Le débat sur l'avortement, sa légalisation ou encore son interdiction est remis d'actualité. Entre partisans invoquant les complications, aussi bien physiques que sociales que peut engendre une grossesse non désirée pour les femmes, et détracteurs qui placent les considérations religieuses et morales au-dessus de tout, la question reste suspendue et plus problématique que jamais. Fin juin, l'Amlac, l'Association marocaine de lutte contre l'avortement clandestin, présidée par Dr Chafik Chraibi, organisait un sit-in devant le Parlement au moment même où le projet de loi sur l'avortement clandestin, bloqué depuis 3 ans, était en discussion dans l'hémicycle. Dans la même période, le rapport d'activité du ministère public au titre de 2018, faisait état de 73 arrestations pour avortement. Le 2 juillet, lors d'une réunion de la commission de la justice et la législation à la chambre des représentants, la députée USFPiste, Amina Talbi, appelait à la « légalisation de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) et sa non incrimination dans tous les cas de figure« . Depuis la nuit des temps, les femmes recourraient, en cas de grossesse indésirable, « aux faiseurs d'anges », ou à des herboristes pour se faire avorter, au péril de leur santé, voire leur vie. Objectif : échapper au regard et au jugement de la société, ou tout simplement « ne pas se compliquer l'existence avec un enfant qui vient au mauvais moment ». C'est justement le motif de l'IVG, mais aussi et surtout les circonstances ayant engendré une grossesse, qui constituent la pierre d'achoppement entre les deux camps, en l'absence d'un nouveau texte qui viendrait trancher la question, et qui se trouve depuis 3 ans. « Les avortements illégaux ont toujours existé, mais avant, on fermait un peu les yeux, donc il y avait très peu de médecins qui pratiquaient les avortements qui étaient inquiétés par les autorités. Maintenant, on commence à voir de plus en plus de médecins, d'infirmiers et de sages-femmes à être arrêtés« , commente Dr Chafik Chraibi. Ceci s'explique selon lui par le changement de la loi. « La loi est devenue beaucoup plus sévère, beaucoup plus restrictive, et ceci a des conséquences, beaucoup de médecins ont fait marche arrière et ne veulent plus pratiquer l'avortement« , analyse-t-il au micro de Hespress FR. « Les jeunes femmes se retrouvent donc à aller faire des avortements traditionnels, ce qui est très risqué. On commence à voir à l'hôpital beaucoup plus de complications que l'on en voyait avant, notamment des infections, des hémorragies, des délabrements vaginaux ou encore des décès, c'est-à-dire qu'on est revenu au siècle dernier« , nous précise notre interlocuteur. Mais, déplore-t-il, « on voit aussi plus en plus d'enfants abandonnés. Des bébés retrouvés sur le trottoir, c'est devenu du quotidien« . Pour Dr Chraibi, « tout cela est la conséquence de la non-possibilité de se faire avorter. Ils ont beau vouloir traquer ou punir, ça n'arrêtera jamais car les grossesses non désirées existeront toujours, et les personnes ne pouvant pas supporter ces dernières aussi« . Il concède toutefois, la nécessité de « travailler en amont, essentiellement sur la prévention », mais, assure-t-il, « il y aura toujours des grossesses qui surviennent et il y a des personnes qui ne peuvent pas supporter le poids de ces grossesses, et qui de toutes les manières, finissent par aller se faire avorter ou accoucher d'un enfant qu'elles vont abandonner« . Revenant sur le sit-in observé devant le parlement, en partenariat avec d'autres associations, telles que Amnesty Internationale, le Printemps de la dignité ou encore l'ADFM, notre interlocuteur explique que « c'était pour réclamer une réforme de la loi vu que la discussion de cette dernière a été retardée au parlement (3 ans !)« . « Nous voulons montrer que nous ne céderons jamais et nous demandons à ce qu'il n'y ait pas de conditions trop strictes qui accompagnent chaque situation, comme par exemple le viol« , plaide-t-il, notant qu' »en cas de viol, la personne doit d'abord se faire avorter puis aller déclarer, les enquêtes, elles, montreront si justement il y'avait un viol ou pas. Nous allons faire une notification au procureur« . Un autre cas, selon lui, requiert une intervention pour IVG. « En cas de malformation fœtale, les couples ne veulent pas toujours garder l'enfant, donc les conditions ne doivent pas être top strictes« , avance Dr Chraibi. Santé physique. Et mentale ? A ce stade, notre interlocuteur appelle à « considérer l'article 453, et au lieu de mettre une liste exhaustive des situations où l'on peut autoriser un avortement, il suffit d'amender et d'appliquer l'article 453 du code pénal qui dit que l'avortement n'est pas puni lorsque la vie ou la santé de la femme sont mises en jeu« . Le problème, estime-t-il, « c'est que l'article 453 ne prend la santé que dans son sens physique, c'est-à-dire quand la personne est malade, alors que la santé, telle qu'elle est définie par l'OMS, est physique, mentale et sociale« . « Quand les gens auront compris ça, ils n'auront plus rien à dire sur le côté religieux de la chose car ils ne pourront pas aller contre la santé de la femme. Nous avons des conventions avec l'OMS et nous appliquons leur définition de la santé« . Une brèche pour contourner la loi ? Non assure le président de l'Amlac. « Je n'ai pas peur que tout cela ouvre une porte. Il y'aura un comité d'éthique dans chaque centre agréé pour l'avortement qui pourra discuter de ces cas-là et pourra autoriser ou non l'avortement et des certificats de la part des psychiatres seront demandés« , dit-il. Il explique : « Le médecin doit d'abord signaler un avortement et notifier les autorités, et au niveau des hôpitaux les comités d''étiques sont là. Le dernier mot pour passer à l'acte revient au comité d'éthique« . Pour conclure : « Je trouve anormal que les législateurs peuvent avoir une emprise sur le corps et la santé de ces femmes et qu'ils peuvent obliger des couples à avoir, malgré eux, des enfants handicapés. C'est là où réside la différence entre d'autres pays et le nôtre, dans les libertés individuelles. 95% des pays développés sont pour l'avortement et l'ont légalisé« . Que dit la loi L'article 453 du code pénal, complétant l'article 455 du même code et abrogeant le dahir du 22 joumada I 1358 (10 juillet 1939), Bulletin Officiel n° 2854 du 12 juillet 1967, stipule que « L'avortement n'est pas puni lorsqu'il constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder la santé de la mère et qu'il est ouvertement pratiqué par un médecin ou un chirurgien avec l'autorisation du conjoint. Si le praticien estime que la vie de la mère est en danger, cette autorisation n'est pas exigée. Toutefois, avis doit être donné par lui au médecin- chef de la préfecture ou de la province. A défaut de conjoint, ou lorsque le conjoint refuse de donner son consentement ou qu'il en est empêché, le médecin ou le chirurgien ne peut procéder à l'intervention chirurgicale ou employer une thérapeutique susceptible d'entraîner l'interruption de la grossesse qu'après avis écrit du médecin-chef de la préfecture ou de la province attestant que la santé de la mère ne peut être sauvegardée qu'au moyen d'un tel traitement ».