sans les syndicats. Nous devons nous rallier à eux pour les soutenir et les renforcer, afin qu'ils puissent accomplir leurs tâches». Le chercheur a terminé en soulignant qu'«empêcher les syndicats de remplir leur rôle de médiation est une menace à la paix sociale».