Interviewé par Imane Bouhrara | Le Roi Mohammed VI a transformé les atouts du Maroc à la faveur d'une politique extérieure marocaine réaliste et pragmatique, en diversifiant les partenaires et en se réappropriant la place qui lui est sienne sur le continent africain. Ali Lahrichi, docteur en Droit et en relations internationales et Doyen de l'Institut des Sciences politiques, juridiques et sociales de Mundiapolis, retrace la transformation impulsée par le Roi Mohammed VI. EcoActu.ma : Depuis le début du règne du Roi Mohammed VI, le Royaume a géré nombre de crises avec des pays comme la France, ceux du Golfe et plus récemment avec l'Allemagne et l'Espagne. A l'analyse de la gestion de ces dossiers, peut-on parler d'une rupture dans la gestion des relations internationales du Maroc ? Une signature Mohammed VI ? Ali Lahrichi : Le Maroc, Etat multiséculaire et nation au carrefour de l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient, est un acteur incontournable de l'échiquier géopolitique régional et international, de par son histoire, sa position géographique et aussi en tant que puissance régionale émergente tant sur le plan économique que sécuritaire. Aujourd'hui, la signature Mohammed VI est limpide dans la prise de décision de la politique extérieure du Maroc, qui marque un tournant dans la gestion des relations internationales du Royaume. En effet, le règne de Mohammed VI s'est inscrit dans la perspective du « changement dans la continuité » tant sur le plan interne qu'externe. Le Maroc, comme tout Etat jaloux de sa souveraineté dans l'arène internationale, veille à préserver ses intérêts et à reconnaître ses amis de ses ennemis, sans jamais abandonner ni ses principes ni ses territoires. Le réalisme politique est le maître mot de nos jours et la voie qu'emprunte le Maroc ne fait que conforter sa politique inamovible de n'abandonner aucun grain de sable de son Sahara ni de tolérer une atteinte à sa souveraineté. Sur le plan interne, d'une part, c'est la mise en marche du changement à travers un élan démocratique sans détour, dont la feuille de route est le discours du Roi du 30 juillet 2000, qui annonce clairement le nouveau concept de l'autorité prôné par le Chef de l'Etat, et qui va être « l'instrument qui veille sur le service public, gère les affaires locales, préserve la sécurité et la stabilité, protège les libertés individuelles et collectives[1]» et qui est « ouvert sur les citoyens et en contact permanent avec eux pour traiter leurs problèmes sur le terrain en les y associant[2] ». La meilleure illustration de ce discours est l'Instance de l'équité et la réconciliation (IER) créée en 2004 et présidée par feu Driss Benzekri, dont l'objectif était une réparation par le biais de la justice transitionnelle, qui a permis de restaurer la confiance et renforcer l'Etat de droit. Par ailleurs, la transition démocratique va se renforcer à travers plusieurs chantiers comme le Code de la famille et bien sûr l'avènement de la Constitution de 2011, qui est une Constitution avant-gardiste à tous les égards et de surcroît sur le plan les libertés et droits fondamentaux auxquels est consacré le Titre II qui va de l'article 19 à l'article 40, en sus de plusieurs articles et le préambule de la Constitution qui réaffirme l'attachement du Royaume aux droits de l'Homme tels qu'ils sont universellement reconnus, ainsi que sa volonté de continuer à œuvrer pour préserver la paix et la sécurité dans le monde. D'autre part, les chantiers économiques vont aller de pair avec cet élan démocratique, notamment les grands projets d'infrastructure, Tanger Med, les grands projets industriels intégrés à la chaine de valeurs mondiale, la réforme du service public, la réforme de la Justice, la création du fonds d'investissement Mohammed VI pour restructurer l'économie nationale... Qu'en est-il sur le plan international ? Sur le plan de la politique étrangère, le Maroc va opérer un tournant décisif. En effet, en marge de la construction démocratique, l'instauration d'un Etat de droit et une économie régionale émergente, le Royaume a commencé à graver le destin de sa politique extérieure en empruntant le chemin du leadership régional à travers le développement de ses capacités et ses forces sur le plan international, et ce à plusieurs niveaux, notamment économique, géopolitique et sécuritaire. Sur le plan économique, le Maroc a consolidé d'une part ses relations avec ses partenaires, en l'occurrence la France et l'Espagne tout en s'inscrivant dans une perspective d'ouverture pour de nouveaux partenaires. Les relations bilatérales entre le Maroc et la France, allié traditionnel, depuis l'accession au