A peine dévoilé, le nouveau décret-loi électoral en Tunisie promulgué par le président tunisien Kaïs Saïed, en prévision des prochaines législatives, a provoqué une vive polémique parmi la classe politique, qui critique une législation marginalisant le rôle des partis politiques et au détriment de la liberté de candidature. Basée sur le vote individuel et le redécoupage des circonscriptions électorales, cette nouvelle loi électorale controversée « balise la voie » au système de « gouvernance par la base » défendu par le président tunisien, qui détient depuis le 25 juillet 2021 les pleins pouvoirs, après avoir décrété une salve de mesures exceptionnelles, dont notamment, la dissolution du parlement. Depuis la publication de ce décret le 15 septembre, les appels au boycott des prochaines législatives prévus le 17 décembre fusent de toutes parts, sur fond des conditions « insurmontables » imposées aux candidats potentiels par le nouveau code électoral. Ayant annoncé le boycott des élections avant même la publication du texte en question, le Front de salut national estime que « les amendements apportés à la loi électorale ne font que baliser la voie au système de construction par la base que le président tunisien veut le mettre en place ». Le président du Front de salut national, Ahmed Néjib Chebbi, a réitéré le « rejet catégorique » de sa formation du décret-loi portant amendement de la loi électorale, précisant qu' »il s'agit d'une loi autoritaire qui impose des conditions insurmontables aux candidats qui veulent se présenter aux législatives ». D'autres partis se sont joints à cette position, à l'instar du Parti travailliste, du Parti républicain, du Courant démocratique, d'al-Qotb et d'Ettakatol, qui dénoncent un texte élaboré sans concertation, en prolongement de la démarche unilatérale amorcée par le Président tunisien depuis l'instauration des mesures exceptionnelles. Selon le secrétaire général du Parti républicain, Issam Chebbi, le décret-loi électoral promulgué par Saïed n'est autre qu' »un prolongement du processus amorcé par le Président depuis qu'il a décrété les mesures exceptionnelles et s'est emparé de la vie politique ». Lire aussi : Tunisie: cinq nouveaux partis boycottent les législatives du 17 décembre S'exprimant lors d'une conférence de presse, Chebbi a dénoncé le processus de préparation de ce texte, « élaboré sans concertation avec les partis, les organisations de la société civile ou les instances concernées par le contrôle des élections ». Le nouveau code électoral substitue un mode de scrutin uninominal au scrutin de liste qui était en vigueur avant juillet 2021. Ainsi, les Tunisiens devraient élire leurs députés individuellement, au lieu d'un vote pour une liste présentée par un parti politique, ce qui inflige, selon plusieurs observateurs, un coup dur au rôle des formations politiques. Les dispositions du nouveau texte suscitent également d'autres interrogations ayant trait notamment au respect du principe constitutionnel de parité, eu égard à quelques conditions relatives au dépôt des candidatures, dénoncées par plusieurs organisations féministes qui appellent à garantir le principe de la parité dans la candidature et à faciliter l'accès des femmes aux postes de prise de décision. Dans ce sens, la dynamique féministe affirme que « le mode de scrutin uninominal qui n'exige ni la parité ni les conditions nécessaires préservant l'égalité des sexes, ouvrira la porte devant l'exclusion des femmes, et représentant ainsi une violation grave aux dispositions de l'article 51 de la nouvelle Constitution ». Un autre point qui divise la classe politique tunisienne, le nouveau découpage électoral prévu par le décret-loi avec 161 sièges à pourvoir, sans une prise en compte réel du nombre d'habitants par circonscription, ce qui n'aboutira pas à une meilleure représentativité. A cet égard, la professeure de droit public, Monia Guari, a estimé que ce découpage « ne respecte pas le principe d'intégrité ou d'égalité dans le poids de chaque voix, et qu'il a été conçu pour répondre aux exigences des élections locales et régionales plus que les législatives ». Pour la professeure de droit constitutionnel, Salsabil Klibi, « ce découpage opaque et arbitraire, des circonscriptions électorales posera nécessairement des problèmes d'ordre pratique, notamment lorsqu'il y a des sensibilités entre les délégations ». Alors que la polémique sur le décret-loi aussi controversé sur la désinformation ne cesse d'enfler, ce nouveau code électoral vient ajouter de l'huile sur le feu, en exacerbant les tensions dans un paysage politique tunisien plus divisé que jamais.