Le décès de la jeune Meriem à 14 ans, des suites d'un avortement clandestin en milieu non-médicalisé à Boumia, le mois dernier, a mis en émoi les organisations de la société civile. Le processus de dépénalisation de l'IVG restera-t-il bloqué malgré les appels insistants à accélérer les réformes ? Début septembre, une adolescente est décédée dans la commune rurale de Boumia (province de Midelt), à cause de l'interruption de sa grossesse suite à un viol. Sur la base des premiers éléments de l'enquête, la coalition associative Printemps de la dignité a indiqué que l'avortement a eu lieu dans un milieu non-médicalisé, au domicile du mis en cause et en présence d'une infirmière, d'un technicien se faisant passer pour un travailleur de santé, ainsi que de la mère de la victime. A 14 ans, Meriem a ainsi rendu l'âme après avoir souffert de complications, à la suite de l'hémorragie causée par l'intervention, selon les associations. Bien avant ce drame, de nombreuses organisations notamment au sein de Printemps de la dignité ont appelé à faire que la réforme et le débat sur l'avortement ne passent pas à la trappe. Présidente de l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), Amina Lotfi estime auprès de Yabiladi qu'«il est grave que ce soit souvent les drames, traités malheureusement sous l'angle du fait divers, enclenchent aujourd'hui le débat sur l'avortement médicalisé et le viol sur les femmes et les filles». Le sujet s'est récemment invité dans le milieu universitaire aussi, lors de la précédente rencontre des Mercredi de Sciences Po, à l'Université Internationale de Rabat (UIR), avec la participation notamment de l'ADFM, du Collectif Moroccan Outlaws et de l'Association marocaine contre l'avortement clandestin (AMLAC). Un nécessaire alignement sur les recommandations de l'OMS Avant le récent drame à Boumia, le sujet a semblé ne plus être à l'ordre du jour, du moins au niveau du Parlement depuis l'ajournement sine die de l'examen de la loi 10.16 en 2016, encore plus depuis le retrait du projet de réforme du Code pénal en novembre 2021. «Cela laisse à réfléchir sur les circonstances réelles faisant qu'une question soit remise en avant dans le débat public», commente Amina Lotfi auprès de Yabiladi. Du côté du mouvement féministe, «les organisations, y compris l'ADFM, ont toujours tiré la sonnette d'alarme», rappelle la militante. «Avec ou sans la mort dramatique de jeunes filles et de femmes, nous avons appelé avec insistance à une réponse à la mortalité liée à l'avortement non médicalisé. Pour cela, nous avons appelé précédemment à la dépénalisation de l'interruption volontaire de grossesse (IVG), et ce dans plusieurs de nos communications», a insisté Amina Lotfi. Pour elle, «l'IVG doit être intégrée à la pratique médicale dans le milieu dédié». «Trop de femmes et de filles meurent et beaucoup de survivantes gardent des séquelles physiques et psychiques de leur avortement clandestin. C'est donc une question de santé que de légaliser un avortement intégré à la politique de santé. Nous avons toujours fait cette recommandation, qui est aussi celle de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et que nous rappelons continuellement.» Amina Lotfi, ADFM En mars dernier, l'OMS a publié de nouvelles lignes directrices sur les soins liés à l'avortement, «dans le but de protéger la santé des femmes et des filles et de contribuer à prévenir plus de 25 millions d'avortements non sécurisés qui se produisent actuellement chaque année» à travers le monde. «Le fait de pouvoir bénéficier d'un avortement sécurisé constitue un élément crucial des soins de santé», a estimé Craig Lissner, directeur par intérim du département santé sexuelle et reproductive et recherche au sein de l'organisation onusienne. Il a insisté que «près de l'ensemble des décès et des traumatismes résultant d'un avortement non sécurisé sont entièrement évitables», d'où ses recommandations «que toutes les femmes et les filles puissent avoir accès aux services d'avortement et de planification familiale lorsqu'elles en ont besoin». Selon l'OMS, les avortements non sécurisés «sont à l'origine d'environ 39 000 décès chaque année et entraînent l'hospitalisation de millions de femmes supplémentaires en raison de complications». Les décès «sont concentrés dans les pays à revenu faible – plus de 60% en Afrique et 30% en Asie – et parmi les personnes les plus vulnérables», ajoute l'organisation. Affaire Meryem : Touche pas à mon enfant appelle à la protection des victimes de violence Lors de l'examen du rapport périodique du gouvernement du Maroc, en juin dernier, le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) a évoqué le statu quo sur l'interdiction de l'interruption volontaire de grossesse (IVG), depuis l'ajournement de l'examen du projet de loi portant sur la légalisation de l'avortement en 2016. Il a ainsi été recommandé au pays d'«envisager de modifier l'article 453 du Code pénal pour dépénaliser l'avortement lorsqu'il est nécessaire pour protéger la santé de la femme, telle que définie en 1948 par l'OMS pour couvrir le bien-être physique, mental et social». Le royaume a été appelé à «fournir des informations sur le nombre d'avortements clandestins pratiqués» dans le pays, lors de la présentation du prochain rapport périodique devant le Comité CEDAW. Garder espoir sur l'avancement des réformes Gynécologue obstétrique et fondateur l'AMLAC, le professeur Chafik Chraïbi estime que le sujet n'a pas été relégué au second plan. «J'en parle publiquement de manière régulière, notamment à travers des émissions radiophoniques ou télévisées, mais on en parle plus lorsqu'un drame survient avec le décès d'une jeune fille, l'arrestation de médecins, la découverte d'un nouveau-né abandonné ou tué…», a-t-il constaté. «Il faut dire aussi que beaucoup de personnes engagées sur cette thématique sont essoufflées. Il m'arrive parfois de m'essouffler aussi, mais je continue à me battre, car ce sujet est mon cheval de bataille et ma priorité», nous a-t-il affirmé. «Depuis le projet de loi en 2016, les choses n'ont pas avancé. Je disais toujours que c'était à cause d'un gouvernement conservateur tenu par le PJD», nous a déclaré Chafik Chraïbi, indiquant que l'ancien chef du gouvernement, Saâdeddine El Othmani, lui aurait expliqué le contraire, suggérant plutôt «un blocage venant du RNI» sous l'ancien exécutif. «Nous avons pris beaucoup de retard depuis 2015. Nous étions sous un gouvernement dirigé par un parti conservateur. Tout ce qui était produit était donc empreint d'idéologie conservatrice», estime pour sa part Amina Lotfi. Sur son compte Twitter, l'ancien chef de l'exécutif a récemment interpellé le gouvernement actuel sur le sujet. Dans tous les cas, le professeur estime qu'«on aurait dû extraire ce projet de loi et ne pas le laisser dans le Code pénal, pour le traiter séparément, dépénaliser l'avortement et l'intégrer dans un Code de la santé». Selon lui, «les circonstances sont très favorables», d'autant que «les drames démontrent une relation de cause à effet entre un avortement clandestin et le décès des jeunes filles et des femmes». «Avec le gouvernement actuel, on doit s'attendre à un avancement ; je veux rester optimiste», nous a-t-il confié. Un an après les élections et le changement du gouvernement, Amina Lotfi ne perd pas non plus espoir. «L'exécutif actuel a retiré le projet de réforme du Code pénal du Parlement. Va-t-on y intégrer l'avortement comme cela a été fait dans un premier lieu, ou est-ce que ce sera retravaillé dans le sens que nous demandons et proposons ? Nous ne savons pas encore», s'est-elle interrogée.