Plus d'un mois après l'élection législative du 7 octobre, rien ne point encore à l'horizon. Aucune majorité absolue ne se profile, et donc pas de gouvernement. Benkirane a joué la carte de l'intransigeance, faisant donner sa troupe et ses médias. « Si je ne réussis pas à former de majorité, je remettrais les clés au roi, et je m'en irais chez moi ». C'est la ritournelle de ces deux dernières semaines. Le chef du gouvernement veut absolument « gouverner » avec l'Istiqlal, et n'apprécie pas qu'on essaie de l'en dissuader. Pourquoi ? La raison et l'explication sont simples : le chef du gouvernement souhaite avoir à ses côtés des partis affaiblis, qui le laisseront tout faire à sa guise. Une sorte de majorité absolue du PJD, mais qui ne dit pas son nom. Le chef de l'Istiqlal, Hamid Chabat, est affaibli et sait qu'il ne devra sa survie politique à la tête de son parti qu'au moyen d'une entrée au gouvernement pour calmer les ardeurs de pouvoir de ses cadres, compétents ou non, là n'est point le problème à ses yeux. Pour Nabil Benabdallah, c'est pire : il est banni par le palais (suite au communiqué de septembre sur son « irresponsabilité ») et il est de plus en plus honni au sein de sa formation, le PPS. Quant à Lachgar, seul Dieu sait ce qu'il pense, s'il pense… Le « deal » entre Benkirane, d'une part, Chabat et Benabdallah d'autre part, est simple. « Aidez-moi à former une majorité, je vous donne des strapontins au gouvernement, et vous me laissez faire ce que je veux », semble dire le chef du gouvernement désigné à ses commensaux, le PPS qui n'en peut mais, qui n'en peut plus même, et l'Istiqlal, qui ne voit d'autre existence que dans le gouvernement. Certes, mais cela ressemble fort au « partage du butin électoral » dont parlait le roi Mohammed VI dans son discours de Dakar. Et la meilleure preuve en a été donnée par cet affligeant spectacle d'unité unanime derrière Chabat, lors du Conseil national qui a affirmé son bruyant soutien à l'entrée au gouvernement. Aucune condition pour cela n'a été posée, aucun programme commun d'action avec le PJD n'a été soumis au vote des 900 participants au Conseil national, et on a assisté au retour des refuzniks après plusieurs années d'absence, attirés par le pouvoir et le strapontin. On ne dira pas leurs noms par charité et compassion, mais ils se reconnaîtront… Ce n'est pas avec des gens faibles et affaiblis qu'on forme un gouvernement fort et renforcé. Or, le Maroc, de par ses nombreux défis internes et externes, a besoin d'un exécutif fort qui soutienne l'activité débordante du roi à l'international. Mais Benkirane ne veut pas gens forts dans son gouvernement. Il veut avoir la main sur des alliés dociles et soumis, pour gouverner à sa guise, dans une posture qui évoque assez fidèlement son concept de « houkm », voire de « tahakkoum ». Si le cabinet Benkirane I était balbutiant par inexpérience, le Benkirane II a travaillé et réalisé de bonnes performances économiques, entre autres grâce au RNI de Mezouar. Et c'est pour cela que Benkirane craint un RNI d'Akhannouch, qui pourrait lui imprimer une vitesse et une orientation qu'il ne souhaite pas acquérir, pour des raisons qu'il est seul à connaître, mais dont on pourrait avoir une idée. Le chef du gouvernement attend donc avec impatience la décision de la commission administrative de l'USFP, pour compléter sa majorité avec les partis de la moribonde Koutla. S'il remporte son soutien, et qu'il s'adjoigne les « socialistes » de Lachgar, il passera à la seconde étape qui serait d'agir pour pousser vers la sortie une Driss Lachgar, trop proche d'Ilyas el Omari à ses yeux et constituant le risque de faire de l'USFP une 5ème colonne au sein du gouvernement. Mais il peut se rassurer sur l'inconditionnel soutien que lui apporteraient les gens de l'USFP, une fois assis en conseil de gouvernement. Se taire en échange de siéger… Là aussi, nous sommes dans la posture du paartage du butin électoral, bien que l'élection n'ait attribué aucune force à l'USFP… Malgré tout cela, Abdelilah Benkirane préfère la logique d'un gouvernement PJD/Koutla à celle de la reconduction d'une majorité sortante qui lui a permis de faire sa campagne électorale en déroulant les bénéfices de son action économique.