trône du Roi Mohammed VI en 1999 empruntent le chemin du changement dans la continuité, et se construisent sur le dogme de l'amitié portant la devise : Amitié- Confiance- Partenariat pour la prospérité de tous. La coopération entre les deux Etats s'est propulsé grâce à la dynamique créée par la Convention de partenariat pour la coopération culturelle et le développement de juillet 2003 et par le document cadre de Partenariat (DCP) de 2006-2010, qui a précisé les axes souverains de partenariat entre le Maroc et la France. La Convention de coopération de 2003 a mis en place un dispositif plus opérationnel autour d'un Conseil d'orientation et de pilotage du partenariat, de comités sectoriels thématiques, d'un forum de partenariat… A travers ces nouveaux outils, la coopération a emprunté la voie de la concrétisation d'une manière opérationnelle. Ils ont permis aussi l'émergence de projets pilotes. Cette convention a donné le ton à de nouveaux modes de coopération, tant dans le domaine de la société civile que dans celui de la coopération décentralisée.[3] Même si la France a confirmé son rang de premier partenaire économique et financier du Maroc, elle a perdu depuis 2012, le privilège de sa première place de fournisseur en faveur de sa voisine méditerranéenne, l'Espagne, qui devient par la suite le premier partenaire commercial du Maroc. Par ailleurs, l'évolution de la politique économique intérieure et extérieure du Maroc qui se décline par son ouverture sur de nouveaux partenaires économiques en dehors des deux (ex) puissances coloniales, à travers des accords de partenariat entrepris par le Maroc avec d'autres pays ou entités comme les Etats-Unis, la Turquie et l'Union Européenne. On note par ailleurs, l'ouverture du marché marocain pour d'autres puissances économiques comme la Chine qui occupe aujourd'hui la troisième place en tant que partenaire commercial du Maroc. La nouvelle politique économique du Maroc consiste aussi en la réorganisation de son économie sur de nouveaux axes, à travers la mise à niveau de sa législation pour instaurer un climat de confiance pour les opérateurs étrangers, l'institutionnalisation de nouvelles structures d'encadrement (centres d'investissement) pour encourager les investisseurs et la mise en place de projets de grande envergure et de grandes infrastructures à l'image du port Tanger-Med et de sa zone franche pour une meilleure attractivité aux investissements directs étrangers (IDE) qui jouent un rôle de levier très important pour le développement du pays aussi bien économique que politique. Le développement d'une industrie performante qui permet de répondre aux besoins locaux et diminuer le flux des importations, à titre d'exemple l'industrie pharmaceutique, illustre cet élan d'assurer une souveraineté économique également. La politique de drainage d'un plus grand nombre de touristes par la mise en place de structures d'hébergement très accueillantes, par l'abolition du monopole de la RAM et l'ouverture de son ciel pour les compagnies aériennes, sont une illustration de plus de cette ouverture du Royaume sur le monde. Par son opération de séduction envers les Marocains résidents à l'étranger de deuxième, troisième ou même de quatrième génération, par la mise en place de structures d'accueil et d'accompagnement depuis leurs pays hôtes, dans l'objectif de maintenir leurs liens avec la mère patrie et assurer un niveau de transfert des fonds très importants, sont également à mettre à l'actif de cette ambition marocaine. Pour le volet géostratégique, le Maroc, pays stable et séculaire, est devenu une plaque incontournable dans la lutte contre le terrorisme et la lutte contre le trafic de la drogue ainsi que dans lutte contre la migration illégale, apportant son assistance aussi bien aux puissances occidentales que ses pays africains frères. Justement, l'Afrique a occupé une place prépondérante dans les relations du Maroc avec l'étranger, sous l'impulsion royale du Roi Mohammed VI et une volonté animée par un partenariat sud-sud et win-win. Dans quelle mesure cette ambition s'est renforcée avec le retour du Maroc au sein de l'UA en janvier 2017 ? Sur le plan régional et continental, le Maroc a repris le flambeau de son leadership d'antan, surtout avec une diplomatie Sud-Sud avec les pays de l'Afrique Sub-saharienne renforcée, qui repose autant sur la coopération et les partenariats Win-Win que sur une diplomatie religieuse qui trouve son essence dans l'histoire millénaire du Royaume et ses relations ancrées depuis des siècles avec plusieurs Etats africains à travers l'expansion de l'Islam par des hommes pieux qui ont rang de saints tel que Sidi Ahmed