Les événements au Sahel, et au Mali en particulier, prennent une tournure incertaine et préoccupante. Le Mali a connu deux coups d'État en moins d'un an, tandis que le Sahel ouest-africain a connu son année la plus violente à ce jour et il n'y a aucun signe que la violence ralentisse. Au milieu de cette instabilité sans précédent, les récents développements impliquant le gouvernement de transition du Mali et la communauté internationale, la France en particulier, ne fournissent aucune assurance que les choses vont probablement s'améliorer de sitôt. Dans « Questions à un expert », Rida Lyammouri, Senior Fellow au Policy Center for the New South (PCNS), livre son analyse. Comment expliquez-vous le retrait de l'opération Barkhane au Mali alors que la menace djihadiste y est toujours omniprésente ? L'annonce faite par la France en juin 2021 de mettre un terme à sa mission de lutte antiterroriste au Sahel, l'opération Barkhane, ne signifiait pas un retrait total. Au contraire, la France a exprimé la nécessité d'une nouvelle stratégie de lutte antiterroriste tout en réduisant progressivement sa présence. Cette annonce est conforme à celle faite en janvier 2020 au sommet de Pau, lorsque la France, avec d'autres partenaires européens, a annoncé la création de la Task Force Takuba. Comme je l'ai indiqué dans mon récent article pour le Middle East Institute, cette task force est supposée être une coalition de forces spéciales de pays européens, qui n'est pas mandatée par une organisation internationale mais qui s'inscrit dans le cadre de l'opération Barkhane sous commandement français. Au-delà de la formation des forces maliennes et de leur soutien, Takuba devrait mener des opérations contre des cibles précises. Les forces françaises ont d'ores et déjà quitté les bases de Kidal et de Tessalit et quitteront bientôt celle de Tombouctou, dans le nord du Mali. En effet, ceci reste une préoccupation pour le gouvernement malien, pour la communauté internationale et, plus important encore, pour les communautés locales. Les groupes djihadistes du nord restent une menace et sont loin d'être vaincus malgré l'assassinat de certains de leurs principaux chefs. On ne sait toujours pas à quoi ressembleront désormais les efforts de lutte antiterroriste dans le nord du pays. La présence des forces maliennes dans le nord reste très limitée et n'a ni la capacité ni l'accès pour affronter les groupes djihadistes. Sans soutien international, le gouvernement malien aura du mal à affronter et à venir à bout des groupes djihadistes dans le nord du pays. Le désengagement militaire au Mali témoigne-t-il d'une perte d'influence de la France au Sahel ? Face aux sentiments anti-français croissants au Mali ces dernières années, et plus encore ces dernières semaines, nous n'avons d'autre choix que de conclure que l'influence de la France au Mali et au Sahel en général n'a jamais été aussi faible. Au cours de ma dernière visite au Mali, les chauffeurs de taxi, les responsables politiques, les employés de restaurants, les commerçants et presque tous les Maliens à qui j'ai parlé m'ont fait part de leur lassitude face à la France qui essaie de contrôler leurs affaires intérieures et de décider pour eux [les Maliens]. Difficile de dire si cette opinion est partagée par tous les Maliens, mais il est certain que nous avons assisté à des manifestations demandant le départ des forces françaises, et non pas à des manifestations de soutien comme en 2013, lorsqu'elles [les forces françaises] ont contribué à stopper l'avancée des djihadistes vers le sud et à libérer les villes du nord de l'occupation djihadiste. Qui plus est, il y a quelques jours seulement (18-19 novembre), au moins 60 véhicules militaires français ont été bloqués par des manifestants au Burkina Faso alors qu'ils se dirigeaient vers le Niger puis vers le Mali, depuis Abidjan, en Côte d'Ivoire. Cette route a été empruntée pendant des années par les forces françaises sans aucun problème, mais cet incident laisse clairement entrevoir un changement dans la perception de la présence française par la population. Quelles sont les implications d'un éventuel accord avec les mercenaires russes du groupe Wagner ? Il est vrai que le gouvernement malien est préoccupé par le retrait des troupes françaises, mais la collaboration avec un groupe plus connu pour ses violations des droits de l'homme et ses alliances douteuses que pour ses succès militaires n'est pas la solution à la lutte actuelle que mène le Mali contre les groupes djihadistes. Le recours à des mercenaires russes risquerait également de faire perdre au Mali non seulement le soutien sécuritaire, mais aussi le soutien économique et l'aide de ses principaux donateurs que sont l'Union européenne et les États-Unis. Comment les autres pays du Sahel perçoivent-ils cette situation ? Le gouvernement malien entretient déjà des liens avec la Russie, notamment en matière de coopération militaire. Pour autant, les récentes rumeurs d'une possible collaboration avec les mercenaires russes du groupe Wagner ont été sources de nouvelles tensions avec la France et la communauté internationale en général. Cela pourrait également créer des tensions et des divisions entre le Mali et ses partenaires sahéliens (Niger, Burkina Faso, Tchad et Mauritanie). Début novembre, les chefs d'État du Niger, du Tchad et du Burkina Faso ont tous rencontré Emmanuel Macron et lui ont fait part de leurs préoccupations à propos d'un tel accord. Le Tchad, par exemple, sait à quel point le groupe Wagner est nuisible, compte tenu de sa réputation en Libye et en République centrafricaine (RCA), deux pays qui partagent des frontières avec ce pays. *Senior Fellow au Policy Center for the New South