La palmeraie d'Oued Drâa agonise. Les puits d'eau creusés de plus en plus profondément ne garantissent plus de trouver un écoulement capable d'irriguer les champs. Parallèlement, la pastèque aquavore prend du terrain au milieu de l'oasis. Le long d'Oued Drâa, les conséquences de la sécheresse terrible qui s'abat actuellement sur le Maroc sont visibles de loin. Quand on s'aventure au milieu de la palmeraie, le constat est plus effarant. Sur place, les jardins sont en majorité abandonnés et le nombre de palmiers irrécupérables est impressionnant. Les séguias, quant à elles, ont été envahies par les débris, sauf celles qui se trouvent près des torrents. Ce constat a poussé plusieurs agriculteurs à abattre les palmiers morts, afin de sauver, au moins, les stipes et les exploiter dans la construction. À la palmeraie de Zaouiat El-Fegousse, un village situé à environ 30 kilomètres à l'ouest de Zagora, si Seddik était, l'après-midi du jeudi 3 mars, en train de couper justement un large stipe en madriers courts, du haut de ses soixante ans passés. Ouvrier malgré son âge avancé, il illustre la réalité des oasis d'Oued Drâa, que la plupart des jeunes ont quittées vers les villes. Cette image d'un sénior travaillant aux champs n'est pas surprenante ici. La quasi-totalité des jeunes ont déserté les villages d'Oued Drâa, qui pour les études, qui pour le travail. Après le baccalauréat, que les élèves de Zaouiat El-Fegousse obtiennent au lycée de Tinzouline, chef-lieu de la commune, toutes et tous partent à Agadir, à Marrakech ou aussi loin que la capitale Rabat pour terminer leurs études. Une fois leur diplôme en poche, ils ne reviennent jamais, sauf pour une visite familiale qui redonne aux ménages un semblant de vie. Pour l'instant, seuls les parents et les juniors peuplent le village. Une autre catégorie part gonfler les effectifs prolétaires dans les grandes villes, surtout Casablanca. Ils finissent par s'y installer. Avec la sécheresse, la perspective de rentrer au village, pour investir ce qu'ils ont mis de côté, s'évapore. Jadis, ils avaient l'habitude de se marier dans leurs villages et continuaient à faire l'aller et retour à partir des villes d'accueil. Ce n'est plus le cas maintenant, car le départ vers la ville est désormais irrévocable. D'ailleurs, tous les villages du Drâa se sont urbanisés. Que ce soit ceux situés sur la route nationale n°9, reliant Agdez et Zagora et puis M'hamid, ou ceux situés sur la rive nord de l'Oued, appelés Rouha, ils disposent tous de l'électricité. Les grandes agglomérations comme Tinzouline ont même l'eau courante depuis longtemps. Ph. Hicham Ait Almouh Est-ce la fin de la culture vivrière ? Ce qui a été également bouleversé à Oued Drâa est la composition des ménages. Ces derniers étaient composés de plusieurs familles, découlant de la même fratrie. Maintenant, il n'y a que les parents et les adolescents, en attendant que ces derniers décrochent le baccalauréat ou partent travailler dans les villes. Si Lârbi Tazarni, ancien agriculteur de soixante-cinq ans, vit seul avec sa femme dans une maison qui abritait jadis une quarantaine de personnes. Sa famille illustre cette réalité des ménages à Zaouiat El-Feggousse, avec ses six enfants vivant entre Casablanca et Rabat. Derrière le village, ses palmiers ont subi de plein fouet la succession de longues périodes de sécheresse qui ont contribué à épuiser la nappe phréatique. Dans la plupart des anciens puits du village, creusés à une vingtaine de mètres de profondeur, il n'y plus rien à puiser. «Actuellement, on trouve de l'eau à 120 mètres de profondeur. Mais ce n'est pas garanti. J'ai creusé deux puits, dont un à cette profondeur sans y trouver aucune goute», nous dit Mohamed