A quelques jours de l'arrêt qui sera rendu par la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) sur l'accord de pêche entre le Maroc et l'UE, experts, juristes, eurodéputés et prescripteurs d'opinion multiplient les analyses, commentaires, voire les mises en garde contre une éventuelle dérive de la Cour luxembourgeoise si elle venait à cautionner les conclusions rendues le 10 janvier dernier par son avocat général. Dans ses conclusions, rappelle-t-on, l'avocat général a choisi par la voie de raccourcis plutôt d'ordre politique d'en déduire que cet accord « n'est pas valide ». Pour le bâtonnier Pierre Legros, ces conclusions révèlent «une profonde ignorance du droit international et de la position de l'UE sur ses relations avec le Maroc». Il s'agit d'une «opinion entièrement motivée par des considérations politiques et qui constitue une tentative de politisation du processus judiciaire», a-t-il tranché. Dans une déclaration au site «europorter.co», cet éminent juriste a souligné que la Cour devra «se limiter à sa compétence purement juridique. Elle n'est pas là pour régler des problèmes politiques mais pour veiller à l'application des normes du droit européen». Une autre analyse bien pertinente est celle du professeur de droit à l'université Panthéon-Assas Paris-II, Emmanuel Tawil qui affirme d'emblée que la Cour n'a pas à «s'immiscer dans les relations extérieures de l'Union européenne». Dans une chronique publiée au «Journal spécial des sociétés» dans sa dernière livraison, le professeur Tawil conteste la compétence même de la Cour de justice de l'UE à statuer dans des affaires concernant les traités internationaux. Décortiquant, preuves solides à l'appui, l'argumentaire mis en avant par l'avocat général dans ses conclusions, Emmanuel Tawil souligne que ce dernier a utilisé des extrapolations et des interprétations «qui mènent à l'aporie». En considérant que l'accord de pêche est « invalide », l'avocat général fait abstraction des principes des Nations unies relatifs notamment à l'exploitation des ressources naturelles au Sahara, a expliqué le professeur Tawil, étayant ses propos par l'avis juridique émis en 2002 par Hans Corell qui a conclu à la légalité, au regard du droit international, des activités d'exploitation des ressources naturelles au Sahara faites dans l'intérêt des populations locales. Le même constat a d'ailleurs été fait par un rapport d'évaluation indépendant de l'accord de pêche, commandé par la Commission européenne en septembre dernier, avant d'entamer de nouvelles négociations pour son renouvellement. Dans ce rapport, il est expressément établi que les populations des provinces du sud sont les principaux bénéficiaires des retombées de cet accord. Selon ce document, qui recommande vivement à la Commission européenne de renouveler l'accord de pêche avec le Maroc qui arrivera à expiration le 14 juillet prochain, les régions de Dakhla-Oued Eddahab et Laayoune-Boujour-Sakia El Hamra concentrent 66% de l'enveloppe totale de l'appui sectoriel, soit environ 37 millions d'euros. Les premières estimations, publiées par le rapport, font déjà apparaître que 75% des impacts socio-économiques sont au bénéfice des régions de Dakhla-Oued Eddahab et de Laâyoune-Boujdour-Sakia El Hamra. Les données de cette étude n'ont à aucun moment été prises en considération dans les conclusions de l'avocat général, qui, aux yeux du professeur Tawil, a commis une grave erreur en qualifiant le Maroc de «puissance occupante» du Sahara, en contradiction flagrante du droit international et des résolutions de l'ONU. Lire aussi : Celeste, César et Jonathan: des récits de Vénézuéliens ayant fui l'enfer Et de s'interroger «s'il est vraiment opportun que la Cour de justice de l'UE s'engage dans une démarche qui la conduirait à exercer de facto un rôle politique dans les relations extérieures de l'Union européenne ? » L'observatoire d'études géopolitiques (OEG) abonde dans le même sens. Il estime, dans une analyse publiée récemment, que «par ses conclusions, l'avocat général fait prévaloir les traités de l'UE et les principes constitutionnels qui en découlent sur le traité international qui, pour l'autre partie, le Maroc, avait été régulièrement conclu», précisant qu'il «remet également en cause les conditions mêmes de la stabilité des relations internationales : désormais l'existence de tout traité conclu avec l'Union est susceptible d'être remise en cause». Pour l'OEG, cautionner les conclusions de l'avocat général serait pour la Cour un précédent qui ouvre la voie à «toutes les manœuvres politiques, spontanées ou manipulées, en offrant à toute organisation politique, le droit de contester la validité d'un accord international ». Partageant le même avis, Jean-Claude Martinez, juriste français et professeur émérite à l'université Paris-II, souligne dans un article publié au magazine français «Valeurs actuelles» que l'avocat général «demande à la Cour de s'octroyer l'invraisemblable compétence de contrôler les accords internationaux conclus par l'exécutif européen, pour annuler ainsi aujourd'hui l'accord de pêche Maroc-UE et demain d'autres accords de l'Union avec d'autres pays». Pour cet expert en droit international, ce «harcèlement juridique » ne peut conduire qu'à une « spirale infernale qui n'aura plus de fin », mettant ainsi en péril la sécurité juridique des accords internationaux de l'Union européenne. A ces avis juridiques fortement argumentés s'ajoutent d'autres analyses d'acteurs politiques qui craignent pour l'avenir des relations de l'UE avec ses partenaires. Pour le député européen Gilles Pargneaux, « la volonté du Maroc de développer le Sahara au bénéfice de sa population locale ne fait aucun doute et l'engagement des autorités marocaines d'améliorer le quotidien des habitants est indéniable». Dans sa réaction aux conclusions de l'avocat général de la CJUE, le président du groupe d'amitié UE-Maroc a souligné que l'UE est consciente des efforts de développement « sans précédents» déployés par les autorités marocaines au Sahara, tout autant que de l'importance stratégique de son partenariat multiforme avec le Royaume. Dans une tribune publiée, mercredi, sur le site de la revue «The Parliament Magazine », l'eurodéputé Ilhan Kyuchyuk a affirmé, pour sa part, que «le partenariat stratégique entre l'UE et le Maroc ne devrait pas être compromis par certains groupes de pression, qui s'accrochent à des arguties juridiques pour agir contre les intérêts de l'Union européenne ». Le député, membre de la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen, s'est dit «convaincu que la Cour de Justice de l'UE rendra un arrêt qui ne compliquera pas la négociation de futurs accords de coopération de l'UE avec ses partenaires». Et de conclure que «nous, les politiciens, avons un rôle à jouer pour assurer la continuité de nos bonnes relations avec notre voisin du sud, notre allié fort, au lieu de le pousser à nouer d'autres alliances en Asie, au Moyen orient et en Afrique».