Au niveau de la frontière entre l'Ukraine et la Roumanie, des milliers de ressortissants marocains au milieu de centaines de milliers de personnes, tentent de traverser les postes-frontières pour fuir l'intervention militaire russe. Mais ce parcours n'est pas sans risques, surtout pour les étudiants qui ont marché des kilomètres dans la neige, ou encore ceux qui n'ont plus leurs passeports. Même après avoir franchi la frontière de la Roumanie, les ressortissants marocains résidents en Ukraine n'en ont pas encore fini avec leur périple. Etudiants ou travailleurs, ils ont fui le pays par voie terrestre, unique solution depuis le début des frappes russes, le 24 février, après lesquelles l'espace aérien et maritime a été fermé. Auprès de Yabiladi, des nationaux ont témoigné de la difficulté de ce voyage, que ce soit au cours du chemin à cause de la menace de nouvelles attaques aériennes, ou encore à leur arrivée à la zone frontalière, à cause des rudes conditions météorologiques, des considérations administratives ou encore de la longue attente, au vu du nombre de personnes qui se dirigent vers les points de sortie. Etudiant en quatrième année de médecine à Dnipro (sud-est de l'Ukraine), Taha a déclaré à Yabiladi avoir enfin franchi la frontière mardi, plus de 14 heures après son départ de la ville de résidence, qu'il a dû quitter sans pouvoir récupérer son passeport. «J'étais dehors, non-loin de mon université, lorsque mes camarades m'ont appelé et m'ont dit que j'avais une demi-heure pour rejoindre en urgence le point de rassemblement, car un bus allait arriver pour opérer une évacuation imminente», raconte-t-il. «Pris de court, je n'ai pu avoir le temps ni de rassembler mes affaires, ni récupérer mes documents administratifs. Juste le temps de rejoindre mes amis, monter dans le véhicule qui nous a conduit loin de la ville, violemment bombardée deux heures plus tard», se souvient Taha. Sept heures de marche dans une nuit enneigée pour rallier la frontière En tout, le périple de Taha aura duré sept heures en bus, dans une route «jonchée de barrages militaires». «Nous n'étions rassurés à aucun moment pendant ce trajet surtout en voyant des militaires, car on ne savait jamais sur qui on allait tomber», a-t-il encore témoigné. «Parfois, les barrages étaient ceux des soldats ukrainiens, parfois des russes. Des fois, il y avait aussi des soldats russes mais qu'on prenait pour des militaires ukrainiens. Nous avions juste peur qu'on nous tire dessus ou qu'on oblige les passagers à descendre du véhicule à mi-chemin, au milieu de la neige et du froid glacial.» Taha, étudiant en Ukraine «Certains abandonnaient leurs véhicules, en panne d'essence, pour continuer à pieds, avec enfants et bagages», se souvient Taha. Il dit être descendu lui-même, avec tous les autres étudiants du bus, plusieurs kilomètres loin des postes-frontières. «En plus des sept heures en transport, nous avons fait sept autres heures de marche dans la neige, à la tombée de la nuit, afin de rallier la frontière. C'étaient sept heures de torture, mais après lesquelles nous sommes passés de l'autre côté sains et saufs», confie-t-il avec soulagement. Ukraine : Les Marocains résidents à Soumy, otages d'une ville encerclée Mais ce passage en lui-même n'a pas été des plus faciles. «Je peux vous confirmer les actes racistes dont les étudiants des pays d'Afrique ont fait part ces derniers jours. Issus des pays subsahariens surtout, ils ont été nombreux à avoir été repoussés de la zone frontalière, par l'armée ukrainienne. Beaucoup ont été forcés à rebrousser chemin», nous a affirmé Taha. «La tension avec les militaires à la frontière était terrible. Lorsque je me suis dirigé vers un militaire ukrainien pour lui expliquer que nous étions un groupe d'étudiants marocains et que nous voulions traverser la frontière, il a fait un tir de sommation avant de braquer son arme sur moi, en répétant avec insistance «go back, go back !» (retournez, retournez !).» Dans la zone frontalière, des journalistes de médias internationaux contactés par Yabiladi ont confirmé des actes de violence à l'encontre des arrivants. «Un ressortissant marocain s'approchait en voiture, lorsque la police ukrainienne lui a confisqué son véhicule, sans qu'il ne puisse avoir le temps de récupérer son passeport resté dedans», a indiqué un journaliste contacté par Yabiladi. D'autres étudiants marocains nous ont dit avoir été battus par des militaires ukrainiens, ou se sont fait confisquer leurs affaires, passeport inclus, avant d'être poussés brutalement pour continuer leur chemin. Des étudiants mécontents de l'absence du service consulaire Sur le côté roumain de la frontière, «le personnel consulaire du Maroc a été absent», selon trois témoignages recueillis par Yabiladi. «Ils n'étaient pas là lorsqu'on est passé en Roumanie et le numéro de téléphone de la représentation ne répondait pas», a indiqué Taha. «Au niveau de la police aux frontières, les choses étaient un peu moins difficiles qu'avec l'armée», selon lui. «Je n'avais pas mon passeport mais les autorités se sont contentées de ma carte nationale marocaine et ma carte de résident en Ukraine», dit-t-il. Taha raconte avoir passé deux jours à la frontière du côté roumain. «Sans passeport, on est considéré comme réfugié de facto, donc les policiers ukrainiens nous fournissent un document à montrer à leurs homologues roumains de l'autre côté. Une fois passé, on est accueilli tous dans un centre, puis on procède à l'identification des ressortissants de différentes nationalités qui sont transité afin de regagner leurs pays d'origine, et ceux qui ont quitté l'Ukraine pour demander l'asile à cause de la guerre», explique-t-il. «Après qu'on m'ait rendu le document fourni par les autorités ukrainiennes, j'ai donc été placé dans un deuxième centre avec d'autres étudiants, pour le parachèvement des procédures administratives qui nous concernent. On nous a octroyé un titre de séjour temporaire d'une durée d'un mois, le temps de regagner nos pays, puis j'ai pu quitter le centre», a encore raconté Taha. Mais la procédure n'a pas été aussi fluide pour tous les étudiants. Contactés par Yabiladi, d'autres attendent encore de récupérer l'ensemble de leurs documents nécessaires pour poursuivre leur chemin jusqu'au Maroc, tout en déplorant «l'absence de l'ambassade, restée injoignable». Mardi via sa page Facebook, la représentation diplomatique a recommandé aux nationaux venus d'Ukraine d'emprunter d'autres passages frontaliers que celui de Siret, «à la demande de la police des frontières roumaines», à cause du nombre important des arrivants sur ce point de passage. Ainsi, les Marocains ont été appelés à passer par les postes de Sighetu Marmatiei – Solotvino, Halmeu – Diakovo, ou encore le point de passage frontalier avec la Moldavie. Mercredi, de nombreux étudiants et MRE installés en Ukraine et arrivés en Roumanie ont prévu de se rassembler devant l'édifice de l'ambassade du royaume du Maroc à Bucarest.