Tijanni. Aujourd'hui, le Maroc, pourvoyeur d'un Islam tolérant a ouvert en 2015 sous l'impulsion du Roi, l'Institut Mohammed VI de la formation Imams, Mourchidines et Mourchidates. Cet institut qui accueille à la fois des jeunes du Maroc, de France et de plusieurs pays d'Afrique subsaharienne, remplit un enjeu diplomatique prépondérant pour le Maroc qui se place comme un rempart contre l'extrémisme et la violence aussi bien en Afrique qu'ailleurs. Toujours sur le plan géopolitique et stratégique africain, il faut rappeler que la longue absence du Maroc depuis 1984 de l'UA (Union Africaine), dont il a claqué la porte après l'admission inappropriée de la pseudo « république sahraouie » au sein de son ancêtre l'OUA (Organisation de l'Unité Africaine), a ouvert le bal aux séparatistes et à leurs suppôts pour alimenter une fausse propagande à l'encontre du Royaume. Seulement, ces manœuvres de mauvaise foi n'ont pu ni astreindre le Maroc de développer ses relations bilatérales avec les pays africains amis et autres, ni restreindre son activité diplomatique offensive depuis l'intronisation du Roi Mohammed VI pour acquérir et conquérir le cœur et le soutien d'une large majorité des Africains. En effet, la politique africaine conduite par le souverain consolide avec détermination la réussite de la coopération Sud-Sud pour aller de l'avant et bâtir une Afrique forte de ses enfants, de ses richesses matérielles et immatérielles, de sa jeunesse, de ses hommes et ses femmes afin d'emprunter le vaisseau de la croissance et siéger d'égal à égal avec les nations développées. Cette africanité est le maître mot de la politique étrangère marocaine. Cette diplomatie de rapprochement basée sur l'entente et la coopération ne pouvait qu'ouvrir la voie au retour victorieux du Maroc parmi sa famille qu'il n'a d'ailleurs jamais quittée au vu des relations séculaires, historiques et amicales qu'il entretient avec la majorité des pays africains. Le Retour Triomphal du Maroc en 2017 au sein de la famille africaine en dépit des manigances orchestrées par les ennemis de la cause nationale, n'était qu'un retour d'un seigneur à la maison dont il est l'un des fondateurs. Et ce grâce à la diplomatie menée par le Roi d'une main habile et confiante et qui n'accepte aucun compromis sur son intégrité territoriale. En effet, tous les plans ourdis par les voisins de l'Est et les séparatistes sortis de nulle part sont en train de tomber à l'eau et s'écrouler comme des châteaux de sable... D'ailleurs l'ouverture d'une vingtaine de consulats récemment par des pays frères dans nos provinces du Sud, est le témoignage inébranlable de la victoire sans appel du Maroc sur ses ennemis tapis dans l'ombre, et jaloux de sa marche certaine vers le progrès et le développement. Comment le pays maintient un équilibre dans ses relations avec de grandes puissances comme les USA, la Chine ou la Russie ? Le Maroc est une vieille nation et un vieux Etat qui a su s'acclimater aux enjeux diplomatiques et à la vie internationale depuis plusieurs siècles. Il est à rappeler que le Maroc dans la période pré coloniale et suite à la défaite de 1844 à la Bataille d'Isly contre la France lorsqu'il est parti assister son voisin de l'est colonisé par l'hexagone, le Royaume a recouru à la technique du balancier, à savoir la présence des relations diplomatiques et économiques avec toutes les puissances, même quand celles-ci sont en rivalité entre elles. Aujourd'hui, cet équilibre se réalise encore sur le terrain grâce à la diplomatie marocaine qui sait maintenir l'ensemble de ses relations bilatérales avec les puissances dans le respect et le traitement d'égal à égal que requiert le Maroc de ses différents partenaires. La reprise des relations entre le Maroc et Israël a fait couler beaucoup d'encre. Concrètement, qu'est-ce que cela implique pour le Maroc et sur sa position historique concernant la question palestinienne ? Le Royaume Chérifien sans l'ombre d'aucun doute maintient son soutien à la Palestine avec la solution réaliste de deux Etats Israël et Palestine, que les Palestiniens proclament et réclament depuis les accords de paix d'Oslo en 1993 et notamment le statut inébranlable d'Al Qods. Donc la reprise des contacts avec Israël, qui compte plus d'un million de citoyens originaires du Maroc, n'a aucune incidence sur la position historique du Maroc concernant la cause palestinienne. Et le communiqué royal est dans ce sens on ne peut plus clair. [1] Discours du Roi Mohammed VI – 30 juillet 2000 [2] Ibid [3] Rapport d'amitié Présenté à la suite de la mission effectuée au Maroc du 15 au 19 décembre 2008 par une délégation du GROUPE D'AMITIE FRANCE – MAROC