Lhjila, agriculteur du limitrophe Ksar Akhallouf, situé sur la rive nord d'Oued Drâa. Le tarif en vigueur pour le forage est de 300 dirhams par mètre. Un puits creusé à 120 mètres coûte ainsi 36 000 dirhams, sans compter les autres frais, notamment la pompe et l'équipement de l'énergie solaire, subventionné seulement pour le foncier titré. Seuls les agriculteurs disposant d'appui financier ou d'une rente peuvent donc investir dans un nouveau puits. Les autres dépendent du soutien familial pour survivre. La succession des années de sécheresse a transformé par ricochet le mode de vie. «Il fut un temps où nous n'achetions rien du tout. Nous produisions tout ce dont nous avions besoin dans nos champs et grâce à notre bétail», nous dit Si Lârbi. Qu'en est-il maintenant ? La rente a remplacé l'agriculture vivrière. Déjà, le Drâa Tafilalet connaît depuis plusieurs décennies une hémorragie humaine qui l'a vidé de sa population. Avec une ressource en eau de plus en plus rare, cette agriculture vivrière en grande partie est en train de disparaitre. Seules les familles disposant de ressources arrivent à entretenir leurs palmiers et à cultiver essentiellement de la luzerne pour le cheptel. C'est le cas par exemple de Ksar Zorgane, où on ne voit pas la trace de la sécheresse sur les jardins, une exception à la règle. Selon les riverains, cela est dû à une partie de la population qui a émigré vers les villes ou à l'étranger et qui «investit dans le bled». Ph. Hicham Ait Almouh Solidarité millénaire Bizarrement, la culture qui a plus d'engouement dans la région, c'est la pastèque, réputée aquavore. Cette culture, qu'on remarque de loin grâce à ses couvertures plastifiées, commence à prendre plus de terrain aux deux rives de l'oued, d'Agdez, jusqu'à M'hamid El-Ghizlane. Alimentée comme chaque culture moderne grâce au système de goute à goute, subventionnée selon des conditions qui ne s'appliquent pas à la forme de propriété du foncier majoritaire dans le Drâa, la culture de la pastèque commence à susciter les interrogations quant à sa pertinence dans une vallée où la sécheresse étouffe population et cheptel. Aussi, depuis la construction du barrage d'Agdez, il n'y a plus d'écoulement dans le Drâa. Même si celui-ci ne confine que peu d'eau, cela contribue à la désolation du paysage à l'amont, sachant que l'irrigation se fait à partir de la nappe et non directement de l'oued. Actuellement, les travaux sont en cours le long de la route nationale n°9 pour alimenter toutes les grandes agglomérations en eau courante à partir de ce barrage. Première vocation des barrages au Maroc, l'eau potable distribuée aux citadins prend le dessus sur l'irrigation, mais à quel prix ? Cela dit, ce qui n'a pas changé à Zaouiate El-Fegousse comme à Oued Drâa est l'entraide entre les villageois. Cet esprit de solidarité, hérité d'une ère où les communautés en dépendaient pour survivre, a pris une forme moderne actuellement. En effet, grâce aux efforts de ceux qui ont préféré rester, une association créée au village depuis quelques années a permis d'obtenir des autorités de la Région du Drâa-Tafilalet une minus-bus qui permet aux élèves d'aller au collège à Afra et au lycée à Tinzouline. L'association contribue même à la rémunération du chauffeur et elle est en train d'œuvrer pour obtenir un deuxième véhicule. L'entraide dépasse le cadre scolaire aux cotisations qui permettent de soutenir financièrement les résidents en cas de mariage ou de décès. Dans un élan semblable, les femmes du village sont en train de cotiser pour l'achat d'un équipement frigorifique. La cotisation est infime, mais très symbolique d'une société marocaine qui s'accroche aux traditions malgré ses transformations profondes.