Incarcéré pour «propos insultants à l'égard des autorités», le rappeur marocain El Ha9ed croupi toujours dans la cellule de la prison d'Oukacha à Casablanca. Après deux mois de prorogations de procès, et face à la pression des associations humanitaires, le ministre de la justice, Mustafa Ramid, s'est exprimé hier pour la première fois sur le sujet. Mouad Belghouat, alias «El Ha9ed» - son surnom - semble avoir un nom qui le prédestinait. En effet, «celui qui gueule» (littéralement), et qui a manifestement gueulé un peu trop fort, se trouve une nouvelle fois incarcéré pour «insultes à l'égard des autorités» et «outrage à un corps constitué». Arrêté le 28 Mars dernier, «El Ha9ed» s'est notoirement fait connaitre des autorités marocaines pour avoir publié une vidéo Youtube dans laquelle il parodiait la police, y dénonçait sa corruption, et ironisait sur la servilité de l'entourage du roi. Deux mois après son arrestation, le rappeur populaire est toujours en détention préventive au centre pénitentiaire d'Oukacha, à Casablanca, dans l'attente d'un procès. Il risque d'écoper de trois ans de prison ferme. Prévu d'abord pour le 16 Avril, puis ajourné au 25, et derechef prorogé au 30 du même mois, le procès d'El Ha9ed ne cesse d'être reporté depuis plusieurs semaines. Interrogé au sujet de cette affaire par l'agence de presse Reuters, le ministre de la Justice, Mustafa Ramid, a répondu, hier, mardi 1er mai, à la pression exercée par les associations humanitaires visant à faire libérer «El Ha9ed». Il affirmant que le gouvernement marocain maintiendrait une position ferme à son encontre : «l'Etat ne doit pas céder sous la pression [des ONG] et va, de ce fait, maintenir ses poursuites [contre El Ha9ed]». Et le ministre de renchérir : «la Cour va traiter le dossier et décider de ce qu'elle considère comme le plus approprié comme verdict – coupable ou innocent – et nous ne pouvons pas interférer avec la procédure.» Le Maroc face à ses contradictions Le ministre du PJD est pourtant un ancien avocat qui s'est illustré en menant une campagne très offensive contre les détentions injustes, et parfois arbitraires, du système répressif makhzénien. Cette contradiction du ministre de la justice est patente, mais elle n'est pas la seule. Elle est symptomatique d'une contradiction institutionnelle qui concerne la non-application des textes de la nouvelle constitution. Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch, l'affaire Belghouat, qui relève «purement et simplement [d'une question] de liberté d'expression», est en train de mettre le Maroc «face à ses propres contradictions» puisque la nouvelle consitution proclame, entre autres, la liberté d'expression. Or, selon la responsable d'Human Rights Watch, l'affaire du rappeur insurgé vient de porter à la lumière du jour «le hiatus encore trop grand qui sépare ce droit constitutionnel de son application effective» dans la sphère politico-juridique du royaume.