La nouvelle proposition de loi soumise au Parlement par le groupe du PPS vient relancer le débat sur un sujet des plus polémiques. Le texte a été déposé et accepté, le 30 mai 2022. S'il est adopté, il permettrait non pas seulement de développer la législature nationale sur l'avortement, mais de renforcer les droits à la santé et à l'intégrité physique des femmes. Le chemin est long, mais il est temps de reprendre les efforts interrompus en 2015, annonce Touria Skalli, une des membres du bureau politique du parti, ayant élaboré le texte. En mai 2015, une Commission royale, composée du Conseil National des Droits de l'Homme (CNDH) et du Conseil supérieur des Oulémas, a remis au Roi Mohammed VI son rapport sur l'interruption volontaire de grossesse. Dans ses conclusions, la commission avait noté que l'avortement n'est dûment légal que dans trois cas seulement : «Lorsque la grossesse constitue un danger pour la vie et la santé de la mère», en cas de «graves malformations et de maladies incurables que le fœtus pourrait contracter» et enfin lorsque «la grossesse résulte d'un viol ou d'inceste». L'avis rendu plus tard par le Conseil des Oulémas est venu en défaveur de tout amendement des dispositions du code pénal relatives à l'avortement, soulignant que ces dispositions, prévues dans le Chapitre VIII, section I, de l'article 449 à l'article 458 «ne connaîtront aucune modification sauf ce qu'exige l'intérêt et permet l'Ijtihad». Cette initiative révolutionnaire se tut ainsi. Une réforme législative fut ainsi peut-être oubliée par les politiques et parlementaires, mais la question de l'avortement a continué et continue de préoccuper les associations de défense des droits des femmes et des droits humains. Aujourd'hui, ce sont les députés du parti du Progrès et du Socialisme (PPS) qui ont pris sur eux de ramener la question à l'hémicycle. La nouvelle Proposition de loi apporte un nombre d'amendements visant à « protéger la femme enceinte, et à travers elle, la famille, tout en la mettant au centre du cadre législatif régissant la santé »,comme peut-on lire dans le préambule de ce texte. Les dispositions proposées dans le cadre du texte ont ainsi été élaborées « en cohérence totale avec les transformations scientifiques que connait le domaine de la santé, les attentes des professionnels et des mouvements qui luttent et s'engagent aux causes qui sont justes et équitables », ajoute le préambule. Dans le détail, le texte propose d'élargir l'autorisation de l'interruption volontaire de la grossesse pour inclure quatre cas. Il s'agit notamment des cas où la vie de la mère serait en danger, des cas de grossesse à risque, des cas d'inceste, ainsi que pour les mineures. « Ce sont les 4 catégories où on appelle à ce que la loi autorise et encadre un avortement sécurisé, médicalisé, public et transparent pour tous et encadré par la loi », explique Touria Skalli, parlementaire, membre du bureau politique du PPS et membre du groupe ayant élaboré la Proposition de loi. → Lire aussi : Avortement clandestin : arrestation d'un médecin et six individus Outre l'inclusion de nouvelles catégories, ledit texte vise à apporter une autre modification fondamentale : une définition claire et précise de la notion « santé ». Il s'agit de parler de la santé de la femme « dans un sens plus défini, mais aussi plus ouvert » qui inclut d'autres critères et aspects, explique Skalli, reprochant au texte actuel le fait que « même si le mot santé était mentionné, sa définition n'était pas claire ». Sortir l'avortement du domaine pénal Comme l'indique le préambule, les dispositions de ce texte s'inscrivent dans une logique qui dépasse « la vision restreinte » du Chapitre VIII du Code pénal. Le grand enjeu c'est qu' « on puisse changer l'approche de la question. Au lieu que ça reste une question relevant du code pénal avec le chapitre qui parle des atteintes aux mœurs et à la famille, il faut qu'elle relève désormais d'une loi de santé, parce que c'est la santé des femmes qui est en jeu et la santé des enfants aussi », défend la femme politique. La Proposition de loi présentée par les députés du PPS relance le débat public sur ce sujet où s'entremêlent considérations religieuses, tabou et interdiction légale. Pour Skalli, ce qui est fondamental c'est de relancer le débat qui a été suspendu depuis des années. « Ce qui était interrompu en 2015 doit reprendre un cours plus actif plus efficace », réclame-t-elle de vive voix. « Le fait que cette proposition soit à nouveau acceptée par le parlement et qu'elle sera présentée devant une commission, c'est ce qui importe le plus pour nous. Qu'elle soit discutée, débattue, critiquée, amendée ... l'important c'est que le débat soit posé et qu'ensuite une loi soit adoptée. Une loi qui soit juste le fruit d'un accord consensuel sur la question », ajoute-t-elle. →Lire aussi : USA: Droit à l'avortement, la discorde perdure Si la mission législative est de nature critique et difficile à aboutir, la nature du sujet en question actuellement ne facilite certainement pas les choses. Tout de même, la parlementaire et ses camarades reste optimiste. « Tout comme d'autres lois très positives qui ont été mises en place les dernières années et qui portaient par exemple sur le don d'organes, sur l'utilisation du sang humain et des cellules humaines, ou encore sur la procréation médicalement assistée, cette proposition de loi porte aussi sur une question de santé. Et donc, il faut la sortir du volet tabou », souligne-t-elle. Misant sur le débat pour faire progresser la situation actuelle, « il faut se battre pour mettre en place une loi qui régit les cas et facilite l'accès aux femmes à un avortement sécurisé », conclut Touria Skalli. A savoir qu'à l'échelle mondiale, les avortements non sécurisés représentent 4,7 à 13,2 % de tous les décès maternels, selon l'OMS, et que les pays en voie de développement sont les plus touchés, ce débat national qu'entame le PPS prend tout son sens. Loin de toutes les considérations, l'objectif qui pourrait réunir l'ensemble des acteurs politiques, sociaux et de la société civile serait celui de mettre en place une loi qui encadre l'accès aux avortements sécurisés tenant compte de la santé et l'intégrité physique et psychique des femmes.