« Nous n'avons pas d'amis ou d'ennemis permanents ; nous n'avons que des intérêts permanents », disait Lord Palmerston vers le milieu du 19ème siècle. Une vérité durable… Près de deux siècles après cette profession de foi de l'homme qui dirigea vingt années durant la diplomatie de Sa Gracieuse Majesté la reine Victoria, on y est toujours. Le récent coup de théâtre qu'a connu l'affaire du Sahara entre dans cette logique et la confirme. Cela fait 45 ans que le Maroc subit les affres d'un conflit larvé avec son voisin algérien, autour d'une question dite de décolonisation dont les anciennes puissances colonisatrices que sont la France et l'Espagne se sont continuellement accommodées. Ces deux pays ont toujours naturellement gardé un œil sur leurs intérêts, même au détriment de ceux des deux nations maghrébines dont elles disent être les amies indéfectibles, et qui les croient volontiers. Mais un pays, disait Lord Palmerston, n'a pas d'amis, et c'est sans doute pour cette raison que « l'amitié » franco-marocaine se combine très opportunément avec le TGV, deux satellites, plusieurs grosses entreprises délégataires de non moins gros services publics, et des banques, qui pompent l'information économique nationale de première main. Il en va de même pour l'Espagne, ses intérêts au Maroc et les gains engrangés. L'un et l'autre des deux pays européens sont tour à tour premier partenaire économique du Maroc. Avril 2016, Ryad. Le roi Mohammed VI prononce un discours devant ses pairs du Golfe où il énonce une variante de la vérité de Lord Palmerston : « Tout en restant attaché à la préservation de ses relations stratégiques, le Maroc n'en cherche pas moins, ces derniers mois, à diversifier ses partenariats, tant au niveau géopolitique qu'au plan économique (…). Le Maroc est libre dans ses décisions et ses choix et n'est la chasse gardée d'aucun pays. Il restera fidèle à ses engagements à l'égard de ses partenaires, qui ne devraient y voir aucune atteinte à leurs intérêts ». Voire ! Il est temps de repenser nos alliances et de recenser nos amis, de mieux choisir nos partenaires et de redéfinir notre politique extérieure. Il n'existe pas de fatalité post-coloniale, il n'y a que des anciens colonisés, et la mentalité qui va avec, qui s'estompe le temps aidant… La génération actuelle, et encore plus celle à venir, aura quelque difficulté à comprendre pour quelles obscures raisons France et Espagne font prospérer leurs écoles et instituts à Laâyoune et Dakhla, semant les langues espagnole et française et essaimant leurs entreprises, arborant à leurs devantures des drapeaux marocains, mais se refusant toujours à reconnaître que ce Sahara est marocain ! Certes, les Américains n'étant pas nécessairement réputés pour leur philanthropie, ils ont « gagné » la paix entre Israël et un pays (dit) arabe, mais un pays qui compte, qui n'a pas accepté le deal par crainte d'une quelconque puissance, mais qui a obtenu ce qui voici quelques semaines était tout simplement impensable. Ce faisant, l'Oncle Sam a singulièrement hissé le niveau de l' « amitié » dont se prévalent à notre égard Paris et Madrid. Une amitié est agissante et un ami doit prendre des risques, pour ne pas être rétrogradé au rang de simple « copain », pour reprendre le mot de Giscard d'Estaing… Il est vrai que l'Europe, voisine immédiate du Maroc, représente une importance stratégique pour le royaume. Mais l'inverse est tout aussi vrai, si le Maroc sait y faire. Or, l'Union européenne est désormais réputée pour sa timidité diplomatique et son manque de volonté politique, par intérêt, par difficulté à s'accorder ou par pusillanimité. Et, au vu des mutations géopolitiques et de l'intérêt croissant des grandes puissances pour l'Afrique, l'Europe en général, France et Espagne en particulier, devraient reconsidérer leur position à l'égard du Maroc et du Sahara, d'abord en défense de leurs propres intérêts, qui pourraient être bousculés par l'arrivée des Américains et des Israéliens (le ministre Mohsine Jazouli a annoncé des investissements massifs US dans la région). Par ailleurs, l'opinion publique marocaine, une fois remise de la stupeur, admettra encore moins qu'aujourd'hui les positions française et espagnole, et se tournera encore plus vers le monde anglo-saxon, plus réactif. Cela nécessitera sans doute des années, une génération peut-être, mais une fois acquise, cette tendance sera irréversible, malgré le tropisme actuel des dirigeants marocains pour la France... Entre les Américains qui ont spectaculairement franchi le pas et les Chinois qui avancent à petits pas et s'installent progressivement sur le sol marocain, les Européens sont en bonne voie de perdre un allié stratégique à leurs portes, un allié passerelle vers l'Afrique émergente déjà acquise à la Chine et appelée à être courtisée de plus en plus par Washington.