Alors que la nouvelle salve de droits de douane décidée par Donald Trump bouleverse l'ordre commercial mondial, le Maroc, lui, entrevoit une brèche stratégique. Epargné par les lourdes taxes infligées à nombre de pays, le Royaume pourrait se retrouver dans une position avantageuse, entre tremplin pour l'industrie américaine et destination privilégiée pour une Europe pénalisée. À l'issue du conseil de gouvernement hebdomadaire, l'annonce du porte-parole Mustapha Baitas a résonné avec un calme confiant : « Le Maroc entretient un partenariat stratégique et économique avec les Etats-Unis, ce qui explique notre position relativement préservée face aux nouvelles mesures tarifaires ». Une déclaration lourde de sens dans un contexte de tempête commerciale, où Washington a décidé de frapper une large partie de ses partenaires économiques de taxes allant jusqu'à 49 %. En effet, le président américain Donald Trump, fidèle à sa ligne protectionniste, a proclamé mercredi soir une nouvelle série de droits de douane massifs sur les importations, affirmant vouloir « reconquérir la souveraineté économique de l'Amérique » et restaurer la compétitivité industrielle nationale. Si les mesures visent des pays du monde entier — la Chine (34 %), l'Union européenne (20 %), le Japon (24 %) ou encore la Colombie (49 %) — le Maroc, lui, s'en tire avec un taux symbolique de 10 %, le minimum prévu dans ce plan drastique. Ce traitement préférentiel n'est pas anodin. Il découle d'un lien solide noué depuis deux décennies entre Rabat et Washington. En 2004, le Maroc devenait le premier — et demeure encore aujourd'hui le seul — pays africain à conclure un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Cet accord, qui couvre les biens, les services, la propriété intellectuelle et les investissements, a permis de renforcer les échanges bilatéraux tout en attirant des entreprises américaines dans le Royaume. Selon Mustapha Baitas, cet accord constitue aujourd'hui un rempart contre les mesures protectionnistes américaines, et le gouvernement serait disposé à le renforcer davantage. « Le Maroc se positionne comme une passerelle vers l'Afrique, le monde arabe et l'Europe. C'est une opportunité pour les entreprises étrangères de contourner les barrières douanières tout en profitant d'un écosystème stable et compétitif », a-t-il affirmé. Lire aussi : Tarif douanier de Trump : une opportunité pour le Brésil ? La délocalisation européenne : une carte à jouer Si la tempête commerciale inquiète la plupart des grandes puissances, elle pourrait cependant provoquer un déplacement stratégique des chaînes de valeur mondiales. Les entreprises européennes, désormais soumises à une taxe de 20 % sur leurs exportations vers les Etats-Unis, se retrouvent à un tournant : maintenir leur production sur le continent et subir de lourdes pertes, ou trouver des alternatives viables hors de l'Union. C'est ici que le Maroc entre en scène. Avec sa proximité géographique, ses accords de libre-échange multilatéraux, une main-d'œuvre qualifiée, des infrastructures de qualité et une stabilité politique enviée dans la région, le Royaume se positionne comme une alternative naturelle pour les industriels européens cherchant à maintenir leur accès au marché américain. Déjà, plusieurs multinationales opérant dans les secteurs de l'automobile, de l'aéronautique, du textile ou de l'agroalimentaire ont fait du Maroc leur base de production pour l'export. Tanger Med, Casablanca Finance City, les zones industrielles de Kénitra ou de Fès offrent un environnement favorable à une relocalisation partielle ou totale de l'activité européenne vers le sud de la Méditerranée. Une diplomatie économique en alerte Conscients des enjeux, les responsables marocains devraient s'activer pour capitaliser sur cette conjoncture inédite. Le ministère de l'Industrie et du Commerce, en coordination avec les missions diplomatiques à l'étranger, devra sans doute travailler à identifier les secteurs les plus susceptibles d'être relocalisés et à promouvoir le « Made in Morocco » comme un label de qualité, de flexibilité et de compétitivité. Le Maroc pourrait également proposer de nouvelles incitations fiscales ou foncières pour attirer les investisseurs européens frappés par les mesures américaines. « Il ne s'agit pas simplement d'être une zone de production. Le Maroc peut devenir une plateforme intégrée d'innovation, de transformation et d'exportation, capable d'absorber des segments entiers de chaînes de valeur européennes menacées », souligne un haut fonctionnaire du ministère de l'Economie et des Finances. Dans cette recomposition des flux commerciaux, la position marocaine contraste fortement avec celle de ses voisins. L'Algérie (30 %), la Tunisie (28 %), la Libye (31 %) et l'Egypte (10 %) se voient imposer des droits dissuasifs, affaiblissant leur attractivité et exacerbant les défis économiques locaux. La Syrie et l'Irak, en crise profonde, sont frappés par des taxes encore plus sévères (41 % et 39 % respectivement). Une telle disparité ouvre au Maroc un espace inédit pour renforcer son leadership régional. Alors que ses concurrents directs s'enlisent dans des difficultés géopolitiques ou économiques, le Royaume a l'occasion d'élargir sa zone d'influence en se positionnant comme un hub incontournable pour les flux commerciaux triangulaires entre l'Europe, l'Amérique et l'Afrique. Un levier pour les secteurs exportateurs Les secteurs marocains tournés vers l'exportation pourraient bénéficier d'un afflux de commandes, en particulier dans les filières où la chaîne logistique est sensible aux coûts douaniers. L'automobile, l'électronique, le textile, l'agriculture transformée ou encore la chimie fine figurent parmi les domaines susceptibles de connaître une croissance accélérée. Le textile, déjà en pleine relance post-Covid, pourrait notamment tirer profit du repositionnement des marques européennes cherchant à réduire leurs coûts d'accès au marché américain. Le secteur automobile, quant à lui, fort de la présence de constructeurs comme Renault et Stellantis, pourrait voir s'ouvrir de nouveaux débouchés. Face à cette offensive tarifaire, l'Union européenne a qualifié les mesures américaines de « disproportionnées » et se réserve le droit d'y répondre de manière graduée. Toutefois, cette posture défensive pourrait ne pas suffire à enrayer l'érosion de la compétitivité européenne, surtout si les entreprises décident de se tourner massivement vers des pays tiers comme le Maroc.