Et voilà, c'est fait, acté, signé, applaudi et fêté ! A la grande joie du gouvernement et de son chef Aziz Akhannouch, un accord a été conclu en fin de semaine dernière entre le gouvernement, les trois centrales syndicales les moins impuissantes, la CGEM et aussi la Comader (développement rural). En dehors de rachitiques augmentations du SMIG en 2014 puis en 2019 (2 x 5%), rien ne s'est passé sur le plan social depuis… 2011 ! Ces dix dernières années ont en effet été marquées par la présence du PJD à la tête du gouvernement, et essentiellement celle d'Abdelilah Benkirane, une « bête » politique qui connaissait bien le poids et les effectifs des syndicats nationaux. Pas plus de 6-7% des plus que 10 millions de travailleurs du pays. M. Benkirane considérait que lui et son parti, élus avec 1,6 million de voix, pesaient bien plus que les syndicats qui, à plusieurs dizaines, ne valaient qu'un peu plus d'un demi-million de personnes. L'ancien chef du gouvernement l'avait bien fait sentir aux syndicats qui avaient mené cette hallucinante action de boycott du 1er mai 2015 !... Puis surgit Ssi Akhannouch à la tête du gouvernement et de la majorité… Il est vrai que l'homme et ses 24 ministres sont arrivés à un très mauvais moment de conjoncture : sortie de pandémie et entrée en guerre, les deux compliquées par une sévère sécheresse… et les nerfs de tout le monde à bout. Il fallait quelque chose, et il y a eu quelque chose. Et même un paquet de bonnes choses… Un SMIG public relevé à 3.500 DH net/mois, contre environ 3.000 DH aujourd'hui, et un SMIG privé à augmenter de 10% de là à septembre 2023, en deux tranches de 5% chacune. On compte également un rabaissement de 3.240 jours d'affiliation à 1.320 pour bénéficier de la pension de vieillesse, un allongement du congé paternité de 3 à 15 jours (dans le public), et même un alignement du SMAG (salaire minimum agricole) sur le SMIG, pour le faire passer à échéance 2028 de près de 2.000 DH à environ 3.000 DH. Mais pour autant, la méfiance a pris place et la contestation menace… La méfiance, c'est celle de la CGEM, considérée à tort ou à raison comme le représentant de l'entreprise. La Confédération, prudente et soupçonneuse, a mis une condition pour la seconde augmentation de 5% du SMIG, prévue pour septembre 2023. Les patrons exigent que deux mois avant cette échéance, la loi sur la grève devra avoir été adoptée et le Code du travail amendé. Il n'y a plus qu'à souhaiter bon courage au gouvernement pour parvenir à un accord sur la flexibilité, le licenciement, le temps partiel… et autres sujets qui fâchent ! Sinon, pas d'augmentation des salariés du privé. Quant à la contestation, elle sera le fait de ces lobbies agricoles qui ne vont pas accepter sans rechigner l'augmentation du SMAG. Ils vont causer compétitivité, ils vont gloser sur l'exportation, ils vont s'inquiéter sur les prix des denrées alimentaires de première (et même de seconde) nécessité… attendant sans doute que quelqu'un leur rappelle à juste titre, le sourcil froncé, qu'ils ne paient toujours que très peu d'impôts… quand ils en paient ! Il reste enfin la conclusion d'un pacte du dialogue social, mais cela, c'est essentiellement de la com, comme pour bien d'autres projets gouvernementaux présentés comme de (futures) grandes réalisations. L'année sociale, les comités provinciaux et régionaux, et la fameuse et sacrosainte ins-ti-tu-tion-na-li-sa-tion du dialogue social. M. Moukhariq de l'UMT pourra chanter victoire, faire le V avec ses doigts, comme à son habitude, mais rien d'autre… Ah si ! L'accord prévoit une petite rallonge de 30% de la subvention publique accordée aux syndicats, ce qui n'est pas rien, et ce qui est même très important, car cette douce faveur fluidifie les discussions et ramène le sourire sur les visages ombrageux des syndicalistes. Le gouvernement Akhannouch peut donc se glorifier de cet accord, mais il devrait rester attentif et prudent… les négociations les plus ardues restent à venir, avec la CGEM qui compte bien ne rien lâcher si elle n'obtient pas le très délicat amendement du Code du Travail, dans un sens qui ne va pas forcément dans le sens et le bonheur des salariés… et avec les exploitants agricoles qui voudront continuer d'exploiter. L'effet d'annonce laissera place aux coups de semonce. On a bien raison de parler de rounds de discussions, car ce qui arrive ressemblera à un pugilat.