Alors qu'Abdelilah Benkirane traçait tranquillement son chemin vers la formation d'une majorité parlementaire confortable, qui devait déboucher sur un nouveau gouvernement fort et plus ou moins homogène, la scène politique a été secouée par divers événements qui ont marqué un net ralentissement dans les tractations. Auréolé de sa large victoire, le chef du gouvernement commence à ressentir les difficultés nées des tractations et concertations secrètes entre acteurs et opérateurs politiques… Les débuts se sont bien passés et tout le monde s'est pris à considérer que la formation du prochain gouvernement ne serait qu'une affaire de jours, de quelques semaines tout au plus. Or cela fait aujourd'hui près d'un mois que le scrutin s'est tenu, et on ne voit rien venir à l'horizon. Retour sur ces dernières semaines… 1/ Le 11 octobre, « sans concertation ni accord avec le PJD », rapporte Akhbar Alyoum, Hamid Chabat déclare son adhésion à la future majorité de Benkirane et affirme que l'ossature du nouveau gouvernement sera composée du PJD, du PPS et de l'Istiqlal, « et que ceux qui veulent venir sachent que c'est avec nos trois partis qu'ils devront composer ». La décision de Chabat est puissamment confirmée par le Conseil national, réuni le 22 octobre, qui a voté à l'unanimité la rentrée au gouvernement. Le secrétaire général de l'Istiqlal entendait ainsi barrer la route à toute manœuvre venue du PAM et, dans la foulée, il tente une opération pour s'allier l'USFP. Lachgar, chef de l'USFP, dit oui… Mais c'est mal le connaître que de le croire. 2/ Du 17 au 22 octobre, le chef du gouvernement désigné a reçu tour à tour les patrons du PPS, de l'Istiqlal, de l'USFP, du MP, du MDS et de l'UC… A l'exception de Mohammed Sajid, patron de cette dernière formation, et dans une moindre mesure du MP et du MDS, les autres formations ont assez nettement manifesté leur souhait de rejoindre la future majorité. On parlait alors abondamment de la résurrection de la Koutla, avec le PJD en plus, et la majorité pressentie est alors de 203 députés, 5 de plus qu'il n'en faut pour former une majorité et un gouvernement. 3/ Le 18 octobre, le secrétaire général du PAM, à la tête de son bataillon de 102 députés, rédige une lettre appelant à la réconciliation entre les partis, lisez entre le PAM et le PJD. Le lendemain, il appuie sa tribune par une autre, où il apporte d'autres arguments pour cette « réconciliation ». Refus du PJD, mais par la voix du porte-flingue officiel Mohamed Yatim ; le PAM risque donc l'isolement face à un Benkirane triomphant et hégémonique qui prend le risque d'un gouvernement pléthorique, où il réunirait tout le monde, laissant le PAM seul dans l'opposition. 4/ Le 29 octobre, comme prévu, le RNI a tenu son congrès extraordinaire, et plébiscité Aziz Akhannouch, ministre sortant de l'Agriculture, en remplacement de Salaheddine Mezouar, aussi usé que désabusé par les résultats du scrutin. L'homme est fort, puissant, bénéficiant d'une assez sérieuse popularité au sein du monde rural (il est le M. Plan Vert), s'honorant de l'amitié du roi Mohammed VI (qu'il a reçu par deux fois, chez lui, durant le ramadan de ces dernières années) et désormais à la tête d'un parti qui monte, monte (tout en glissant parfois vers le bas)… 5/ Le 29 octobre toujours, le MP réunit son conseil national, et Mohand Laenser fait une sortie remarquée, où il appelle le PJD à « payer le prix de la loyauté », où il exige une représentation au gouvernement « digne » de son parti et où il évoque une difficile résurrection du défunt Wifaq (alliance RNI, UC et MP pour contrer la Koutla sous Hassan II). Les enchères montent, malgré un accord tacite passé entre Laenser et Benkirane suite à la faveur faite par le second au premier pour lui permettre, en septembre 2015, de conquérir la présidence de la Région Fès-Meknès et de barrer la route à Chabat, maire déchu de Fès. Mais Laenser a ses intérêts et il ne les perd pas de vue. Jamais. 6/ Le 30 octobre, Aziz Akhannouch se rend chez Abdelilah Benkirane, fort de son groupe conjoint avec l'UC (soit 56 députés). Il est seul, ne s'étant fait accompagner par aucun dirigeant de « son » parti, dont il venait de prendre la tête, moins de 24 heures avant. On sent nettement moins d'amitié avec Benkirane, en comparaison avec les autres chefs de partis déjà venus chez le PJD. 7/ Le 31 octobre, « réunion de crise » entre Abdelilah Benkirane, Hamid Chabat et Nabil Benabdallah. Driss Lachgar n'est pas avec eux, officiellement pour « raisons de santé », mais on connaît les liens proches qui unissent le Premier secrétaire de l'USFP et Ilyas el Omari, patron du PAM. Celui-ci manœuvre et œuvre à tout torpiller… Il envisage d'adresser très prochainement un mémorandum au roi pour lui demander de faire réviser l'article 47 de la constitution qui l'oblige à choisir le chef du gouvernement au sein du parti arrivé premier. La manœuvre d'el Omari consiste à conduire à un changement ouvrant la voie à un autre choix, celui du second parti par exemple, si le premier ne parvient pas à constituer une majorité. Ce qu'el Omari travaille à faire… Ainsi, et dans l'état actuel des choses, si le RNI/UC refuse de se joindre à la majorité de Benkirane, pour une quelconque raison, et si Lachgar place son destin entre les mains d'el Omari, nous allons droit à une crise politique où le chef du gouvernement ne réussit pas à former sa majorité. La FGD a dit non à Benkirane et on voit mal le MDS d'Archane avec les partis de la Koutla et le PJD… Dans ce cas, soit Abdelilah Benkirane consent à diriger gouvernement minoritaire, ce qui le placerait sous la coupe de son opposition (comme le vit aujourd'hui l'Espagnol Mariano Rajoy), soit le roi Mohammed VI désigne un autre chef du gouvernement au sein du PJD, qui soit plus consensuel et moins rugueux… soit c'est la convocation de nouvelles élections législatives avec tous les désagréments que cela causera au pays, en termes d'instabilité politique et d'image renvoyée à l'extérieur. On sent déjà un début d'énervement monter au sein du PJD, dont la presse amie évoque des instructions, des directives, une entente (peu) cordiale entre plusieurs partis pour saper cette majorité en formation. C'est le titre d'un article d'Akhbar Alyoum dans son édition d'aujourd'hui 2 novembre : « Comment Chabat a fait échouer une tentative de putsch contre les résultats du 7 octobre ». Ambiance…