Nous avons, au Maroc, un chef du gouvernement qui ne laisse rien passer, qui réagit sur tout et commente le reste, comme s'il avait renoncé à toutes les grandes questions et encore plus grandes problématiques du pays pour répondre à telle observation ou riposter à telle saillie de telle ou telle personne, venant d'ici et de là... Il ne se passe pas un quart d'heure sans que nous n'apprenions que M. Benkirane a fortement réagi à tel article de presse qu'il considère ne pas servir ses agendas gouvernementaux ou à telle prise de position de ceux qu'il qualifie de démons et de crocodiles ou, enfin, à une manœuvre de ceux qu'il pense tirer les ficelles derrière le rideau. En dehors de cela, de ces polémiques et de ces « grands débats » dans lesquels nous a plongés notre chef du gouvernement, pas un mot sur les réformes, pas une phrase sur la lutte contre la corruption, des choses pour lesquelles nous avions cru que le gouvernement était venu, juste après le printemps arabe, pour y apporter des remèdes. Aujourd'hui que nous considérons les grands problèmes qui préoccupent les Marocains, alors que nous avons entamé la dernière ligne droite, nous constatons que le gouvernement reste incapable de dénouer bien des nœuds. La pauvreté est riche de ses effectifs, et les chiffres fournis par le Haut-commissariat au Plan sur ce fléau sont particulièrement effrayants. L'endettement atteint des sommets rarement inégalés et nous en sommes presque revenus aux années noires de « l'ajustement structurel » du début des années 80 du siècle dernier, qui avait failli nous causer cette « crise cardiaque » dont avait parlé le défunt roi Hassan II. La santé est malade et le chômage fait des ravages dans les rangs des jeunes et des moins jeunes. Quant à l'éducation nationale, il s'agit d'un secteur qui prête désormais à l'ennui, au mieux, avec un ministère éponyme encore et toujours incapable de mettre en œuvre les programmes de réforme sur lesquels il s'était pourtant engagé. Il reste l'histoire de la Caisse de compensation qui n'augure de rien de bon pour l'avenir à venir. Seules les femmes du gouvernement créent l'événement ces temps-ci, entre la formule de « deux balles » (« jouj frank ») pour désigner une retraite de 4.000 DH quand même !!, et cette autre ministre qui affirme travailler 22 heures par jour ( !). Nous avons pu suivre ces sorties gouvernementales, au féminin, et les commentaires, pour la plupart sarcastiques, qui les ont accompagnés. Mais le dossier des retraites, que Benkirane a choisi pour achever 2015, et aussi son mandat, pourra à lui seul tout faire sauter. Il n'est pas exclu que les retraites mettent une fin brutale à la paix sociale qui est pourtant la grande source de fierté de Benkirane. Le chef du gouvernement va en effet se répandre ici, là, partout et ailleurs, pérorant sur le fait que lui et son équipe ont réussi à mettre un terme aux mouvements sociaux et aux manifestations, tantôt en privilégiant le bâton à la carotte, en s'engageant dans la bastonnade au lieu d'engager le dialogue, que cela fut avec les chômeurs ou soit avec les enseignants stagiaires, procédant à des retenues massives sur salaires sans même avoir pensé, un jour, sur les 4 années passées, à promulguer la loi organique sur la grève. Le plus étonnant dans cette question de retraites et des caisses de retraites qui menacent ruine, est cette étude, découverte, déterrée et brandie par la CDT, qui affirme que ces mêmes caisses se portent on ne peut mieux. Ainsi, à en croire cette étude, la caisse de retraite a enregistré l'année passée un excédent de 3,8 milliards de DH, avec des réserves de 2,2 milliards de DH, soit un total positif et riant de 6 milliards de DH !! Qui croire donc, Benkirane ou ce syndicat ? Mais au-delà de ce flou et de l'image opaque d'un chef du gouvernement ayant oublié moult de ses promesses, les Marocains devraient se réjouir de cette grande vérité à nous assénée par ledit chef. Qu'on en juge ! Abdelilah Benkirane a en effet admis la relation très étroite entre le PJD et son syndicat l'UNTM, une relation amicale et plus même, quasi intime. Et, ce faisant, l'homme a eu la grande honnêteté de clarifier une fois pour toutes la question des relations incestueuses entre le politique et le syndical. Ce grand geste, cet immense aveu, cette extraordinaire conquête offerte par le chef du gouvernement aux membres de son parti, aux syndicalistes du syndicat concerné et, au-delà, à tous les Marocains, ne méritent-ils pas d'être salués et même ovationnés ? Cela nous reposera au moins des interprétations ayant toujours accompagné ses histoires sur les démons et les crocodiles. En nous apprenant ce qu'il nous a appris, M. Benkirane, nous pourrons désormais aller l'âme en paix et l'esprit rasséréné vers l'avenir, avec cette nouvelle vision qui laisse penser que nous traiterons désormais d'une façon inédite les grandes angoisses des Marocains quant aux diverses, successives et répétitives augmentations de prix. Il ne nous reste donc plus qu'à prier le chef du gouvernement de placer haut, très haut, les grandes problématiques qui agitent ce pays, bien plus haut que les grandes manœuvres et les petits règlements de comptes qui emplissent les journaux et les sites d'informations, quand ce n'est pas devant un micro. Le chef du gouvernement, le chef de n'importe quoi n'importe où, sont bien au-dessus de cela... A moins que M. Benkirane n'en soit encore et toujours dans ses divagations mentales, entre l'éveil et le sommeil, vêtu d'un costume que nous refusons de penser qu'il ne soit trop grand pour lui.