La démocratie, la religion des temps modernes, a-t-elle montré ses limites ? Les professionnels de la chose politique ont maîtrisé ses composantes, en maîtrisant l'arithmétique électorale. En obtenant une majorité, ils transforment la démocratie en dictature de la majorité; en ratant la majorité, par le jeu des alliances, ils la transforment en dictature des minorités. Est-elle un projet utopique, aux réalités incomplètes et multiformes ? Faut-il rejoindre tous ceux qui considèrent que ni l'absolutisme, tel qu'on le conçoit, ni la démocratie en tant que souveraineté du peuple, n'existent dans la réalité ? Le refus du sacré et l'évolution de la société ont fait que les régimes dits démocratiques ne sont plus adaptés aux réalités du moment. Les écarts sont évidents entre les trois principes de la démocratie à savoir souveraineté du peuple, égalité et liberté. À Athènes, l'exercice de la démocratie était réservé à une élite. À l'opposé, la révolution française a semé l'idée de « l'intérêt général », le particulier s'effaçant devant celui de la Nation. Donner la parole au peuple, les expériences référendaires de l'histoire ont montré le caractère illusoire de la démarche, qui se transforme, dans la plupart des cas, en plébiscite. L'historien roumain francophone, Lucien Boïa, dans son analyse critique de la démocratie, après avoir noté les effets de la Révolution française en la matière, définit le régime anglais actuel ainsi : « Les Anglais ont inventé deux grands principes modernes : le régime parlementaire et le libéralisme, mais en aucun cas la démocratie ! La classe dominante britannique n'a renoncé que petit à petit à ses privilèges politiques ; d'une certaine manière, le parlementarisme et le libéralisme ont agi comme des soupapes, permettant de mieux tenir sous contrôle la pression démocratique ». Exit donc le modèle anglo-saxon. Si le vote universel s'est finalement imposé partout dans le monde, le pouvoir est, incontestablement, resté aux élites, soulignant le caractère utopique de la représentation du peuple. Si la souveraineté du peuple relève de l'utopie, qu'en est-il des deux autres piliers de la construction démocratique, l'égalité et la liberté ? Les événements dramatiques qui se succèdent un peu partout dans le monde, illustrent l'inanité de l'exercice des libertés. Quant à l'égalité qui frise dans certains cas l'égalitarisme, le caractère fondamental de l'Humain taille en pièces cette recherche qu'il considère contre nature. L'ambition de tout être humain est de s'élever et de se distinguer des autres. L'égalité des chances est aussi utopique que le reste, le lieu et le milieu de naissance sont les vrais juges des chances de chacun. Alexis de Tocqueville, dans son œuvre magistrale « De la démocratie en Amérique » a identifié le dilemme fondamental de la démocratie, le difficile dosage de ses deux principes essentiels que sont la liberté et l'égalité, et même, au-delà d'un certain seuil, leur relation conflictuelle. Il attire l'attention d'une dérive possible de la démocratie vers une sorte de tyrannie « douce ». La société n'est plus monolithique depuis longtemps, elle est devenue une véritable mosaïque de minorités. Chacun a ses croyances, ses us et coutumes, son style de vie, un ensemble de faits appelé « racines ». L'objectif de la démocratie était d'unifier ces valeurs et comportements. Force est de constater que c'est une culture des différences qui s'est imposée. On assiste partout dans le monde développé, à un rejet des élites et des professionnels de la chose politique. Avec la montée de l'individualisme, les citoyens veulent exercer directement le pouvoir. Allons-nous vers ce que l'on appelle la démocratie directe ? L'homme politique ne pourra plus être qu'éphémère et secondaire, dans un système articulé autour de la démocratie directe. Un seul mandat non renouvelable, c'est le retour à la noblesse de la charge publique. En définitif, la démocratie, chargée d'imaginaire, est confrontée à des forces adverses qui se sont adaptées au discours démocratique.