(Géopoliticien) Le même refrain sur 'le droit à l'autodétermination' et la litanie sur la décolonisation, c'est habituel et insipide dans la bouche du chef de l'Etat algérien. Les propos sont repris à l'occasion d'une réunion avec les walis des différentes régions algériennes, la semaine dernière. Cependant, une phrase attire l'attention quand le président Tebboune parle de référendum et des options possibles pour mettre fin au conflit. Il prétend que les locataires de Tindouf auraient le droit de choisir que le territoire du Sahara appartienne au Maroc ou à la Mauritanie, mais qu'il ne serait jamais question que les populations séquestrées puissent revendiquer le droit d'être algériennes bien que la majorité d'entre elles fût née à Tindouf ou dans d'autres régions du pays. Des propos forts en contradiction qui laissent apparaitre la phobie de tout perdre au change, d'être le dindon de la farce, de sortir bredouille après un demi-siècle de comportements face de Janus. L'Algérie ressent l'étau de resserrer contre elle et entend savoir qu'elle ne se laisserait pas faire. Lapsus ou amnésie sur une entité éphémère Alors examinons les soubassements de l'option à trois : rattachement au Maroc, à la Mauritanie et impossibilité d'être algériens. Premier constat, le président algérien ne parle pas de la 'rasd'. Peut-être, inconsciemment, estimerait-il que cette entité n'existait plus et ne serait plus concernées par un quelconque référendum, maintenant aux oubliettes. Un lapsus, une amnésie ou une clause de style ? Quelle que puisse être la raison, le constat est le même : les décideurs algériens pataugent et perdent le nord. Si bien qu'ils n'hésitent pas à ressasser les mêmes arguments dépassés. Cependant, l'idée subjacente dans la tirade du chef de l'Etat algérien demeure le partage. Le partage du territoire. Une proposition faite en 2001 à James Baker, à l'époque l'Envoyé personnel du Secrétaire général des Nations Unies. Elle est reprise épistolairement par les diplomates algériens en souffrance d'inspiration, notamment depuis 2007, année de la proposition du plan d'autonomie par le Maroc. L'idée du partage est vieille et avait été envisagée déjà en 1976 à l'occasion de l'attaque de Nouakchott par les séparatistes du polisario appuyés par des forces militaires algériennes traversant plus de 1500 km. L'attaque a connu la liquidation de Bachir Mustapha Essayed, fondateur du mouvement qui n'aurait plus la confiance de la sécurité militaire algérienne). Elle était décidée pour laver l'affront d'une part, de la conclusion de l'accord tripartite entre le Maroc, l'Espagne et le Maroc en 1975, sans se soucier du véto algérien, et de l'autre, de la défaite de l'armée algérienne à Amgala en 1976. Le partage déjà envisagé, là encore, en 1979 avec la conclusion de l'accord de paix entre la Mauritanie et le polisario à travers lequel Nouakchott renonce à Terris algharbiya (Oued Eddahab). L'Algérie et la Mauritanie exécutaient déjà le scénario du partage qui avait été miroité dans le cadre du plan concocté par la France sous appellation 'Sahara demain' (Plan SAD). Rappel historique à la mode déjà vu ? Loin s'en faut. Il faudra lire la tirade du président algérien dans le contexte de la tension entre le Maroc et la France quant à l'interprétation que les décideurs français font de l'expression 'soutien à la proposition d'autonomie des Provinces du sud comme étant réaliste et crédible.' La France avance l'argument qu'elle était parmi les premiers pays membres du Conseil de sécurité à apprécier positivement la proposition marocaine. Juste. Alors pourquoi ne pas emboiter le pas à d'autres pays européens et dire clairement que la proposition marocaine est 'la seule proposition réaliste' pour mettre fin au conflit régional autour du Sahara ? Pourquoi ne pas convaincre l'Algérie de lâcher du lest ? Là encore, l'idée du partage est sous-entendue dans une tentative de diversion qui ne leurre que ses initiateurs. La France est consciente que le Maroc est en train de gagner des points dans la mise en œuvre d'une politique africaine cohérente et ambitieuse. Si par hasard la Mauritanie adhérait à cette politique, ce serait un pavé de plus dans la mare dans la politique africaine de la France. Ce pays perd du terrain, non pas à cause du Maroc, mais en raison de la fin d'une époque au cours de laquelle des acteurs majeurs internationaux, à l'image des Etats-Unis et de la Russie post-1990, ne contestaient pas sa mainmise sur l'Afrique francophone. Les temps ont changé. Convaincus qu'ils ne peuvent plus être les seuls à déterminer les conteurs de la géopolitique africaine et surtout