Depuis le début de l'offensive israélienne sur la bande de Gaza, les rassemblements de solidarité avec la Palestine se sont tenus dans plusieurs villes du Maroc. Des marches ayant connu la participation de dizaines de milliers de personnes ont exigé notamment la fin de la normalisation avec Israël, ainsi que la fermeture du bureau de liaison à Rabat. L'évolution de la situation au Moyen-Orient poussera-t-elle le Maroc à rompre ses relations avec Tel-Aviv, comme en 2000 après la deuxième Intifada ? Au Maroc, les appels à la rupture des relations avec Israël se multiplient, en réponse à l'offensive menée dans la bande de Gaza depuis près d'un mois. Dans le flot des réactions, certaines voix ont rappelé que les deux pays avaient déjà rompu leurs liens diplomatiques en 2000, lors de la deuxième Intifada palestinienne et l'escalade opérée par l'occupation israélienne dans ce contexte. Avant cette rupture, c'est sous le règne de Hassan II (1962 - 1999) que les relations diplomatiques ont été établies officiellement avec Israël en 1994, après la signature des premiers accords d'Oslo entre la Palestine et l'Etat hébreux. Les liens se sont limités à la mise en place de deux bureaux de liaison, l'un à Tel-Aviv et l'autre à Rabat. Le Maroc est ainsi devenu le troisième pays arabe, après l'Egypte et la Jordanie, à établir des relations officielles avec Israël. A l'occasion de la reprise des relations grâce à la médiation américaine en décembre 2020, le roi Mohammed VI a appelé le président de l'Autorité nationale palestinienne, Mahmoud Abbas, pour lui assurer le soutien ferme et continu du Maroc à la cause palestinienne. Les responsables marocains ont emboîté le pas au souverain, auprès des hauts dirigeants palestiniens qui n'ont pas critiqué publiquement la normalisation, contrairement à ce qui s'est passé avec Bahreïn et les Emirats arabes unis. Au fil des mois, les relations maroco-israéliennes se sont renforcées, pour couvrir presque tous les domaines, y compris la sécurité et la Défense. En juillet dernier, le cabinet royal a annoncé que Mohammed VI avait reçu une lettre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, officialisant la reconnaissance par Israël de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Avec l'offensive sur la bande de Gaza, au lendemain de l'opération armée du Hamas sur les villes israéliennes avoisinantes, le 7 octobre dernier, l'Etat hébreux a multiplié les bombardements en faisant des milliers morts, sans que les civils n'aient la possibilité de fuir vers une zone sûre. Dans ce contexte, des dizaines de milliers de manifestants au Maroc sont descendus dans la rue pour exprimer leur soutien au peuple palestinien et exiger l'annulation des accords de normalisation, mais aussi la fermeture du bureau de liaison israélien à Rabat. Le Parti socialiste unifié (PSU) et celui de la Fédération de gauche ont également appelé l'Etat marocain à mettre un terme à la normalisation avec Israël. Les dirigeants du Parti de la justice et du développement (PJD) ont formulé la même demande. Le scénario de 2000 va-t-il se reproduire ? Des mots fermes contre l'escalade Depuis le début de l'offensive en cours sur Gaza, le Maroc a multiplié les réactions officielles, dès le 7 octobre. Dans un communiqué, le royaume a ainsi condamné «le ciblage de civils» de toutes les parties. Jusqu'à la dernière réaction, ce jeudi, le ton est devenu plus ferme, pointant l'agression israélienne de «lieux de culte, hôpitaux et camps de réfugiés qui continuent d'être bombardés, en dernier lieu le camp de Jabalya, forçant plus d'un million de personnes à fuir» et privant la population d'eau, d'électricité et du carburant, ce qui entraîne une situation humanitaire catastrophique. Gaza : Le Maroc condamne les «actes d'escalade israéliens» Le royaume a affirmé, dans le dernier communiqué du ministère des Affaires étrangères, que «ces actions israéliennes d'escalade sont incompatibles avec le droit humanitaire international et les valeurs humaines communes, menacent d'une expansion du conflit dans les territoires palestiniens et de la propagation dangereuse de la violence» menaçant la stabilité régionale. Par ailleurs, le Maroc a exprimé ses regrets et sa déception face à l'inaction de la communauté internationale, à l'incapacité du Conseil de sécurité à assumer ses responsabilités et à l'incapacité des pays influents à mettre fin à cette situation désastreuse. La normalisation Maroc-Israël est «la plus impactée» Dans une récente analyse, le Washington Institute, basé à Washington DC, a indiqué que la guerre en cours «rendra plus difficile le maintien des progrès diplomatiques que les Etats-Unis et Israël ont réalisés avec les gouvernements nord-africains au cours des dernières années», encore moins les faire avancer, «surtout avec l'intensification de l'opposition populaire». Selon la même source, «le Maroc pourrait être le pays le plus concerné, compte tenu de ses liens relativement forts avec Israël et les Etats-Unis, alors que les tendances anti-normalisation se renforcent dans d'autres pays de la région, créant de nouveaux défis pour Washington». A ce titre, l'institut a noté que «la remarquable coopération stratégique entre Israël et le Maroc qui existe depuis 2020 pourrait payer les conséquences négatives résultant des évènements à Gaza». En effet, les deux pays ont renforcé leur