Alors qu'André Azoulay délivrait hier à Toronto un discours dans le cadre de la commémoration des «2000 ans de vie juive au Maroc», Yabiladi a voulu profiter de cette occasion pour interroger la politicienne juive Maguy Kakon sur la situation de la communauté juive dans le royaume. Entre revendications de pleine citoyenneté et implications de la jeunesse juive dans l'économie du pays, éclairage sur une communauté dynamique. Lors d'une soirée de Gala organisée mardi à Toronto en hommage au cinquantenaire des relations maroco-canadiennes, le conseiller du Roi et président de la Fondation Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures, André Azoulay, a invité les responsables de la communauté juive marocaine au Canada à se rassembler pour «donner corps et réalité à l'histoire du judaïsme marocain en Amérique du Nord, en Amérique du Sud et dans les Caraïbes». Dans une allocution d'ouverture emprunte de solennité, le membre du comité des sages pour l'Alliance des civilisations à l'ONU a déclaré que «ce soir à Toronto, le judaïsme marocain signe une nouvelle page de son histoire en affichant fièrement son exceptionnelle capacité à rester lui-même», ajoutant par ailleurs qu' «en choisissant de célébrer le cinquantenaire des relations maroco-canadiennes, dans la perspective de 2000 ans de vie juive au Maroc, c'est la modernité, l'universalité et la richesse de toutes nos histoires additionnées que vous avez le talent de mettre au cœur du débat au centre du continent américain». M. Azoulay a également profité de sa présence au Centre culturel de la communauté juive marocaine de Toronto, lieu où se déroulait la cérémonie, pour rappeler les efforts de «ce Maroc qui gagne et qui refuse d'être amnésique du pluralisme de son histoire», un Maroc «encore plus fort depuis l'adoption de notre nouvelle Constitution qui consacre la richesse de notre diversité» a-t-il ajouté, invitant l'assistance à prendre la juste mesure de cette réelle avancée du pays. Les juifs du Maroc revendiquent leur citoyenneté à part entière Il est vrai que la Nouvelle Constitution marocaine, qui déclare que l'identité marocaine est multiple et que tous les citoyens sont égaux dans leurs devoirs et leurs droits, représente un réel espoir d'avancement pour de nombreuses personnes, à commencer par les membres de la communauté juive du Maroc. Car, cette-dernière, qui a toujours su rester discrète sur ses griefs et aspirations, n'en revendique pour autant pas moins son droit à la citoyenneté à part entière. En effet, les 2500 juifs marocains du Maroc possèdent un statut différent des autres citoyens puisqu'ils sont «dhimmi», c'est-à-dire placés sous la tutelle et la protection des lois islamiques. Or, la Nouvelle Constitution, qui consacre l'égalité des droits et des devoirs de tout un chacun, devrait permettre de «constitutionaliser la citoyenneté de la communauté juive dans son ensemble, en lui donnant sa pleine légitimité» indique la politicienne et auteur juive Maguy Kakon. Cette dernière, qui déplore le fait qu'au Maroc les citoyens juifs soit d'abord «qualifié de juifs» avant d'être vus comme «des citoyens à part entière», souligne néanmoins les efforts entrepris par le pouvoir politique marocain dans le sens d'une meilleure intégration, «réussie et pérenne», des membres de la communauté juive dans le pays. Mme Kakon sait de quoi elle parle puisque son parcours emblématise à lui-seul ce modèle d'intégration réussie : en 2007, elle est en effet devenue la première femme juive à concourir à une élection au Maroc, une initiative qu'elle a d'ailleurs réitérée en 2011. Une jeunesse juive qui «booste l'économie du Maroc» Mais le dynamisme et la volonté ne sont pas que l'apanage de la passionaria. De son propre aveu, 10% de la communauté juive marocaine est composée de trentenaires et quadragénaires au moins aussi actif qu'elle qui «boostent l'économie marocaine» : «ce sont des opérationnels et des décideurs placés dans les banques, l'industrie, les services ou autres et dont l'esprit d'entreprenariat a un effet dynamisant sur l'économie du pays» précise-t-elle. A ce propos, Mme Kakon ajoute que depuis «l'intronisation de Mohammed VI en 1999, de nombreux jeunes juifs partis vivre à l'étranger sont rentrés au pays pour créer leur entreprise», ce qui, «en plus d'être une première, prouve l'attachement qui lie ces jeunes à leur Mère Patrie». Enfin, quand interrogée au sujet du discours d'André Azoulay de Toronto, cette femme de terrain, jeune et engagée, ne peut s'empêcher d'y aller d'une critique furtive : «Il est très loin des problèmes qui secouent notre communauté». Ce décalage la renvoie d'ailleurs au Comité des juifs du Maroc dirigée par une gérontocratie poussiéreuse qui a du mal à céder sa place à la jeunesse : «notre président a 94 ans et le Comité est dirigée depuis 24 ans par la même personne dans une opacité totale» indique-t-elle. Et de rajouter : «il est temps de laisser la place aux jeunes. D'être dans l'air du temps.»