La culture de la pastèque continue son expansion à Feija, drainant davantage de ressources hydriques de la nappe. À l'heure où la sécheresse frappe Oued Drâa et le pays, cette culture doit susciter des interrogations quant à son impact sur la pérennité des eaux souterraines. La tête couverte d'un chèche bleu, Mohamed est penché sur une jeune plante de pastèque, occupé à déterrer les herbes parasites ayant survécu à la protection en plastique pour se faufiler près de la tige et qui risquent de l'anéantir. Cela fait deux semaines qu'il est rentré à son Drâa natal de Laâyoune, où il travaillait comme jardinier, lui qui est originaire de Timguit, village situé à une quinzaine de kilomètres au sud de Zagora. À l'approche de la saison de la récolte, il a l'habitude de trouver facilement du travail à la zone agricole Feija, située sur le bassin qui porte le même nom et qui s'étend sur une superficie de plus de 2 000 km2. Ce bassin se trouve sur ce que les géographes appellent le Moyen-Drâa. «Nous sommes deux ouvriers à travailler ici. Mon collègue arrive bientôt», tient-il à préciser. Tout seul au milieu d'une ferme de plus de trois hectares, il doit faire en sorte de désherber toute la plantation, avant de commencer à enlever les bandes fabriquées en granulés en polypropylène, conçues pour faire hiverner les plantes. Dans la plupart plantations, dont les superficies peuvent aller jusqu'à 10 hectares, voire plus, l'hivernage des plantes prend actuellement sa fin. En cette période de mi-mars, les températures commencent à s'élever, annonçant également une accélération du rythme d'irrigation des systèmes de goutte-à-goutte, largement utilisés dans ce nouvel eldorado de la pastèque, comme ailleurs au Maroc. Selon Mohamed, au début de la plantation, qui coïncide avec les deux mois de janvier et de février, chaque racine ne nécessite qu'environ deux litres par jour. A partir du mois de mars, ce rythme est quadruplé, la plante de pastèque nécessitant huit litres quotidiennement, ce qui dure au moins jusqu'au début de la récolte en avril. «C'est une consommation d'eau démesurée», estime-t-il. Dans le même ordre, d'aucuns avancent le chiffre de 6 000 m3 d'eau consommés par hectare ici, ce qui nous laisse toujours dans le même registre de surexploitation de la ressource hydrique. La culture de la pastèque, dans la zone agricole Feija. / Ph. Hicham Ait Almouh Le compte peut être facilement fait Dans cette plantation de trois hectares, qui se trouve au village Lamghader, entre 4 000 et 5 000 plantes, achetées au départ à 4,5 dirhams l'unité, doivent être irriguées pour assurer une bonne récolte. On imagine facilement les quantités d'eau nécessaires à cette culture à Feija, dans une région qui souffre, plus que toute autre région au Maroc, de la sécheresse et d'une pluviométrie moyenne annuelle de 70 mm seulement. Le patron de Mohamed y gère, à lui seul, environ 17 hectares, desservis par 8 puits creusés à une profondeur de 220 mètres environ. Selon l'estimation de Mohamed, ces 17 hectares contiennent au moins 20 000 plantes. Le compte peut être facilement fait. Avant la mise en place d'une nouvelle agence hydraulique de Drâa-Oued-Noun en 2019, d'anciennes données de l'Agence du bassin hydraulique de Souss-Massa indiquaient un nombre de points d'eau qui dépassait, il y a une dizaine d'années, 5 500 points, «avec des prélèvements totaux qui s'établiraient à environ 90 millions de m3 annuellement». Logiquement, ce chiffre a considérablement augmenté, vu le développement qu'a connu Feija. Selon les mêmes données, cette zone agricole a connu plusieurs extensions pour répondre aux besoins de la production, «exclusivement basée sur des pompages à forts débits à partir de sa nappe». Hamid Amellago, chef de projet dans un cabinet