euromaghrébine, certains décideurs français ne savent plus à quel saint se vouer. Et ce n'est pas seulement en Afrique, mais aussi en Europe. C'est dans ce cadre qu'il faut comprendre l'appel lancé, il y a deux jours, par le président français au chancelier allemand pour travailler ensemble à ressouder le couple franco-allemand et en faire le noyau et le moteur de l'Union européenne affaiblie par les conséquences de la guerre entre la Russie et l'Ukraine. Quel rôle joue l'Algérie dans cette politique ? La fuite en avant, certes, mais encore, la myopie géopolitique. Les décideurs algériens sont sollicités, comme ils l'avaient toujours été, pour damer le pion au Maroc et aux autres pays africains qui décident de tourner le dos à Paris. Ils n'ont pas le choix. Les archives françaises regorgent de dossiers qui leur donnent des sueurs froides. Et ce sont ces mêmes archives que la France refuse d'ouvrir quand il s'agit de son histoire coloniale se rapportant à l'Afrique du Nord dans son ensemble. L'obsession du partage Le refus par la France de satisfaire les revendications algériennes sur la rente mémorielle n'est que de la poudre aux yeux. Ce qui fait peur aux décideurs français c'est le fait que la publication des archives secrètes ou l'ouverture de dossiers particuliers ne révèlent à la fois les atrocités de la colonisation (la France n'en est pas la seule), et les complicités intranationales, dont certains acteurs sont toujours en vie. Mieux, l'ouverture des archives pourrait assombrir le halo de la lutte pour l'indépendance nationale et la bouffonnerie de la repentance telles que revendiquée par l'Algérie. La France n'est pas à l'aise sur la question de la rente mémorielle parce que la reconnaissance de sa responsabilité en Algérie ouvrira les dossiers de sa responsabilité au Maroc, en Tunisie et dans de nombreux pays subsahariens. Si bien que l'argument avancé par certains politicologues français selon lequel la politique maghrébine 'équilibriste' entre le Maroc et l'Algérie s'expliquerait par le fait que la France est membre du Conseil de sécurité de l'ONU, et qu'elle se doit de ne pas prendre parti, est une insulte à l'intelligence des autres observateurs et lecteurs. Du reste, le Maroc ne demande pas à la France de prendre parti ; elle lui demande d'être cohérente avec ces principes présumés de transparence en politique étrangère. C'est à niveau que la complicité entre l'Algérie et l'France est flagrante. L'Algérie cherche à avoir une ouverture sur l'Océan atlantique. A l'occasion de son allocution devant les Walis, le président Tebboune n'aurait pas mesuré l'impact de ses propos quand il dit que l'Algérie a mis des décennies avant de pouvoir ouvrir une ligne maritime entre Alger et Dakar. Inadmissible pour 'un grand pays comme l'Algérie, a-t-il martelé. Plein dans la cible : l'Atlantique à travers la création d'une entité artificielle dans les provinces du Sud est le seul objectif des stratèges algériens quelle que puisse être leur appréciation de l'idée de paix en Afrique du Nord. L'idée est faire en sorte qu'ils obtiennent un retour en investissement après avoir dépensé plus de cinq cent milliards de dollars en soutien à un mouvement dissident. La France, pour sa part, patauge, car elle se trouve à la traine par rapport aux Etats-Unis et certains pays européens tels que l'Espagne, l'Allemagne, les Pays-Bas ou la Belgique. Ces derniers se rendant enfin compte que les Provinces du Sud appartiennent au Maroc. Ils se positionnent déjà pour y trouver un tremplin supplémentaire et une opportunité pour pénétrer ou fructifier leurs investissements en Afrique. La France reprend les anciennes méthodes de marchandage (de bonne guerre en géopolitique)) pour ne pas dire de chantage (qui ne rime plus à rien). Elle est en train de perdre sur deux fronts au moins : d'une part, sur le front de faire de l'Algérie son cheval de Troie dans le but de pousser le Maroc à abdiquer et, par la même occasion, tétaniser les pays de l'Afrique de l'Ouest qui cherchent sinon à se débarrasser de la présence française sur leurs territoires, du moins à limiter de son emprise totale (c'est dans ce contexte qu'il faut, entre autres, interpréter la visite du chef d'état-major de l'armée, Said Chengriha (24-26/1/2022 à Paris) sous prétexte de préparer la prochaine visite du président Tebboune à Paris en mai prochain. D'autre part, sur le front de la renégociation de son influence face à la Russie, à la Chine, aux Etats-Unis et à la Turquie. Or, sans qu'elle le veuille, la France, par le fait de compter sur l'Algérie dans l'échafaudage de cette stratégie, se trouve complice de l'Iran, qui