Dans le contexte de crise de la Covid-19 qui sévit en Afrique depuis le mois de mars, le Policy Center for the New South organise une édition spéciale de l'un de ses événements annuels phares : la Conférence annuelle sur la paix et la sécurité en Afrique, baptisée pour l'occasion APSACO Talks. Cette version en ligne de la conférence, allant sur trois jours, s'est poursuivie aujourd'hui avec un panel sur la « Privatisation de la violence en Afrique : Groupes armés non-étatiques et sécurité privée », modéré par Alioune Ndiaye (Sénégal), Chef de la division de la paix de l'Organisation islamique pour l'éducation, les sciences et la culture (ICESCO), où la philosophie est que "sans paix, il n'y a pas de développement". La défaillance des Etats, un tremplin pour la violence Afua Boatemaa Yakohene (Ghana), chercheure universitaire au Centre Legon pour les affaires internationales et la diplomatie (Legon Centre for International Affairs and Diplomacy – LECIAD), a passé en revue un large éventail d'acteurs qui recourent à la violence privée, c'est-à-dire "en dehors de l'Etat" : les terroristes, les acteurs luttant pour la liberté, les vigilants politiques agissant dans des pays pacifiques comme le Ghana, le crime organisé ainsi que les forces de l'ordre qui soutiennent le recours à la violence privée. Dès le début, ces groupes ont exploité le manque d'infrastructures et l'incapacité de l'Etat à fournir des services sociaux à la population. Ces groupes utilisent la violence comme moyen de résoudre les problèmes d'insécurité et de marginalisation – en termes d'accès à l'éducation, de pauvreté absolue, de manque de soutien au secteur privé, d'absence de perspectives pour les jeunes et de niveau de chômage élevé. Certains groupes ciblent les zones riches en ressources, comme les groupes islamiques qui combattent l'Etat du Mozambique dans le Cabo Delgado. Le recours à la violence privée est très répandu, et les partis d'opposition recrutent des "party boys" (garçons du parti) pour se battre à leur place, car ils ne font pas confiance aux forces de sécurité régulières, ce qui ne devrait pas surprendre dans le contexte social actuel. Ces derniers ont créé une plateforme de recrutement de jeunes gens, suscitant la sympathie pour les groupes terroristes auprès de la population. "Groupes d'autodéfense au Sahel observant des obédiences ethniques" Rida Lyammouri, Senior Fellow du Policy Center for the New South, a rappelé que la région du Sahel a connu son année la plus meurtrière en 2019, et qu'elle est à nouveau confrontée à une situation grave en 2020. La raison de cette violence accrue réside dans un conflit multidimensionnel impliquant de multiples acteurs. Les premiers acteurs qui déstabilisent le Sahel sont les groupes djihadistes, affiliés à Al Qaeda et à l'Etat islamique, et présents au Mali, au Niger et au Burkina Faso, avec une concentration le long des frontières de Liptako Gourma. La violence djihadiste qui a débuté au nord du Mali en 2012 s'est étendue ailleurs – en Côte d'Ivoire, au nord du Bénin et au nord-ouest du Nigeria. D'autres acteurs sont impliqués dans les lourdes pertes en vies humaines, telles que les armées nationales et régionales, et le G5 Sahel – accusés d'être impliqués dans des exécutions extrajudiciaires-, l'opération française Barkhane, mais également les groupes d'autodéfense opérant au Mali et au Burkina Faso, où des civils sont armés par l'Etat pour assurer la sécurité dans le nord du pays. Cette situation est dangereuse, surtout en raison des justiciers ethniques dont les objectifs vont au-delà de la protection de leurs communautés – parfois avec des velléités de vengeance ou d'accès à des intérêts économiques. La solution consiste à créer un environnement où la violence et le terrorisme ne pourraient pas subsister, en soutenant les institutions locales ayant la capacité de contrôler et d'analyser les informations. Les partenaires nationaux et internationaux pourraient alors se concentrer sur la mise à l'écart des individus ou des réseaux criminels qui déstabilisent la région. Des Etats faibles avec un niveau de corruption élevé Duncan E. Omondi Gumba (Ethiopie), chercheur principal à l'Institut des études de sécurité (ISS), a souligné quant à lui l'existence de personnes corrompues au sein des Etats, prêtes à apporter leur collaboration dans des activités illicites à des groupes mafieux internes ou externes. Il a fait état de l'influence négative du crime organisé en Afrique du Sud, en Somalie, au Nigeria et au Mali. Outre la collaboration avec les organismes publics intégrés, il existe également une concurrence de la part, par exemple, des Al Shababs qui se considèrent plus efficaces que l'Etat pour assurer la sécurité. Certains groupes instituent l'exploitation économique ; phénomène bien connu dans le nord-est de la République démocratique du Congo, tandis qu'au Nigeria l'on trouve un esprit d'entreprenariat criminel dans chaque Etat de la Fédération. Les degrés élevés de corruption officielle et de clientélisme dans ces pays sont un dénominateur commun que l'on retrouve au Mali et en Somalie. Les principaux acteurs de la violence privée sont devenus des entrepreneurs politiques au Tchad, au Mozambique, en Ouganda, en Afrique du Sud et au Kenya. Ces groupes accentuent le dysfonctionnement et l'échec de l'Etat. Un nouveau récit sur la Covid-19 par des groupes terroristes El Mostafa Rezrazi, Senior Fellow au Policy Center of the New South, a pour sa part présenté deux hypothèses. La première soutient que la Covid-19 n'a aucun impact sur la violence actuelle, avec 170 attaques par mois. La deuxième suppose que les groupes terroristes ont au contraire profité de la situation sanitaire pour reconstruire leurs stratégies et leur positionnement. Les messages d'avertissement diffusés dans des médias extrémistes violents devraient être mieux surveillés et suivis de plus près, sachant que ces groupes scrutent les analyses académiques que nous produisons sur eux. Ces messages indiquent si ces groupes sont toujours dangereux ou pas, et peuvent conduire à des arrestations.