Le retour au pouvoir de Luiz Inacio Lula da Silva pourrait marquer un changement dans la position du Brésil sur la question du Sahara. Le nouveau président sera entre le marteau de sa formation politique, le Parti des travailleurs (PT), l'un des partis politiques soutenant le Polisario en Amérique latine et l'enclume d'une politique étrangère «modérée» adoptée jusque-là par ses prédécesseurs. Les vents du changement ont soufflé au Brésil. L'ancien président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva a remporté, dimanche, l'élection présidentielle, avec 50,9% des voix, contre 49,1% pour son rival, Jair Bolsonaro, président sortant et candidat d'extrême droite. Après l'annonce des résultats, le nouveau président brésilien a déclaré que son pays «est trop grand pour être relégué au triste rôle de paria» sur la scène internationale. «Aujourd'hui, nous disons au monde que le Brésil est de retour», a-t-il poursuivi. Les dirigeants mondiaux ont salué cette élection, tout comme leurs homologues latino-américains, qui ont félicité Luiz Inacio Lula da Silva pour son retour à la présidence du plus grand pays d'Amérique du Sud, lui qui avait gouverné le pays pour deux mandats entre 2003 et 2010. D'ailleurs, le roi Mohammed VI devrait adresser un message de félicitations au nouveau président brésilien, qu'il a rencontré à Brasilia, en novembre 2004, lors de la tournée du souverain en Amérique latine. Son retour au pouvoir renforce, cependant, «la vague rouge» ou le retour de la gauche aux commandes du continent sud-américain. Avec cette victoire, le Brésil rejoint la liste des pays dirigés par la gauche, à l'instar de la Colombie, le Mexique, l'Argentine, le Chili, le Pérou, la Bolivie et le Venezuela. Da Silva, le PT et la question du désert Après un recul de l'influence du Front Polisario en Amérique latine au cours des dernières années, le retour de la gauche au pouvoir dans plusieurs pays de la région lui a permis de revenir sur le devant de la scène. Certains ont annoncé, ces derniers mois, qu'ils renouent les liens ou reconnaissent la «RASD». Un pas que le Brésil n'a jamais franchi, bien que le Parti des travailleurs (PT), auquel appartient le président nouvellement élu, soit considéré parmi les plus fervents soutiens du mouvement séparatiste en Amérique latine. D'ailleurs, à l'époque de la présidente de gauche Dilma Rousseff (2011 - 2016), également du PT, le Parlement brésilien avait approuvé à l'unanimité, en mars 2014, une résolution en faveur de la reconnaissance de la «RASD». Dans leur décision, les députés brésiliens avaient même fait le parallèle entre le dossier du Sahara et la question palestinienne. «Votre excellence bénéficie de notre soutien total et absolu à la décision d'établir le début des relations diplomatiques avec la République sahraouie, dans les mêmes conditions et contrôles qui ont été établis à l'époque des relations diplomatiques avec l'Etat de Palestine», indiquait le texte de la résolution adressée à la présidente du pays. Malgré cela, la présidente brésilienne n'avait pas pris la décision de reconnaître la «RASD», d'autant qu'elle tentait d'adopter des positions plus modérées sur les questions internationales. Mais c'est au cours de cette période que le Parti des travailleurs s'est particulièrement illustré dans la défense des thèses du Polisario. Lors de son cinquième congrès tenu en juin 2015, marqué par la présence de la présidente, Dilma Rousseff, et de son prédécesseur Lula Da Silva, la formation politique avait approuvé un document de politique étrangère qui comprenait son soutien à la «lutte du peuple sahraoui pour l'établissement de son Etat libre et indépendant». Deux ans plus tard, lors de son sixième congrès, tenu en juin 2017, le parti avait réaffirmé sa «solidarité avec le peuple sahraoui». En décembre de la même année, une délégation du parti s'était rendue dans les camps de Tindouf et avait rencontré le chef du mouvement séparatiste, Ibrahim Ghali. Le mandat pro-Maroc de Bolsonaro Toutefois, après l'arrivée de Jair Messias Bolsonaro, du Parti social-libéral conservateur de droite, au pouvoir en janvier 2019 et le déclin des partis de gauche, les choses ont commencé à prendre une tournure différente. Les législateurs brésiliens oublient alors l'appel à la reconnaissance de la «RASD» pour soutenir l'initiative d'autonomie, que le Maroc considère comme la seule option pour résoudre le différend territorial du Sahara. D'ailleurs, en juin 2019, le Sénat fédéral brésilien approuvait une pétition appelant à soutenir la proposition marocaine ; un texte qui récolte alors le vote 62 membres parmi les 81 sénateurs. Inauguration à Dakhla d'une représentation de la Chambre de commerce maroco-afro-brésilienne Un an plus tard et au lendemain de l'opération menée par les Forces armées royales (FAR) pour sécuriser le passage d'El Guerguerate, en novembre 2020, le Brésil a appelé à assurer la circulation «sans entrave» des personnes et des biens au poste frontière avec la Mauritanie. Durant le mandat du président sortant, le pays figurait même parmi les clients de l'OCP, malgré les tentatives du Front Polisario de faire pression sur les entreprises brésiliennes, et ses mises en garde contre l'importation du phosphate extrait du Sahara. Avec le retour au pouvoir de Luiz Inacio Lula da Silva, la politique étrangère de Brasilia pourrait changer. Les intérêts économiques et de sécurité alimentaire du Brésil dans le contexte mondial inflationniste jouent en faveur de la stabilité des relations avec Rabat. L'OCP étant un acteur incontournable pour le phosphate et les engrais nécessaires à l'agriculture brésilienne.