Classée sous le seuil de pauvreté en eau en raison des pénuries des précipitations et de l'augmentation de la population, la Tunisie, faute de moyens, s'approche aujourd'hui du scénario du pire. La sonnette d'alarme a été tirée depuis belle lurette et des projections pessimistes ont été faites à l'horizon 2050. Cette année, la question s'est posée avec une gravité sans précédent, au regard d'un déficit pluviométrique qui ne fait que se creuser et d'un hiver particulièrement doux, aggravant l'épuisement des ressources hydrauliques, presque l'assèchement de la majorité des barrages du pays et la prise de mesures draconiennes pour limiter les cultures irriguées, principal consommateur des ressources en eau devenues si rares en raison également de l'impact des changements climatiques que subit le pays. Le déficit pluviométrique, jusque-là observé, qui est estimé à près de 40% à fin décembre, aggrave la situation hydrique désormais critique. Au regard de la succession des années de sécheresse, de l'impact du changement climatique, la rareté des ressources en eau et sa répartition inégale, la Tunisie risque d'avoir soif cet été. Il n'y a pas longtemps, les experts redoutaient le stress hydrique, aujourd'hui ils mettent en garde contre le krach hydrique. Pourtant, tout le monde est convaincu que le dossier relève de la sécurité nationale et nécessite un traitement de fonds, l'option pour une nouvelle gouvernance. Au regard de la crise des finances publiques, le pays se trouve dans l'incapacité totale de changer la donne en mobilisant de grands financements pour l'exploitation de nouvelles ressources. Résultat, à moins d'un miracle, le pessimisme gagne du terrain et on ne fait que constater les dégâts. Malgré les pluies éparses enregistrées ces derniers jours, « La situation reste préoccupante. Les quantités étaient trop faibles pour avoir un effet sur les réserves hydrauliques. C'est la situation des barrages dans les régions du nord, jadis château d'eau de la Tunisie, qui inquiète le plus. Le plus grand barrage de Tunisie de Sidi Salem (Nord-ouest), qui pourrait à lui seul répondre aux besoins de huit millions Tunisiens, est rempli à seulement 15%. Fort heureusement, le pays peut compter encore sur le barrage de Sidi Barrak (Nord-Ouest) rempli à 50% pour assurer son approvisionnement. Lire aussi : L'ONEE renforce et sécurise l'alimentation en eau potable de la ville de Chefchaouen à partir du barrage de Chefchaouen Actuellement, indiquent les services compétents, « le taux de remplissage des barrages n'excède pas le tiers », cela est d'autant plus grave que les dernières pluies enregistrées n'ont pas apporté grand-chose. En effet, « les réserves en eau des barrages sont estimées actuellement à 29,5% de leur capacité avec un volume global avoisinant les 685 millions de m3, alors qu'à la même période de l'année 2021, on comptait 722 millions de m3 ». Le président de l'Union régionale de l'agriculture et de la pêche (Utap) à Béja (Nord-ouest), assure que les barrages dans la région sont pratiquement à sec. Bien plus, soutient-il, « En raison de la situation difficile du barrage Sidi Salem, la production a été suspendue dans les zones irriguées de Testour, Goubellat et Medjez El Bab ».Au barrage El Kassab, la situation est également critique. Pour comprendre cette situation, il faut savoir que la Tunisie est, à présent, parmi les 33 pays du monde les plus sévèrement touchés par le stress hydrique. Elle compte parmi les 10 derniers pays du monde en termes de dotation hydrique. En plus clair, le pays, qui dispose de ressources naturelles relativement limitées évaluées à 4,8 milliards de m3 d'eau par an, dont 4,2 milliards de m3 sont mobilisables, faisant de lui parmi les pays les plus démunis en eau conventionnelle. Deux indicateurs illustrent cette situation. L'indicateur de stress hydrique est passé de 66% en 2000 à 109% en 2020 alors que la disponibilité de l'eau per capital poursuit sa baisse depuis plusieurs années pour atteindre 355 m3/habitant/an en 2021, soit le tiers de la norme internationale d'aridité (1000m3/habitant/an). Enfin, le ratio volume disponible par habitant et par an qui était de 450 m3/habitant/an en 1996 ne sera que de 315 m3/habitant/an à l'horizon 2030. Environ le quart des ressources en eau du pays proviennent des nappes fossiles et sont, de ce fait, épuisables. Les ressources renouvelables subissent, elles, les effets d'un climat contraignant et qui risque de le devenir encore plus avec les changements climatiques. D'après les spécialistes, la crise que traverse le pays a tendance à s'accentuer de plus en plus, vu l'augmentation des besoins, la réduction des capacités de stockage et aussi l'incohérence dans la gestion des différentes ressources : eau de surface, souterraine, épurée, minérale, à laquelle les experts ajoutent la vulnérabilité des changements climatiques, exigent plus que jamais une nouvelle gouvernance du secteur. Le ministère tunisien de l'Environnement a exprimé récemment son inquiétude des effets de la sécheresse qui, selon lui, s'est transformée en « une réalité réelle, tangible et inquiétante qui doit être adaptée et gérée pour limiter ses effets négatifs ». Etant le caractère stratégique de ce problème, plusieurs experts plaident pour la mise en place d'une institution transversale de gouvernance de l'eau à l'instar d'un Conseil Supérieur de Sécurité de l'Eau qui sera chargé d'élaborer et de mettre en place la stratégie et les politiques nationales de gestion des ressources en eau en recourant à des outils modernes de gouvernance et de management. Raoudha Gafrej, experte en eau et en adaptation au changement climatique soutient la nécessité « de développer un système d'information national dédié à l'eau, d'intégrer les besoins écosystémiques en eau à la gouvernance et à la gestion de l'eau et de garantir durablement le droit d'accès du citoyen à l'eau et à l'assainissement ». Pour Abdallah Rebhi, expert en ressources hydrauliques et ex-secrétaire d'Etat auprès du ministère de l'Agriculture, « cette situation exige aujourd'hui l'amélioration de la gouvernance du secteur de l'eau, une maîtrise de la gestion des réserves hydriques, une révision du code des eaux, ainsi qu'un achèvement des travaux suspendus ». En attendant le recours à la mobilisation des ressources non conventionnelles, telles que le dessalement de l'eau de mer et la réutilisation des eaux usées pourtant un enjeu primordial pour le secteur de l'eau en Tunisie restent pour l'instant un simple vœu pieux.