utilise l'Algérie comme passage pour semer la zizanie en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne pour, à son tour, desserrer l'étau qui jugule son mouvement au Proche et Moyen Orient. Territoire de substitution : le nord de la Mauritanie ? Pourquoi le président algérien a-t-il mentionné la Mauritanie dans sa tirade à trois temps ? Réponse évidente : il invite les locataires de Tindouf à exécuter le plan de faire du nord de la Mauritanie un territoire de substitution aux Provinces du Sud. Il joue intelligemment la carte tribale qui avait été à l'origine de la tentative de cession de Terris algharbiya (Oued Eddahab) au Polisario. En effet, Mohamed Khouna Ould Haidallah, lui-même rguibi était plus proche des rguibat à Tindouf et au Sahara oriental. Le président algérien lance par la même occasion un appel aux éléments du polisario, qui ont obtenu la nationalité mauritanienne, pour se préparer à jouer la carte tribale. Car, les décideurs algériens sont convaincus que la Maroc a gagné la guerre du Sahara et que les locataires de Tindouf doivent déguerpir. L'idée de changer le régime à Nouakchott pourrait alors être une option avec comme but probable la réinstallation de l'ancien président Mohammed Ould Abdelaziz au pouvoir. Les décideurs algériens sont conscients surtout que le vent de la dissidence commence à souffler de manière sérieuse dans deux régions au moins, la Kabylie et le sud du pays, où les Touaregs s'expriment ouvertement pour l'autonomie sinon l'indépendance dans le cadre d'une entité qui regrouperait les Touaregs du Mali, du Niger, de Mauritanie et de Libye. A ce vent de dissidence, il faut ajouter le ras-le-bol des populations dans la région de Tindouf qui ne s'accommodent plus de la présence des séquestrés sahraouis. Ces populations seraient tentées de faire comme ces derniers et demander une certaine autonomie loin de la capitale Alger, qui les ignorent de toute façon. La région de Tindouf est négligée, justement, parce que les autorités de la capitale sont convaincues que ses habitants ne se seraient jamais sentis être algériens. Ils se revendiqueraient en privé comme étant toujours marocains. Puis, il y a surtout un facteur économique déterminant : l'exploitation du sous-sol de la région, y compris les minerais de Garat Jbilat, passera par la sécurisation de ce territoire. Car aucun investisseur étranger sage ne viendra y tenter sa chance, d'autant plus que le territoire regorge de bases militaires, y compris une antenne iranienne de plus en plus visible malgré les démentis de Téhéran, de Hezbullah et d'Alger. Le dernier congrès du Polisario a montré les vrais desseins de l'Algérie. Le mouvement n'est qu'un instrument entre ses mains pour faire assouvir son appétit géopolitique. Les intérêts de l'Algérie, croit-on toujours, ne sauraient se faire avec mais contre le Maroc. Pour se prémunir contre la relance des revendications marocaines sur le Sahara oriental (que le Maroc s'abstient de relancer, s'en tenant aux dispositions de l'accord frontalier de 1972, pourvu que l'autre partie en respecte les intégralement les clauses), l'Algérie s'active sur les frontières et utilise toutes les méthodes possibles. A cet égard, il serait édifiant de s'interroger sur l'incendie qui a ravagé une grande partie des archives se rapportant à l'histoire de Tindouf. Fait isolé ou acte prémédité ? Cela coïncide avec les autres tentatives d'appropriation, à cor et à cri, de patrimoines matériel et immatériel dans une compétition absurde avec le Maroc. C'est dans la même perspective que l'Algérie a utilisé la Tunisie avant de la laisser tomber. Cela explique aussi les tentatives d'amadouer la Libye pour un éventuel renversement des rapports de force et d'obtenir un engagement du gouvernement de Tripoli de ne plus évoquer la question des frontières jamais obtenu même durant la belle époque de l'alliance Kadhafi- Boumediene et Kadhafi et Bouteflika. Le litige frontalier entre les deux pays comporte une dimension géopolitique liée aux hydrocarbures. Mais aussi un engagement de ne pas renoncer la reconnaissance de la pseudo-rasd. Deux questions d'importance : 1) L'Algérie sous-traitante de la France en perte de vitesse dans la bande sahélo-saharienne (et au Maghreb !!) ? Argument déjà avancé quand l'Algérie a amendé sa constitution pour permettre à son armée d'opérer hors de son territoire. Il devient encore plus évident. 