Après l'élection de Habib Malki au poste de président de la Chambre des représentants, ce lundi 16 janvier, à l'issue d'un vote sans suspense et sans autre candidat que lui, la situation devient plus opaque qu'elle ne l'a jamais été tout au long de ces trois derniers mois. Il existe plusieurs scénarios de sortie (ou d'approfondissement) de crise. Ce qui complique la situation, c'est le score d'élection de Malki. Les 198 députés qui ont voté pour lui constituent très exactement le seuil de la majorité absolue. Cela peut conduire tout autant à la poursuite des concertations pour la formation du gouvernement qu'à leur brutale interruption. En effet, l'article 88 de la constitution dispose que, après sa désignation par le chef de l'Etat, « le Gouvernement est investi après avoir obtenu la confiance de la Chambre des Représentants, exprimée par le vote de la majorité absolue des membres composant ladite Chambre, en faveur du programme du Gouvernement ». Or, cette majorité absolue est très précisément de 198 élus, autant qui ont élu Malki, avec le concours du PAM, parti banni et honni par le PJD… Que fera le chef du gouvernement, qui a d'ores et déjà accepté, du bout des lèvres mais accepté quand même, l'entrée de l'UC au gouvernement ? 1/ Benkirane poursuit ses tractations. C'est l'option envisagée, prévisible, et aussi encours, mais qui peut présenter plusieurs déclinaisons, sachant que dans tous les cas, l'Istiqlal a annoncé maintenir son soutien au gouvernement. Abdelilah Benkirane accepte l'USFP au gouvernement. Celui-ci serait alors formé du PJD (125 députés), du PPS (12), du RNI/UC (37+19), du MP (27) et de l'USFP (20), soit 240 députés. Mais si Aziz Akhannouch, président du RNI et chef du bloc d'opposition à Benkirane, insiste pour le parti de Driss Lachgar, il se heurte toujours au refus de Benkirane. Le PJD a accepté en creux l'élection de Malki au perchoir, en ne présentant aucun candidat et en votant blanc pour Malki, espérant ainsi modérer l'attachement d'Akhannouch à l'USFP. Mais il pourrait finalement céder et accueillir l'USFP dans son équipe exécutive. Abdelilah Benkirane n'accepte pas l'USFP au gouvernement. Soit c'est l'impasse, car le RNI d'Akhannouch et ses trois partis alliés (USFP, MP, UC) fermeront définitivement la porte aux négociations… soit ces quatre formations accepteraient alors l'idée d'une USFP dans la majorité parlementaire, et alors les choses entreront dans l'ordre. La majorité sera au gouvernement et à la tête de la première chambre, Benkirane aura eu gain de cause et Akhannouch aura sauvé l'USFP en lui permettant d'accéder au perchoir. Abdelilah Benkirane rompt toute discussion avec Akhannouch et forme un gouvernement de minorité. Ce sera alors la crise ouverte car la constitution ne permet pas de gouvernement minoritaire. Les élections seront donc à nos portes. 2/Abdelilah Benkirane reconnaît son échec et remet sa démission au chef de l'Etat. Trois scénarios sont alors envisageables. Le roi Mohammed VI nomme une autre personnalité du PJD. C'est constitutionnellement possible car on resterait alors dans l'esprit et la lettre de l'article 47. Là, les versions divergent : certains dirigeants du PJD affirment que le parti n'acceptera pas, selon le principe du « Benkirane ou rien » ; d'autres indiquent du bout des lèvres que ce serait effectivement la seule solution pour éviter que l'impasse se poursuive, Benkirane ayant dans ce cas fait la preuve de son incapacité à négocier et à convaincre ses inévitables partenaires. Le roi dissout le parlement. Le coût de cette éventualité serait par trop élevé. Sur le plan financier, une élection coûte environ 700 millions de DH (financement des partis, organisation matérielle du scrutin…). Sur le plan politique, cela aboutira à une carte politique biaisée ; le PJD raflerait alors la mise selon tous les observateurs, et il pourrait même atteindre à lui seul, ou à coup sûr avec le PPS et l'Istiqlal, la majorité absolue des 198 parlementaires. Mais il gagnera cela en se faisant passer pour la victime du « tahakkoum », de l'alliance de tout le monde contre lui alors même que c'est Benkirane qui, en voulant imposer ses vues avec une victoire non absolue, aura finalement peu convaincu. Le roi nomme un autre chef du gouvernement qui ne serait pas du PJD. C'est possible, selon plusieurs constitutionnalistes consultés par PanoraPost. En effet, l'article 47 ayant été activé dès le lendemain de l'annonce des résultats, le roi peut, face à l'impasse actuelle, passer directement à l'article 42, qui fait de lui le garant du bon fonctionnement des institutions et du choix démocratique. Or, les institutions ne fonctionnent pas et l'économie commence à s'en ressentir ; et le choix démocratique, arithmétique comme le voient les gens du PJD et leurs alliés, donne le fait que sur les 6,5 millions de personnes qui se sont déplacées aux urnes le 7 octobre, 1,6 ont voté pour le PJD et 4,9 ont voté contre ce parti. Un chef du gouvernement venu de ce bloc et qui pourrait constituer un gouvernement ne serait pas anticonstitutionnel. Mais si les élites et les universitaires comprendraient cela, les populations continueront de prêter l'oreille aux cris du PJD sur le hold-up électoral. Dans tous les cas examinés ci-dessus, nous assistons à une véritable régression démocratique. Benkirane n'aura pas su assumer sa responsabilité de parti vainqueur mais pas majoritaire. Akhannouch aura trop demandé et les autres chefs de partis sont atones et aphones, ternes et peu convaincants. Et quelle que soit l'issue de cette phase politique, elle aura montré la nécessité d'une révision constitutionnelle, principalement de l'article 47, ou le changement du mode électoral, pour passer du scrutin proportionnel à un tour à un scrutin de même nature, mais à deux tours. Le veut-on vraiment ?