De fortes craintes de boycott planent sur les élections législatives anticipées du 17 décembre 2022, les observateurs n'excluent pas de voir une grande proportion des 9 millions d'inscrits sur les listes électorales déserter les urnes le jour du choix des élus de la future chambre des députés (parlement). Les appels de la majorité des partis politiques et de quelques organisations de la société civile au boycott de cette échéance pourraient être suivis par un corps électoral, il est vrai, indécis. En effet, moins de 10% des Tunisiens (- de 500 mille) ont pris part à la consultation électronique organisée par le président tunisien, Kaïs Saïed, en début d'année. Idem pour le référendum du 25 juillet 2022 sur la nouvelle Constitution, ignoré par près de 70 % corps électoral, dont l'abstention traduit un ras-le-bol généralisé vis-à-vis des élites politiques. Le référendum du 25 juillet 2022 sur la nouvelle Constitution, faut-il rappeler, a été boudé par près de 70 % des électeurs. Pour certains analystes, les Tunisiens, plutôt préoccupés par la détérioration de leur situation économique et sociale, ne semblent pas être prêts à donner un blanc-seing à un projet de la gouvernance par la base auquel ils ne croient pas encore vraiment. Au regard du déroulement, à la limite caricatural, d'une campagne électorale terne et sans enjeux, du profil des candidats, peu connus, d'une loi électorale taillée sur mesure et d'un contexte économique et social particulièrement difficile, les électeurs ne seront vraisemblablement pas au rendez-vous. Désabusés, préoccupés par la précarité de la situation, des pénuries à n'en plus finir, d'une inflation galopante, et peu convaincus par une gestion à la limite calamiteuse des affaires du pays, ils n'expriment pas un enthousiasme particulier pour mandater des candidats jugés « incapables » de présenter des solutions à des questionnements lancinants. Risque d'un large boycott parce que les Tunisiens se sont rendus compte que les dés sont d'ores et déjà jetés, avec des « candidats sans légitimité ». D'ailleurs, ce premier scrutin législatif sous la nouvelle Constitution, uninominal, à deux tours, et dans des circonscriptions réduites (161, dont 10 à l'étranger), suscite de larges controverses. Le non-cumul du statut de député avec tout autre activité rémunérée, l'absence de financement public, le découpage des circonscriptions électorales et leur poids en sièges, l'exigence d'un parrainage sous signature légalisée par 400 électeurs de la même circonscription et autres aspects juridiques, ont été dénoncés. Et pour cause, le nouveau Parlement aura des pouvoirs très limités du fait qu'il n'aura plus son mot à dire sur la formation du gouvernement, lequel n'aura pas davantage à rendre de comptes devant les députés. Hormis le manque d'intérêt, l'électorat reste démobilisé. Le nombre de candidats est insuffisant pour une réelle joute électorale et une représentativité de la diversité des Tunisiens. Le principe de parité, en particulier, est loin d'être respecté, puisque sur 1.055 candidats, on ne recense que 181 femmes. Une situation étrange, qui n'empêche pas ces candidats d'espérer remporter l'un des 161 sièges de l'Assemblée des représentants du peuple. D'après les observateurs, l'enthousiasme provoqué par le changement intervenu le 25 juillet 2021 à la faveur de laquelle le président Saïed, s'est arrogé tous les pouvoirs, s'est émoussé. En témoigne une campagne électorale qui n'a suscité aucun débat public digne de ce nom, en se déroulant dans l'indifférence la plus totale. Manifestement, la loi électorale (du 15 septembre 2022) qui a introduit le scrutin uninominal qui écarte les partis, a été le catalyseur d'un grand mouvement de boycott. Hormis le parti « Al-Chaab », le Mouvement des patriotes démocrates et le Mouvement du 25-juillet, minuscules formations qui défendent à cor et à cri le projet de la gouvernance par la base, la plupart des partis, ont annoncé leur boycott du scrutin, le qualifiant de « farce ». Dans dix circonscriptions, les jeux sont déjà faits puisqu'un seul candidat s'y présente. Dans sept autres, il n'y a tout simplement aucun prétendant et il faudra attendre le second tour pour que l'instance des élections (ISIE), fortement critiquée pour son alignement au président, statue sur leur situation. La plupart des partis incluant ceux de l'opposition au premier rang desquels « Ennahdha » (islamiste) ont appelé à boycotter le scrutin, dénonçant un « coup d'Etat contre la Révolution ». Noureddine Taboubi, secrétaire Général de l'influente centrale syndicale, l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) est vite monté au créneau formulant des critiques acerbes aux élections législatives du 17 décembre, estimant qu'elles n'avaient aucune raison d'être après la réforme très contestée de la Constitution qui réduit fortement le rôle des partis politiques. Ses propos sont sans équivoque. Il estime que le pays se dirige « vers des élections qui n'ont ni goût ni couleur, qui résultent d'une Constitution qui n'a été ni participative (dans son élaboration) ni soumise à l'approbation de la majorité ». Enfin, l'organisation non gouvernementale « Al Bawsala » a annoncé, à son tour le 13 décembre, boycotter le prochain parlement. L'ONG a affirmé éviter de conférer de la légitimité à une organisation fictive qui sera instaurée uniquement dans le but de soutenir les orientations du président Saïed en accordant à sa construction politique un esprit inauthentique de démocratie participative.