2) L'Algérie élément incontournable dans un axe maghrébin sans le Maroc pour redorer le blason de la France et de l'Algérie et relancer la course à une nouvelle géopolitique dont les hydrocarbures seront le fer de lance ? Très plausible. Le scénario serait concocté de telle manière à obliger la Mauritanie à mettre les bâtons dans les roues des promoteurs du gazoduc Nigéria-Maroc-Europe. Deux options : soit que la Mauritanie s'exécute, soit qu'elle assume les conséquences de la création d'une entité de substitution dans le nord du pays qui serait l'espace de prédilection des polisariens et des populations originaires des pays voisins (Mali, Niger, Tchad etc) délogés de Tindouf. Si ce scénario rencontrait des obstacles, rien ne serait plus utile que de faire appel à un acteur, spécialiste en la matière, l'Iran. La Mauritanie, qui a toujours redouté l'influence iranienne dans le pays, commence à baisser les bras et semble laisser le prosélytisme chiite fleurir dans la société avec tous les dangers que cela engendre sur les plans politique, spirituel, culturel et civilisationnel. La France va-t-elle se lancer corps et âme en vue de faire exécuter ce scénario? Ou serait-elle tentée de forcer la Mauritanie à se joindre à un éventuel axe Algérie-Iran-Tunisie (et Libye) pour faire face à l'obstruction marocaine présumée et ramasser la mise en dernier ressort ? Rien n'est moins sûr. La France peut-elle laisser faire la constitution d'une alliance par agents interposés regroupant le Hezbullah (à la solde de Téhéran) et le Groupe Wagner russe (déclaré depuis peu comme une organisation terroriste), deux forces qui menacent les intérêts occidentaux en Afrique, et à leur tête les intérêts français? La France fermerait-elle les yeux sur une telle alliance à laquelle se joindraient les séparatistes du Polisario –et certains réseaux du crime organisé créés, croirait-on, par les services secrets algériens et français ? Si tel n'était pas le cas, alors on devrait alors se poser la question sur l'existence 'd'Etat dans l'Etat', même au sein des pays qui se déclarent chantres de la démocratie, de la séparation des pouvoirs et de l'existence d'un système de prise de décision transparent. La neutralisation d'un acteur aussi important que le Maroc est une obsession qui ne nuira qu'à celui qui la nourrit. La résolution du Parlement européen adoptée à une forte majorité, la semaine dernière, en est l'illustration parfaite. Le Maroc y voit la main invisible de parlementaires de la mouvance présidentielle française et de certaines tendances partisanes qui seraient intervenu dans les coulisses en jouant l'absentéisme de façade. Ceci, à moins que l'initiative des parlementaires français ne soit une réponse indirecte au déroulement, en même temps, du procès des journalistes Eric Laurent et Catherine Graciet, jugés pour chantage au roi du Maroc ; une affaire qui remonte à 2015. La France se vantant du système judiciaire français et épinglant, à distance, le système judiciaire marocain, bien que la démarche n'ait pas fait mouche pour ébranler la sérénité des décideurs marocains ou celle des Marocains ne portant plus la France dans leurs cœurs, depuis la demi-finale de la coupe du monde de football au Qatar. En effet, à tort ou à raison, une bonne partie de Marocains soupçonnerait une machination bien orchestrée dans les coulisses par des milieux français influents (et leurs complices a la Fifa) en vue d'éliminer l'équipe nationale marocaine, pour ne pas froisser le président Emmanuel Macron, présent dans les tribunes. Ce dernier avait, prétendrait-on, besoin de la victoire de l'équipe française pour détourner momentanément l'attention des Français sur problèmes internes. L'argument des droits de l'Homme dans ce contexte est une aberration comme l'a été l'instrumentalisation de certains activistes marocains (dont certains de bonne foi) pour obtenir autre chose que la promotion de ces droits au Maroc. La neutralisation ne fait, en tout cas, pas partie du lexique des planificateurs politiques et stratégiques marocains. Si bien que la Maroc continue de tendre la main à l'Algérie, conscients qu'à deux, les deux pays peuvent (avec les trois autres éventuellement) faire le Maghreb. Si un jour cela devait se réaliser, alors, ni la France, ni les autres instigateurs potentiels ne pourraient persévérer à semer la trouble et la zizanie en Afrique du Nord. Rien, sinon prendre le train en marche. Vœu pieu ? Rien n'est impossible en politique et en géopolitique. Entretemps, les Provinces du Sud font partie intégrante du Maroc et ils participeront, sans doute, à ancrer l'Afrique (et donc le Maghreb) à l'Europe, pour réussir le codéveloppement et l'interdépendance positive –et non pas l'hégémonie comme le souhaiteraient, encore, certains nostalgiques des dépendances unilatérales et, au mieux, des interdépendances asymétriques.