Elle est partout. Ubiquiste, polymorphe, omnipotente. Au Maroc, le cancer de la corruption étend ses métastases sur l'ensemble des secteurs. Après le public, c'est au tour du privé de passer sous les rayons du scanner de l'ONG américaine Transparency International. Diagnostic : ce dernier souffre aussi d'un état de corruption avancé. Le bilan. On la savait d'usage courant dans le public, on la sait désormais également en vogue dans le privé. Au Maroc, la corruption n'est plus qu'une simple dérive institutionnelle : elle est dorénavant un fléau sociétal qui obère jusqu'au bon fonctionnement même du monde des affaires national. En atteste les conclusions de l'enquête sur l'indice de corruption des pays exportateurs (ICPE) qui ont été présentées mardi 9 octobre à Casablanca. «Le secteur privé qu'il soit corrompu ou corrupteur est malmené dans un engrenage vicieux, favorisé par un secteur public qui ne fait rien pour stopper ce fléau. Le meilleur exemple est le cas des appels d'offres publics : les entreprises ne sont pas sélectionnées grâce à leur compétitivité ou performances mais grâce à leurs connaissances» s'est indigné Abdessamad Sadouk, le secrétaire général de Transparency Maroc, lors de la présentation des résultats de l'étude hier, que rapporte ici Le Soir. Pas de bakchichs = pas de marché Réalisée par Transparency International et conduite auprès d'un panel de 3.016 entreprises dans le monde, dont 100 au Maroc, cette enquête présente – il est vrai – des résultats pour le moins affligeants. Ainsi, à la question de savoir «Dans quelle mesure il est courant que les officiels dans votre pays acceptent des pots de vin ?», 55% des responsables d'entreprises marocaines sondées répondent que c'est une pratique très courante au Maroc. Pire encore, 31% des hommes d'affaires interrogés déclarent que s'ils n'ont pas réussi à remporter de contrat ou de nouvelles affaires au cours des 12 derniers mois, c'est parce que, contrairement à leurs concurrents, ils ont refusé de payer des pots-de-vin. Ce climat de défiance, singularisé par une corruption qui gagne du terrain dans le secteur privé national, vaut d'ailleurs au Maroc d'être sanctionné d'une mauvaise note au classement comparatif établi par Transparency International. Ainsi, le royaume écope-t-il d'une note de 4,1/5 sur l'échelle établie par l'ONG (ndlr. plus le chiffre se rapproche de 5, plus cela indique que le niveau de corruption du pays en question est élevé). A titre de comparaison, la moyenne pour les 30 pays étudiés dans le cadre de cette enquête est de 3,3. Au niveau régional, l'Egypte fait mieux que le Maroc avec un score de 2,2 mais le Nigeria moins bien, avec un score de 4,7. Les mesures de lutte contre la corruption jugée inefficaces Sur le volet de la lutte contre la corruption, 72% des chefs d'entreprises sondés considèrent les actions du gouvernement inefficaces, tandis qu'ils sont seulement 5% à penser le contraire. «Jusqu'à présent nous n'avons aucune visibilité sur la stratégie du gouvernement en matière de lutte contre la corruption, qui reste la 3ème barrière contre la capacité de stimuler les investissements étrangers» note, en ce sens, M. Sadouk. Après la bureaucratie et l'accès difficile à l'information, la corruption arrive effectivement à la troisième position des problématiques ayant un impact négatif sur le climat des affaires marocain ; impact qui avait d'ailleurs valu à l'économie marocaine d'être reléguée à la 70ème place sur 144 au classement du World Economic Forum qui compare la compétitivité des économies de la planète. Et pourtant, devoir de mémoire oblige mais le premier ministre, Abdellilah Benkirane et son parti, le PJD, n'avaient-ils pas fait de la lutte contre la corruption l'un de leur cheval de bataille lors des élections législatives de 2011 ? Comme le déplore Azzedine Akesbi, membre de Transparency Maroc, il semblerait que l'exécutif marocain se soit inscrit «dans la continuité de son prédécesseur» et «qu'il n'arrive pas à faire à quelque chose de concret pour montrer sa volonté de lutte contre la corruption.» Mais alors, quid de la loi dépénalisant les dénonciateurs de la corruption votée en octobre 2011 ?! Pas suffisante à en juger par les 76% d'hommes d'affaires marocains qui continuent de penser qu'aucun soutien réel n'existe pour les dénonciateurs, ni même de protection juridique pour les lanceurs d'alerte. En même temps, avec l'affaire du fonctionnaire inculpé pour avoir divulgué les primes échangées dans le cadre de l'affaire Mezouar-Bensouda, difficile de ne pas se ranger à leur côté, du côté des sceptiques. Sauf moyennant finances, bien sûr …