La solitude des grands est proverbiale. Elle doit peser sur Joe Biden en ce moment. Il a de bonnes raisons de se sentir bien seul. Il est rejeté par les siens. Les centristes lui reprochent d'avoir tourné casaque et viré à gauche, alors que les progressistes le trouvent trop timoré dans ses réformes. Ces dissensions internes ne facilitent pas sa tâche rendue encore plus difficile par la ferme opposition des républicains à la majorité de ses projets. Après le rejet en décembre dernier de son plan « Build back better » (Reconstruire en mieux), il espérait en sauver certains éléments avec une version moins coûteuse. Mais son espoir de faire adopter ce vaste programme d'investissement dans les infrastructures a été torpillé non pas par les républicains, mais par un démocrate, le sénateur de Virginie occidentale, Joe Manchin. Ce n'est pas la première fois qu'il fait un mauvais coup à son parti. Il avait déjà contribué à l'échec d'une loi sur le droit de vote qui entendait lever les restrictions électorales ciblant, selon les groupes de défense des droits civiques, particulièrement les minorités plus enclins à voter en faveur des démocrates. Être démocrate en Virginie occidentale n'est pas chose facile. C'est un Etat qui a voté en majorité pour Donald Trump, et pour survivre politiquement, Joe Manchin doit être conservateur. Il n'aime pas les grosses dépenses qui augmentent le déficit. → Lire aussi : Biden qualifie de « décision historique » l'ouverture de l'espace aérien saoudien à « tous les transporteurs » Dans la dernière mouture du plan « Reconstruire en mieux », il s'est opposé aux fonds sur le climat, estimant que pour le moment mieux valait augmenter la production de pétrole et de gaz pour faire baisser les prix. Il a également refusé d'augmenter les impôts des plus riches. Si Joe Manchin tient en otage son parti, c'est que celui ne disposant que de 50% des voix au sénat, ne peut se permettre de perdre celle du sénateur de Virginie Occidentale. Cela ne le met pas à l'abri des critiques. Le socialiste Bernie Sanders l'a accusé de sembler ne se soucier ni de la réussite de Joe Biden, ni des besoins de la classe populaire. Ce nouveau revers infligé par Manchin vient s'ajouter à de nombreux autres problèmes qui réduisent encore un peu plus les chances des démocrates aux élections de mi-mandat du 8 novembre. En tête de liste, l'inflation qui a atteint 9,1%, en juin. Du jamais vu en 40 ans. Le prix de l'essence, même s'il a légèrement diminué, reste trop élevé. Joe Biden n'est pas rentré de sa tournée au Moyen Orient avec la certitude de voir l'Arabie Saoudite augmenter sa production. La décision sera prise par l'OPEP en août. La hausse de la criminalité, et celle des fusillades en série, le flux constant de migrants à la frontière avec le Mexique sont autant de sujets de mécontentement des Américains, dont 77% pensent que le pays va dans la mauvaise direction. Le parti démocrate voit s'éloigner de ses rangs des électeurs traditionnels, désabusés par le manque de progrès de l'administration au pouvoir. Les Afro-américains sont déçus que plusieurs lois protégeant leurs droits n'aient pas été approuvées. Les hispaniques sont de plus en plus attirés par les sirènes républicaines. Les femmes reprochent au président sa réaction tardive à l'arrêt de la Cour suprême rendant l'avortement illégal. La Chambre des représentants a majorité démocrate vient d'adopter deux lois destinées à protéger l'accès à l'avortement, mais elles ont peu de chances d'être avalisées par le Sénat. Plus inquiétant encore, les démocrates sont en train de perdre les jeunes, désillusionnés par Joe Biden, qui dans la tranche des 19-29 ans, n'obtient qu'1% de popularité. Cela est de mauvais augure pour 2022 et 2024. Le taux de popularité du président a dégringolé à 33%, et 23% seulement des démocrates souhaitent qu'il se représente, comme il en aurait l'intention, en dépit du fait qu'il aura alors 80 ans. Les démocrates, malgré le pessimisme ambiant, peuvent-ils encore éviter une humiliante défaite dans les élections de mi-mandat ? Il est difficile de prévoir une éclaircie sur le plan économique d'ici novembre. Le parti ne peut qu'espérer que des sujets tels que l'avortement ou le contrôle des armes soient suffisamment mobilisateurs pour attirer ses partisans aux urnes. S'il est peu probable que les démocrates puissent garder la Chambre, les républicains n'ayant besoin que de 5 sièges pour regagner la majorité, tout n'est pas forcément perdu pour eux au Sénat. En effet, plusieurs candidats républicains qui ont reçu l'onction de Donald Trump sont vulnérables. En Géorgie, un ancien joueur de football, Herschel Walker, a dû révéler la paternité de trois enfants dont il n'avait jamais mentionné l'existence. En Pennsylvanie, un médecin devenu vedette de télévision, Mehmet Oz, a été parachuté du New Jersey par Trump, qui a également appuyé l'auteur d'un best-seller, J.D. Vance qui a gagné la primaire en Ohio. Un autre facteur qui pourrait aider les démocrates, une possible annonce, avant novembre, de la candidature de Donald Trump pour la présidentielle de 2024. Les républicains le supplient, si telle est sa décision, de bien vouloir la retarder jusqu'à après les élections. Annoncer qu'il se représente avant risquerait, selon les analystes, de transformer les législatives en élection pré-présidentielle. Cela inciterait certainement les démocrates à aller voter. Un de leurs stratèges a déclaré: « Trump est pour les démocrates une injection de stéroïdes». Les républicains pour l'emporter veulent, eux, mettre l'accent sur le bilan de l'administration Biden, jugé jusqu'ici peu reluisant.