d'études et agriculteur, défend un point de vue totalement opposé. Pour lui, les quantités d'eau dépensées pour la pastèque sont justifiées, car cette culture est capable de remédier à l'exode vers les villes. Selon ses estimations, la superficie de 4 000 ha dédiée à la pastèque à Feija a généré, en 2017, environ 600 millions de dirhams et plus de 200 000 jours de travail, au prix de 60 millions de m3. Il est clair que plusieurs paramètres doivent être pris en compte afin d'estimer si ces gains, s'ils sont véridiques, justifient réellement les volumes d'eau dépensés. La culture de la pastèque, dans la zone agricole Feija. / Ph. Hicham Ait Almouh Tenant en compte le coût de forage des puits, qui est de 300 dirhams le mètre, seuls les grands agriculteurs peuvent investir de cette manière dans cette zone. Parmi eux, certains louent des parcelles chez les paysans possédant des terrains, ou les exploitent ensemble sous une forme de partenariat. Cette catégorie d'investisseurs a vu le jour avec la mise en place du Plan Maroc Vert qui a fait multiplier la surface agricole dédiée à la pastèque au Maroc. Entre 2008 et 2020, cette surface serait passée de 400 à plus de 15 000 hectares, dont 4 000 ha à Feija. Un paysan rencontré sur place dit avoir trouvé un moyen pour investir et transformer la moitié de sa ferme, d'une superficie de 9 hectares, en une plantation moderne. Le reste de la superficie, il l'exploite pour planter la luzerne, indispensable au bétail, et pour cultiver le blé, chose qui n'est pas très fréquente. Enfin, comme d'habitude, une partie est laissée comme jachère. Dans sa Ford Transit, qu'il utilise aussi pour prendre des places dans ses allers et retours à Zagora, histoire de couvrir au moins une partie des frais de déplacement, il confirme ce que Mohamed nous a avoué : «la pastèque est une culture très aquavore», dit-il. Il y a l'eau potable aussi Point commun de tous les agriculteurs de Feija, préserver la nappe est loin d'être leur premier souci. Ces agriculteurs s'étaient même opposés, il y a cinq ans, au forage de nouveaux puits par l'ONEE dans le champ captant de Feija, après qu'une pénurie d'eau potable a frappé la ville de Zagora, alimentée également par le champ captant de Nebch. Avant 2017, douze forages et puits des deux champs cités alimentaient la ville, sans pouvoir éviter les coupures d'eau à l'époque, lesquelles avaient causé le mécontentement de la population locale. Dès lors, la compétitivité entre les besoins de l'irrigation et ceux de l'eau potable est devenue très marquée. La culture de la pastèque, dans la zone agricole Feija. / Ph. Hicham Ait Almouh Au Moyen-Drâa, les eaux souterraines complétaient normalement les eaux du barrage Mansour Eddahbi, avant que celui-ci ne soit utilisé pour alimenter les stations Noor de Masen. En 2014, une conduite d'adduction d'eau brute a été installée à partir de ce barrage jusqu'au réservoir de stockage du complexe solaire d'Ouarzazate. Cela dit, Masen avait déclaré que «la consommation d'eau annuelle de Noor I durant la phase d'exploitation représente 0.7% seulement du volume régulier annuel de ce barrage». Précisément, le volume de remplissage normal du barrage Mansour Eddahbi est de 216 millions de mètres cubes (Mm3). Cœur d'un écosystème agricole et social, le palmier semble le premier à être lésé par l'engouement éphémère que suscite la pastèque à la région de Zagora. Millénaire est symbolique du Drâa, il agonise à cause de la sécheresse et du départ des habitants vers les villes. La semaine dernière, un lâcher d'eau du nouveau barrage d'Agdez a commencé à redonner un semblant de vie à la palmeraie, en attendant que l'eau atteigne M'hamid, la plus méridionale des oasis. Cela dit, il en faut sûrement beaucoup plus que ça pour sauver le Drâa.