Face à la gravité de la sécheresse qui sévit en Tunisie, la plus sévère depuis plus de 50 ans, les pouvoirs publics ont fini par se plier à l'évidence et annoncer le 29 mars 2023 des mesures de rationnement de l'eau qui vont se poursuivre jusqu'à fin septembre prochain. Prenant même tardivement acte de l'appel des experts qui, depuis février dernier, n'ont pas cessé de rappeler l'urgence de décréter l'état de sécheresse, les autorités tunisiennes ont pris ces mesures à cause notamment de l'assèchement de la plupart des barrages. Au fait également de l'épuisement des ressources en eau suite à l'absence depuis le début de l'année de précipitations, l'on s'est rendu compte de l'ampleur du problème qui risque de plonger le pays dans la soif et de provoquer des effets catastrophiques sur un secteur agricole en pleine crise. A moins d'un miracle, les Tunisiens risquent d'avoir soif cet été et de nombreux secteurs risquent de souffrir le martyr par le manque d'eau. Après un long silence, le ministère tunisien de l'Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche a reconnu fin mars la gravité de la situation et annoncé une batterie de décisions et mesures relatives à la mise en place d'un système de roulement conjoncturel et une interdiction temporaire de certains usages de l'eau, qui se poursuivront jusqu'à fin septembre 2023. Concrètement, on a interdit l'utilisation de l'eau potable, distribuée par la la société nationale de distribution de l'eau (Sonede), pour l'agriculture, l'irrigation de zones vertes, pour le nettoyage des rues et des endroits publics et pour le lavage des véhicules. Ces interdictions ont été doublées d'un avertissement aux contrevenants. Ainsi, pour un gaspillage de l'eau, la Sonede peut procéder d'office et sans préavis à la suspension de l'abonnement et l'arrêt de l'alimentation, sans préjudice des poursuites judiciaires qu'elle pourra engager à l'encontre des contrevenants. Ces contrevenants risquent aussi une amende de 60 dinars à 1.000 dinars (1 euro = 3,3 dt) et un emprisonnement de six jours à neuf mois ou de l'une des deux peines seulement. Le ministère a justifié ces décisions par la succession des années de sécheresse et la baisse des apports en eau dans les barrages, ce qui a impacté les réserves en eaux qui ont enregistré un niveau jamais atteint et se répercute négativement sur la nappe d'eau profonde. M. Mosbah Helali, PDG de la SONEDE a évoqué les conséquences du manque de précipitations pluviales et de la hausse des températures en Tunisie indiquant que la Sonede adoptera le système des quotas. Pour lui, cette mesure est incontournable dans la mesure où la Tunisie traverse quatre années consécutives de sécheresse. Conséquence directe : le taux de remplissage des barrages est passé de 80% à la date du 31 mars 2019 à 31% le 31 mars 2023. En effet, le barrage de Sidi Salem (nord-ouest), plus grand barrage de Tunisie, enregistre son taux de remplissage le plus bas depuis 1982, date du début de son exploitation, précise le sous-directeur général des barrages et des grands travaux hydrauliques, au ministère tunisien de l'Agriculture, Fayçal Khémiri. Le manque est évalué à 483 millions de mètres cubes sur une capacité d'accueil qui s'élève à 580 millions de mètres cubes, ce qui équivaut à 83%. Le taux de remplissage s'élève, ainsi, à tout juste 17% avec seulement 97 millions de mètres cubes. Sur les autres barrages disséminés dans les autres régions, la situation n'est pas meilleure non plus. Les mesures prises ont été attendues et certains experts dans le domaine de l'hydraulique ont multiplié les appels depuis février dernier pour que les pouvoirs publics décrètent l'état de sécheresse. M Abdallah Rabhi, consultant expert en ressources en eau et ancien secrétaire d'Etat chargé des Ressources hydrauliques et de la Pêche, a jugé que la situation hydrique est très difficile et la rationalisation de l'usage de l'eau est devenue un impératif. Cela est d'autant plus vrai qu'il n'y a eu que 51% de précipitation au nord-ouest, qui représente le réservoir d'eau pour toute la Tunisie, et 22% de précipitations au sud-ouest. Tout en plaidant qu' »il est impératif de décréter officiellement l'état de sécheresse en Tunisie », il soutient qu'il n'est plus permis de poursuivre le gaspillage de cette ressource, jugeant impératif le passage à un nouveau modèle de gouvernance qui rompe définitivement avec l'ancien, lequel a atteint ses limites. Il va sans dire, que la première conséquence du stress hydrique que connaît la Tunisie va se traduire par une réduction drastique de la production céréalière et le recours massif à des importations qui pourraient aggraver davantage la situation budgétaire précaire du pays. D'ailleurs, le vice-président du syndicat national des agriculteurs, Mohamed Taher Nabi, a reconnu qu'il y aura une baisse considérable de la production céréalière due essentiellement au stress hydrique et aux changements climatiques. En effet, la majorité des zones céréalières dont Béja, Zaghouan, Siliana et le Kef sont sinistrées et le taux de germination des céréales n'a pas dépassé les 20%. Selon une étude publiée récemment par l'Institut arabe des chefs d'entreprise (IACE) et intitulée « stress hydrique : choix économique et sécurité alimentaire », le stress hydrique est une menace réelle pour la Tunisie, surtout que les quelques précipitations enregistrées n'ont pas pu sauver la situation et que les barrages sont toujours en situation précaire. Il faut signaler que la situation particulièrement compliquée que connaît le pays n'est pas nouvelle. La sonnette d'alarme a été tirée depuis belle lurette et des projections pessimistes ont été faites à l'horizon 2050. L'indicateur de stress hydrique dans le pays est passé de 66% en 2000 à 109% en 2020 alors que la disponibilité de l'eau per capital poursuit sa baisse depuis plusieurs années pour atteindre 355 m3/habitant/an en 2021, soit le tiers de la norme internationale d'aridité (1000m3/habitant/an). Enfin, le ratio volume disponible par habitant et par an qui était de 450 m3/habitant/an en 1996 ne sera que de 315 m3/habitant/an à l'horizon 2030. Dès lors, la vulnérabilité aux changements climatiques, exigent plus que jamais une nouvelle gouvernance du secteur et la définition d'une nouvelle stratégie qui prend en considération toutes les contraintes et qui présente des solutions qui immunisent les Tunisiens des affres de la soif et du manque de l'eau.