partenariat sécuritaire depuis 2020, notamment «à travers la vente de drones, des chars et des logiciels espions mais qui va probablement ralentir, à mesure que la capacité d'approvisionnement militaire d'Israël est mise à rude épreuve par la guerre», selon la même source. Par ailleurs, le Centre a souligné qu'«à long terme, il est peu probable que le Maroc suspende ses relations avec Israël ou modifie son approche en matière de sécurité à l'égard du Sahara occidental et de l'Algérie». «Par conséquent, les Etats-Unis devraient réfléchir aux moyens de renforcer l'intégration régionale, tout en tenant compte de l'opinion publique sur la question palestinienne», notamment via des échanges transnationaux ou d'autres formes de coopération, recommande le centre. Une rupture des liens n'est pas à exclure Contacté par Yabiladi, Abderrahim El Allam, professeur de droit constitutionnel et de sciences politiques à l'Université Cadi Ayyad de Marrakech, a déclaré que le Maroc avait affirmé, lors de sa signature de l'accord de normalisation, que celle-ci «ne peut affecter les relations anciennes et de principe avec la Palestine». «La relation du Maroc avec la Palestine n'est pas un élément facultatif», a-t-il souligné, évoquant la dimension régionale et idéologique de la question. «Pour le Maroc, Jérusalem et la Palestine ne sont pas une question d'intérêt», a indiqué le chercheur. «La question palestinienne a sa propre spécificité pour le Maroc, un Etat musulman dont le souverain préside le Comité Al-Qods.» Concernant l'impact éventuel de toute décision mettant fin à la normalisation, le chercheur a déclaré que «le soutien américain ou israélien à la proposition d'autonomie peut être contourné». «Cela n'affectera pas de manière significative la question. Le Maroc n'a besoin de la reconnaissance d'aucun pays, car il est un Etat souverain et autonome qui existe depuis des siècles. Le Maroc a besoin de soutien pour la proposition d'autonomie», a-t-il souligné. El Allam ajouté que «le Maroc a été hésitant au début des années 2000 et n'a pas fermé le bureau de liaison au début de l'Intifada». Selon lui, «le Maroc a un intérêt pragmatique avec Israël et il n'y a pas de relation de principe, contrairement à la relation avec la Palestine». Par ailleurs, le chercheur a souligné que «lorsque la balance des avantages prévaut dans les relations avec Israël, le Maroc s'en réjouit, mais lorsqu'elle tendra vers les désavantages, le Maroc ne se souciera pas de ces relations». A ce titre, il a donné l'exemple de la Jordanie, qui a rappelé son ambassadeur de Tel-Aviv. Danq ce sens, il a indiqué que «quiconque pense que ce qui se passe n'aura pas d'impact significatif se trompe». Une étape historique Ahmed Bouz, professeur de sciences politiques à l'Université Mohammed V de Rabat, a déclaré pour sa part que «si les autorités marocaines vont dans ce sens, cela nous rappellera ce qui s'est passé début des années 2000». Selon lui, «lier la question du Sahara à la normalisation est un sujet de débat». «La défense par le Maroc de son intégrité territoriale dépend de la volonté des Marocains. Le facteur extérieur est complémentaire et non spécifique dans cette question», a-t-il ajouté. «Je considère qu'il existe un sentiment populaire pressant qui soutient fortement les Palestiniens. Les données sur la scène internationale ont commencé à changer en matière de défense.» Le spécialiste a souligné que si le Maroc prenait la décision de rompre ses relations avec Israël, «cela aurait un grand impact et marquerait un retour en force du pays sur la scène d'influence et d'action dans le monde arabe et musulman». Selon lui, «le sujet du débat n'est pas l'existence de relations politiques ou diplomatiques ; c'est une question qui peut être acceptée dans certaines limites». «Ce qui est important, ce sont les relations populaires, institutionnelles et culturelles et la normalisation totale. Je pense que l'expérience égyptienne est pionnière dans ce domaine : l'Egypte a signé un accord de paix, mais la société égyptienne est restée immunisée, et c'est ce qui remonte le moral des Palestiniens», a ajouté le chercheur. Il a terminé en déclarant que «la rupture des relations avec le Maroc sera une position historique et une source de fierté pour les Marocains». La Jordanie et Bahreïn rappellent leurs ambassadeurs Mercredi soir, la Jordanie a annoncé avoir rappelé son ambassadeur en Israël. Le ministère jordanien des Affaires étrangères a publié une déclaration officielle, affirmant que «le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères et des expatriés, Ayman Al-Safadi, a décidé de convoquer immédiatement l'ambassadeur jordanien en Israël, pour exprimer sa position». La Jordanie a précédemment exprimé son rejet et sa condamnation de la guerre à Gaza. Le ministère jordanien des Affaires étrangères a informé son homologue israélien que son ambassadeur, qui a précédemment quitté le royaume hachémite, ne serait pas réadmis. En 1994, la Jordanie a signé un accord de paix avec Israël De son côté, Bahreïn a annoncé jeudi le départ de l'ambassadeur israélien et le retour de son ambassadeur d'Israël, outre la cessation des relations économiques avec l'Etat hébreux. Ainsi, Bahreïn, premier pays à établir des relations avec Tel-Aviv dans le cadre des accords d'Abraham, devient aussi le premier à revenir sur cette normalisation.